L’ère des éco-brasseurs
Longtemps, pils et pale ale ont généré gaspillage et déchets. Cette incurie laissant un goût amer en bouche est en passe d’être gommée grâce à une nouvelle génération de brasseurs éco-attentifs.
Urgences climatiques et environnementales obligent, il est bien révolu le temps de l’innocence brassicole. Fini la gabegie du côté des producteurs. Exit l’aveuglement du côté des consommateurs. Chez ces derniers, le message selon lequel « Le bonheur de nos papilles gustatives ne fait pas toujours celui de la planète » a été reçu cinq sur cinq. Aujourd’hui, tout un chacun se met en devoir de ne pas être naïf quant à l’empreinte carbone de son passage sur terre. Pas de dérogation, même une bonne petite mousse est priée de montrer patte verte. Cette nouvelle exigence de transparence se découvre comme un défi de taille pour le secteur de l’orge et du houblon.
Il faut dire que la fabrication de la bière n’est pas une opération anodine. Son bilan est lourd. C’est vrai à au moins quatre niveaux. D’abord, pour ce qui est de la consommation d’eau. Frottez-vous les yeux: 5 litres d’eau sont nécessaires pour produire 1 seul litre de bière (celui-ci est composé à 90% du précieux liquide, le reste consistant en malt d’orge, en houblon et en levures). L’équation s’avère vertigineuse à l’heure où l’or bleu apparaît de plus en plus comme une ressource essentielle dont nous risquons de manquer un jour. En Belgique, environ 18 millions d’hectolitres de bière sont consommés par an, ce qui signifie, au bas mot… 90 millions d’hectolitres d’eau annuels. A l’échelle mondiale? La consommation de pintes se révèle océanique: 2 milliards d’hectolitres.
Autre poste délicat: celui des céréales. On le sait, le breuvage tant aimé résulte d’une infusion de malt d’orge, mais aussi parfois d’avoine, d’épeautre, de blé ou de sarrasin. Hélas, seuls les sucres de ces graminées sont utilisés dans le processus de fabrication. Pour un brassin de 100 litres, ce sont en général 20 kilos de céréales qui sont purement et simplement jetés après avoir fait trempette.
Egalement sensible est l’approvisionnement des matières premières. Si l’orge s’en tire plus ou moins bien en termes d’émissions de CO2, le circuit concernant surtout les pays limitrophes, il en va d’une tout autre manière pour le houblon. La vogue des IPA et autres NEIPA (deux styles de bières très houblonnées) a poussé les brasseurs à s’approvisionner aux Etats-Unis, voire parfois en Nouvelle-Zélande.
Enfin, last but not least, il faut aussi considérer la question d’un emballage faisant place à de nombreux déchets: bouteilles en verre, canettes, capsules…
Quand la bière se fait mousser
Aux quatre coins du globe, cette situation délicate a déclenché depuis quelques années une riposte importante de la part des acteurs concernés. On ne compte plus les initiatives prises dans le sens de la circularité économique, du locavorisme et de la protection de l’environnement. Aux Pays-Bas, par exemple, un designer social, Joris Hoebe, a initié le projet « Rainbeer« . Il s’agit d’une gamme de bières réalisée par différentes brasseries urbaines néerlandaises à partir d’eau de pluie récupérée sur les toit des villes dans lesquelles elles sont situées. En Californie, le brasseur James Costa a été plus loin en signant la première IPA à base de « grey water« , comprendre une eau « grise » récupérée de douches, éviers et machines à laver. Totalement convaincante en termes de goût, la « Tunnel vision », une pale ale houblonnée filtrée par le biais d’un procédé 100% sans faille breveté par la NASA, n’a pourtant jamais décollé. En cause, le fameux « yuck factor », « facteur beurk » empêchant une adhésion complète des consommateurs.
Le pain invendu sert à fabriquer la bière et la drêche sert à fabriquer le pain.
