Le récent festival PomPomPom, vitrine belge du renouveau de la cidriculture, a levé le voile sur une surprenante cuvée signée Osma: un hybride parfumé à l’aspérule et à la santoline. Dans les caves de Tour & Taxis, Alexis Boisseau élabore bières et cidres en limitant au strict minimum le recours à l’électricité. Cette sobriété low-tech revendiquée traduit une vision cohérente: laisser parler la matière, le temps et les ressources locales.
Lors de l’édition du festival PomPomPom, qui s’est tenu au Vaux Hall à Bruxelles en août dernier, il fallait être aveugle ou souffrir d’agueusie pour ne pas repérer la montée en puissance des cidres hybrides – le line-up bien senti faisait place à une nouvelle génération de producteurs avide de mélanges, qu’il s’agisse notamment des Néerlandais d’Elegast ou des Flamands de Druug et d’Atelier Brumont.
Cidres hybrides? Ces cuvées en forme de figures libres brouillent volontairement les frontières, mariant la pomme aux autres fruits, céréales ou plantes aromatiques. Un champ d’expérimentation qui attire autant les amateurs de vins sans œillères que les fanatiques de bières artisanales.
Parmi toutes les découvertes, une bouteille a particulièrement retenu notre attention: la cuvée 2023 d’Osma, un jus réjouissant parfumé à l’aspérule odorante et à la santoline, faisant valoir une complexité inattendue. En bouche, la pomme reste discrète, portée par une fraîcheur herbacée et une trame légèrement amère. Les notes florales se mêlent à une pointe résineuse qui prolonge la finale, donnant au cidre une profondeur proche de celle d’un vin nature. Derrière cette révélation, un nom encore confidentiel: celui d’Alexis Boisseau, un Français de 37 ans, installé dans les caves de Tour & Taxis.
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L’utilisation inattendue de telles plantes ne doit rien au hasard. L’aspérule, Boisseau l’a croisée dans la région d’Arlon, là où a grandi sa compagne – Manon Pinchart à qui l’on doit la boulangerie au levain Pinpin et bientôt un glacier sur la place du Jeu de Balle. La santoline, elle, lui a été révélée par Cécile Gilquin de Tiers Paysage, productrice d’aromatiques et de fleurs comestibles à Lasne, qui pratique aussi la cueillette sauvage et fournit quelques chefs bruxellois. « Elle m’a ouvert à un univers de goûts dont je n’avais pas idée », dit-il. De fil en aiguille, chaque cuvée devient désormais l’occasion d’intégrer une plante nouvelle, toujours issue de ce réseau assez confidentiel.
L’espace de Tour & Taxis, partagé entre accueil et production, dit tout de la démarche d’Alexis Boisseau. D’un côté, une grande table en bois entourée de bouteilles soigneusement empilées, propice aux dégustations. De l’autre, le coin atelier, dominé par un pressoir manuel où il écrase des pommes wallonnes dans une atmosphère qui tient à la fois de l’atelier artisanal et du laboratoire. Seule entorse à sa philosophie low-tech : un broyeur électrique, indispensable pour extraire un jus de qualité.
Au rythme des saisons
Cette méfiance vis-à-vis des machines ne relève pas de la posture: elle répond à une inquiétude bien réelle. « On vit dans une époque où l’énergie est devenue incertaine, avec la menace d’augmentations brutales et la possibilité de manques », explique Boisseau.
Travailler avec le moins d’électricité possible, c’est donc aussi se prémunir, ancrer le projet dans une forme d’autonomie.
Dans les caves, la température suit le rythme des saisons: les cuves évoluent sans contrôle artificiel, les bouteilles sont capsulées à la main et chaque étape de la fermentation est surveillée au quotidien. « Le temps est mon principal ingrédient », insiste-t-il.
Le parcours de l’intéressé parle de lui-même.
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Arrivé à Bruxelles en 2012 pour des études artistiques à La Cambre, Alexis Boisseau passe par l’Horeca, rapidement responsable de cartes de vins et de bières artisanales. Il se forme ensuite en cours du soir à l’IFAPME de Tournai (micro-brasseur, deux ans), effectue un long stage à la microbrasserie En Stoemelings, lorsqu’elle était encore dans les Marolles, puis suit le déménagement à Greenbizz, apprenant à changer d’échelle de production. La bière reste aujourd’hui encore son premier terrain d’expérimentation, avec une recette de saison, élevée longuement en barriques, qu’il brasse une à deux fois l’an avant de l’affiner en cave.
Peu à peu, la pomme – madeleine d’une enfance dans la Mayenne, région aux confins de la Normandie et de la Bretagne – se rappelle à son bon souvenir. Osma travaille aujourd’hui des variétés belges (Reinette Étoilée, Gueule de mouton, Président Roulin, Madame Colard…), souvent en hautes tiges, avec des profils acides qui rappellent la trame de ses saisons.
Les cidres élaborés peuvent être tranquilles ou pétillants. Pour le millésime 2023, la prise de mousse est relancée avec du jus de pomme (du même verger) au moment de la mise, façon méthode ancestrale; pour d’autres cuvées, il laisse la fermentation se terminer en bouteille. Les élevages en barriques (Bourgogne, Bordeaux) servent à achever les sucres grâce aux levures sauvages et bactéries lactiques, sans sur-marquer le produit.
Eloge de l’osmazome
La veine hybride traverse toute son approche. Osma expérimente des piquettes de pomme – obtenues en remettant à fermenter les résidus de pressage avec de l’eau pour en tirer une boisson légère –, des macérations d’aronia issues de marcs récupérés, ou encore des co-fermentations avec des marcs de raisin, comme ce Cabernet Jura en 2024. La logique est toujours la même : circulaire, locale, parcimonieuse. Alexis Boisseau pousse même l’expérience plus loin avec un levain de seigle, qui entretient et prolonge l’écosystème vivant de sa cave.
Dans son antre de Tour & Taxis, Alexis Boisseau ne produit qu’environ 650 bouteilles par an. Ce choix n’est pas une limite mais une ligne de conduite: un projet pensé pour rester gérable seul, sans capitaux extérieurs.
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Ses bouteilles trouvent leur chemin doucement, mais sûrement. Elles circulent entre lieux indépendants (notamment Malt Attacks, à Saint-Gilles) et tables complices (Brut, par exemple, du côté d’Ixelles), portées par la confiance et le bouche-à-oreille plutôt que par une logique de volume.
Même le nom se veut évocateur qui vient d’osmazome, terme ancien, popularisé par Brillat-Savarin, désignant l’umami. L’artisan brasseur a retenu ce mot pour suggérer profondeur et sapidité, tout en gardant la liberté de ne pas se réduire au cidre.
Le modèle est sain et ancré. Pas de croissance forcée, mais une volonté d’inscrire Osma dans un écosystème durable, fondé sur un impact énergétique réduit, une précision artisanale et des arômes qui racontent le terroir belge d’aujourd’hui.