On a visité le vignoble de la première femme belge nommée Master of Wine

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© Jorik Leemans

Seules 423 personnes portent le titre de Master of Wine dans le monde. Un graal qui équivaut à une médaille d’or Olympique et que Kathleen Van den Berghe est la première femme belge à avoir décroché. L’occasion de lui rendre visite dans son domaine de la Loire.

La mère de Kathleen Van den Berghe (52 ans) aime raconter que toute petite déjà, sa fille demandait toujours à goûter le vin. En revanche, elle n’a jamais rêvé de posséder son propre domaine viticole. En 2010, son mari et elle étaient à la recherche d’une résidence secondaire en France. Kathleen visait une maison disposant de quelques pieds de vigne qui lui permettraient de se lancer dans un projet de viticulture en dilettante. Durant quatre jours, le couple a visité trois à quatre domaines par jour en Bourgogne, dans le Beaujolais et dans la Loire. C’est lors de l’avant-dernier rendez-vous, en pénétrant dans l’allée d’un imposant château de la vallée de la Loire, qu’elle a eu un véritable coup de foudre.

© Adam Morton

«Bien sûr, des travaux de rénovation non négligeables s’imposaient, mais comme je suis ingénieure dans le domaine de la construction, j’ai immédiatement vu le potentiel des lieux», se réjouit l’intéressée, lors d’une balade autour du Château de Minière à Bourgueil. Par cet après-midi ensoleillé, Flumine, la mascotte féline de la résidence, somnole paisiblement à l’ombre d’un des nombreux rosiers qui ornent la façade de la bâtisse. La châtelaine nous indique quelques pieds de vigne qui s’élèvent derrière un petit chemin bordé de cyprès: «Ces 18 hectares de pampres représentaient un bien plus grand défi. Il était hors de question d’en restreindre le nombre; c’était tout ou rien. Je me souviens que c’est à ce moment-là que j’ai compris que ce serait mon nouveau travail. En juillet, nous avons signé le compromis, et en septembre, nous nous occupions déjà des vendanges.»

Elle met ensuite fin à son activité de consultante pour se consacrer entièrement à la restauration du cabernet franc qui borde le château et au chenin blanc qu’elle a planté. Avec l’aide de l’architecte belge Stephane Boens, elle transforme le château en un gîte pouvant accueillir jusqu’à 27 personnes, doté d’une vaste cuisine et d’un agréable salon. Trois énormes séquoias bicentenaires ombragent la pelouse le long de la piscine. Il y a pire comme lieu de travail.

© Adam Morton

Depuis notre chambre à coucher, nous voyons les premiers pampres en fleurs qui s’étendent sur 20 hectares. Comme son nom l’indique, la cuvée limitée baptisée «Vignes Centenaires de Minière» se compose de ceps centenaires. Et si nous prenions l’apéro?

Jeux Olympiques vinicoles

Au cours des dernières années, Kathleen Van den Berghe a goûté énormément de types de vins. En 2016, elle décide de s’inscrire à The Institute of Masters of Wine à Londres pour y suivre la prestigieuse formation destinée au gratin du monde viticole. Après neuf années – en raison d’une pause pour raisons personnelles et du Covid –, elle peut se targuer d’être, depuis février, la première Master of Wine féminine de notre pays et la troisième Belge, après Jan De Clercq et Christophe Heynen. A noter que Fiona Morrison, tenante américano-britannique du titre, vit en Belgique. «Comme Fiona a désormais la nationalité belge, je ne dirais pas que je suis la première lauréate belge», nuance notre hôte.

Seulement 3% des gens qui s’inscrivent à ce programme atteignent l’objectif. Ainsi, seules 423 personnes sont autorisées à porter le titre de Master of Wine dans le monde. Kathleen Van den Berghe compare cette formation intensive à l’entraînement en vue de décrocher une médaille d’or aux jeux Olympiques. «Cette image est celle qui, selon moi, illustre le mieux le niveau de cette formation.»

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«J’ai toujours aimé étudier, poursuit-elle. Il faut avoir de très vastes connaissances sur tous les vins du monde, depuis la nature du sol à la commercialisation en passant par le mode de mise en bouteille. Il y a d’abord un examen d’entrée, ensuite plusieurs épreuves et un travail de fin d’études. Pour moi, l’idée de décrocher ce titre est vite devenue un genre d’obsession, une affaire d’honneur personnel», déclare-t-elle.