Bertrand Delubac, Janine
Côté drêches, les initiatives de recyclage ne manquent pas. Depuis la moins valorisée, celle qui consiste à refourguer les céréales employées au bétail, jusqu’à la fabrication de barres énergétiques ou l’élaboration de biogaz. En Floride, la Saltwater Brewery s’en sert pour concevoir un emballage comestible et entièrement biodégradable servant à transporter six canettes. Un véritable coup de génie quand on sait que ces anneaux en plastique finissent systématiquement dans l’eau en portant préjudice, chaque année, à plus d’un million d’oiseaux et animaux marins. Quid des bouteilles de verre et autres capsules? Là aussi, les Etats-Unis se distinguent. En 2012, à Las Vegas, 500.000 bouteilles de bières ont été réutilisées pour élaborer un matériau de construction ayant servi à ériger le Morrow Royal Pavilion, un édifice de près de 3.000 m2. Et en Belgique? Le pays fait place à plusieurs initiatives significatives. En voici 6 qui méritent d’être distinguées.
Léopold 7
Quand on approche de la brasserie Léopold 7, située dans l’imposante ferme-château de Marsinne à Couthuin, quelque chose trouble. On ne voit pas cette cheminée caractéristique rejetant des fumées dans le ciel qui est la marque de fabrique des lieux dédiés à la production de bière. « Ici, les vapeurs sont récupérées pour produire notre énergie », détaille Nicolas Declercq, désormais seul maître à bord après avoir été associé à Tanguy van der Eecken. D’autres attentions vont dans le même sens. Ainsi de l’absence d’étiquettes sur les flacons en silice, un matériau peu énergivore. C’est que les contenants sont en réalité sérigraphiés. Le point n’a rien d’un détail lorsque l’on sait que pour dissoudre la colle qui fixe les étiquettes aux bouteilles, il faut utiliser des produits séquestrants. Depuis 2019, la brasserie développe également une gamme de canettes « long neck » dans un aluminium 100% recyclable. Auréolé des labels « Prix Juste Producteur » (garant d’une rémunération équitable) et « Terrabrew » pour l’approvisionnement local, Léopold 7 n’est pas pour autant freiné dans ses ambitions. En témoignent la sortie toute récente de la Triple de Hesbaye ou encore la collaboration, sur fond de miches invendues, avec la boulangerie-épicerie Champain à Wanze.
La Brasserie du Renard
Brasserie soucieuse d’enracinement local, la Brasserie du Renard collabore avec Mad Lab, une néo-biscuiterie bruxelloise. « J’ai été mis en contact avec la Brasserie du Renard à Pécrot. Cela a été une opportunité car je me suis vite rendu compte qu’il était difficile de se procurer de la drêche biologique. Eux en avaient à revendre… », explique Cyril Beneche.
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A partie de là, le néo-artisan imagine une gamme de crakers originaux: en version nature (« Foxy »), à l’ail (« Fang »), au thym (« Sunny ») et au fenouil (« Annie »). Il précise: « Certains se servent de la drèche pour la nourriture animale mais ce circuit est aujourd’hui compliqué par diverses réglementations. En réalité, la plupart du temps, ce qui peut lui arriver de mieux, c’est de terminer en compost. La Brasserie du Renard et Mad Lab réussissent le tour de force d’en faire de l’alimentation pour les humains. »
Brasserie de Brunehaut
Fondée en 1890 et rachetée en 2007 après une faillite, la Brasserie de Brunehaut, près de Tournai, est la seule de la Communauté européenne à être certifiée B Corp. Ce label rigoureux mesure la performance d’une entreprise à travers cinq domaines: gouvernance, collaborateurs, clients, collectivité et environnement. Horizon? « Non pas être l’une des meilleures du monde… mais être l’une des meilleures POUR le monde », commente Marc-Antoine De Mees, le propriétaire qui vient de lancer La Miche, une « Belgian Ale » produite à partir des pains biologiques invendus de la coopérative Agribio (le pain y remplace 40% du malt utilisé).
