Vitalie Taittinger, héritière de la maison de champagne: « il serait dangereux de perdre le contact avec le terroir »
Tombée dans l’effervescence du champagne dès l’enfance, Vitalie Taittinger (44 ans) a repris les rênes de la maison familiale éponyme il y a presque quatre ans et incarne la quatrième génération d’une aventure entrepreneuriale née en 1932.
Son enfance
L’art nous aide à trouver notre place dans la société. Dans la foulée de ma mère musicienne et de mon père collectionneur, j’ai toujours été sensible à l’expression artistique. Même si cela ne m’a pas formée au commerce, plusieurs apprentissages en ont découlé: le goût du travail, de l’effort et de la singularité. En nous connectant à nous-mêmes, l’art permet de comprendre qui nous sommes. Qu’il soit question d’un tableau ou d’une cuvée, ce qui compte, c’est d’arriver à exprimer ce que personne d’autre que nous ne pourrait faire.
Les obstacles de la vie
La maladie donne une forme de recul. Adolescente, j’ai été souvent souffrante. Cela m’a permis de prendre de la distance. J’en ai beaucoup profité pour lire, pour entretenir une forme d’indépendance. Tout cela fait que je ne crains pas d’être malade aujourd’hui. Je pense pouvoir être attentive aux autres horizons que cela ouvre.
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La maîtrise du vin
La maîtrise est une donnée essentielle. Beaucoup de consommateurs s’intéressent au vin pétillant naturel. C’est une bonne chose, mais notre approche est à l’opposé. Ce qui fait la force d’un champagne, c’est la courbe d’expérience. D’année en année, nous recherchons la perfection à travers le contrôle exercé sur le vin. Dans l’approche du vin sans intrant, on laisse la nature battre les cartes sans s’inquiéter de savoir si l’on sera capable de dupliquer l’expression. Ces deux approches semblent plus complémentaires qu’antithétiques.
L’importance du plaisir
Tout doit pouvoir être remis en question. Quand mon père a investi sa fortune pour récupérer la maison familiale, vendue à un fonds de pension, je n’ai pas hésité, j’ai tout lâché pour le rejoindre. Il fallait que je sois à ses côtés… Cela dit, il faut toujours se laisser guider par le plaisir. C’est le curseur qui nous indique que nous sommes à la bonne place. Entreprendre une action par orgueil est le meilleur moyen de se perdre. Si je n’éprouvais pas du plaisir dans ma fonction de présidente du Champagne Taittinger, je laisserais ma place.
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L’histoire du champagne
Le vignoble champenois doit beaucoup à l’Allemagne. Mon nom, originaire de Lorraine et d’Autriche, en porte la trace. Par voie de nécessité économique, de guerre ou de dérèglement climatique, nous sommes tous amenés à bouger. Je trouve belle cette idée de retrouver dans un pays nouveau des éléments qui nous rattachent à nos racines. Nous avons répété cette histoire en nous lançant dans l’aventure d’un vin pétillant en Angleterre, celui du Domaine Evremond, dans le Kent. Les premières bouteilles arriveront en 2024.
Le rôle de l’art
Les rencontres ont ce pouvoir d’infléchir le cours d’une existence. Mon intérêt pour l’œuvre atypique d’Alfred Courmes (NDLR: un peintre français excentrique, décédé en 1993, qui exerçait parallèlement le métier de visiteur médical), dont l’intensité a découlé d’une conversation avec un ami de mon père qui écrivait un livre sur le sujet que j’ai finalement cosigné, raconte un peu la manière dont je mène ma vie, c’est-à-dire sans feuille de route. Toutefois, on ne répétera jamais assez combien le temps est précieux. J’aspire au temps long, voire à l’ennui, alors que mon quotidien est fait d’éprouvantes journées coupées en cinquante.
Il faut toujours se laisser guider par le plaisir. C’est le curseur qui nous indique que nous sommes à la bonne place.
Un terroir à choyer
La plus belle réussite du champagne est sa connivence avec la joie et la célébration. Avec flair, les Champenois ont investi dans des territoires de plaisir, d’extravagance et de fête dans le monde entier. Cela doit être maintenu, sans perdre de vue les marchés d’origine, ceux avec lesquels le champagne a grandi. Parallèlement, il ne faut pas négliger le travail dans les vignes, il serait dangereux de perdre le contact avec le terroir.
La meilleure des armes
L’humour est essentiel. Je m’en sers pour rendre tout plus léger. Je pratique la provocation joyeuse, les bons mots et le second degré. Ce qui me plaît également, c’est de m’adresser à quelqu’un en négligeant les codes habituels liés au statut ou à la fonction. Franchir ces frontières permet de gagner beaucoup de temps. Je voudrais qu’on se souvienne de moi comme quelqu’un de joyeux.
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