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Que Brunehaut soit labellisé B Corp ne surprend pas: la brasserie, dont la gamme est 100% bio, a investi dans des fûts recyclables à l’exportation, a fait l’acquisition de 350 panneaux solaires (assurant 75% de l’électricité consommée), achète son malt en local à un prix supérieur de 30% à celui du marché, s’est équipée de manière à assurer le bien-être de ses collaborateurs et participe à la vie locale à travers des actions sociales ciblées.
Brussels Beer Project
Avec Brussels Beer Project, Olivier de Brauwere et Sébastien Morvan balayent tous les clichés qui collent à la peau de la bière belge. Ces deux énergiques trentenaires ont réussi le tour de force d’implanter une brasserie en plein coeur du tissu urbain. Dans le très bel espace de 400 m2 à deux pas du Canal, 24 tireuses s’alignent impeccablement pour faire jaillir les jus d’orge et de houblon. Au mur? Des proclamations de foi. « Hello 21st Century, Goodbye Middle Ages » ou « Leave the Abbey » confirment l’adieu fait à une approche brassicole désuète. Après avoir beaucoup fait parler d’elle avec la Babylone, une « Bread Bitter » dans laquelle 20% du malt est remplacé par des invendus de pain (au total, 8 à 10 tonnes par an), la brasserie s’est offert une collaboration inédite avec Les Savonneries Bruxelloises, une maison qui fournit la Cour royale. Au bout de cette synergie? « Shower Power », un savon réalisé à partir de bière, de houblon et surtout de drêches de brasserie « afin de le rendre également exfoliant ».
Janine
C’est un quatuor prometteur qui se cache derrière Janine: le boulanger repéré au Saint-Aulaye Maxime Delubac, la brasseuse Morane Le Hiress, Bertrand Delubac ainsi que Carole Benoist. Ces quatre-là ont imaginé un concept de boulangerie-brasserie luttant contre le gaspillage. « Le pain invendu sert à fabriquer la bière et la drêche sert à fabriquer le pain », explique Bertrand Delubac. Bien vu quand on sait que la miche représente 20% du gaspillage alimentaire dans la capitale. En attendant son installation dans des locaux en propre, Janine, qui utilise les casseroles de la brasserie L’Annexe à Saint-Gilles, s’est déjà fait remarquer, entre autres par la toute nouvelle « Rock’N’Carol », une American Pale Ale trouble et fruitée dans laquelle 15% du malt est remplacé par du pain invendu.
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Houblons de Bruxelles
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Lancé en 2017, ce projet vise à relocaliser la production de houblon à Bruxelles. On le doit à Christophe Speltiens, un informaticien reconverti ayant installé ses cultures, 10 plants au départ, dans la vallée du Molenbeek, sur les terrains de la Ferme pour Enfants de Jette. Quatre ans plus tard, ce passionné de bière cultive, de la façon la plus propre possible, entre 350 et 450 plants sur 20 ares. Son ambition? « Faire venir les gens sur place afin qu’ils puissent toucher cette matière première unique et renouer avec ce qu’ils boivent… c’est le meilleur chemin vers un boire local », explique le quadragénaire.
Faire venir les gens afin qu’ils puissent renouer avec ce qu’ils boivent…
Christophe Speltiens, Houblons de Bruxelles
Dans la foulée, Speltiens fabrique sa propre bière, la « Super Deluxe », dans les installations de la brasserie En Stoemelings. Convaincu par l’économie circulaire, l’intéressé a également noué un partenariat avec Le Champignon de Bruxelles. « Je leur achemine mes drêches qu’ils utilisent, avec de la sciure, comme substrat pour leurs cultures. Une fois consommée par le mycélium, ce qui reste d’engrais est déversé à la houblonnière, la boucle est bouclée. »
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