Pour la Master of Wine fraîche émoulue du prestigieux institut londonien, l’épreuve la plus difficile était la dégustation à l’aveugle. «En temps normal, je suis assez sensible au stress, mais là, je l’étais moins. L’examen consiste à énumérer les caractéristiques du vin. Savoir distinguer un malbec d’un cabernet sauvignon, connaître la différence entre un riesling allemand et un néo-zélandais. Cela implique d’avoir confiance en ses papilles gustatives.»

Pour se préparer, elle a goûté des centaines de bouteilles, notamment grâce à l’organisation WineWise. «Je leur ai demandé si je pouvais récupérer les restes de bouteilles qu’ils utilisaient pour leurs cours d’œnologie. Ainsi, quand je voulais goûter la différence entre un merlot chilien et un languedocien, je pouvais facilement me rafraîchir la mémoire dans ma propre bibliothèque de vins (rires). J’ai également acheté plusieurs kits et bouteilles afin de m’entraîner. Parfois, je culpabilisais un peu parce que, bien sûr, on ne peut pas boire tout ce vin et on doit régulièrement en jeter. Mon mari a amené plusieurs fois des bacs entiers de bouteilles vides à la bulle à verre.»

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Avant de débarrasser la table et de regagner nos chambres, nous demandons à notre hôtesse si elle sait combien cette prestigieuse formation lui a coûté. «Beaucoup, mais je n’ai pas calculé le montant exact, répond-elle. Peut-être que d’autres choisiraient de s’offrir un voilier. Je n’ai pas de hobby cher, et le vin est une vraie passion pour moi. Disons que c’était probablement le fait de ma crise de la quarantaine, mais c’est aussi un investissement. Bientôt le titre Master of Wine sera apposé sur toutes nos étiquettes. J’appelle cela un «message in a bottle». Lorsque mes vins se retrouvent au Japon ou aux Etats-Unis, les connaisseurs savent que ce sont des produits uniques. Vu l’abondance d’offres sur le marché du vin aujourd’hui, ce titre est une belle manière de se distinguer.»

Touche féminine

Le lendemain matin, la viticultrice hisse non sans peine une lourde machine à vapeur dans le coffre de sa voiture. Un filet d’eau s’écoule de l’appareil sur l’asphalte chaud. «C’est pour Sébastien, mon viticulteur à Suronde. Cela permet de laver rigoureusement les fûts de chêne avant d’y faire vieillir de nouveau du vin», explique-t-elle.

En 2016, Kathleen Van den Berghe acquiert le Château de Suronde, à environ une heure de Bourgueil. Le vignoble s’étend sur 6,5 hectares. Son œnologue, Clémence, une Française de 32 ans, rêvait de devenir nez dans une maison de parfum, mais cela fait maintenant quatre ans qu’elle se consacre avec plaisir à la production du Château de Minière.

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«Saviez-vous que le domaine a continuellement été dirigé par des femmes au cours des deux siècles derniers? nous demande Kathleen Van den Berghe. Ce n’est pas pour cette raison que j’ai choisi Clémence, bien que je croie à la touche féminine. Les gens nous signalent toujours que nous produisons des vins très élégants peu tanniques. Au début, j’en ai bavé en tant que femme dans ce secteur. Je croyais que les difficultés de contact avec d’autres producteurs étaient dues au fait que j’étais belge, mais il s’est avéré par la suite que, d’une manière générale, les viticulteurs ne sont pas tendres envers leurs homologues féminines.»

Elle referme son coffre. «Le monde viticole français demeure empreint d’une sorte de machisme, heureusement un peu moins ces derniers temps. D’ailleurs, je trouve que c’est une bonne chose de pouvoir être un exemple pour d’autres femmes en tant que Master of Wine. Après tout, il y a de la place pour tout le monde.»

Haro sur les vins naturels

Notre passage le long des pampres effraie un papillon qui butinait tranquillement un trèfle incarnat. La différence avec les terres voisines est frappante: les pieds de vigne des confrères sont entourés de terre aride; ceux du domaine de Suronde se caractérisent par de nombreuses fleurs et mauvaises herbes colorées. «C’est à cause des pesticides que les autres utilisent, explique-t-elle en haussant les épaules. Nos plantes se portent nettement mieux depuis que nous sommes passés à l’agriculture biodynamique.»

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Elle compare cette forme de culture à l’homéopathie qui, par le biais de moyens naturels, permet de protéger les plantes de manière préventive et de les rendre plus résistantes aux imprévus de Mère Nature. Dans le chai tout proche, son œnologue Sébastien prépare une décoction à base de saule censée protéger les pieds de vigne contre l’humidité annoncée pour les prochains jours. Des maisonnettes en bois sont suspendues dans les arbres qui entourent le vignoble. Ce sont des abris à chauves-souris. La nuit, elles mangent les insectes qui constituent une menace pour les raisins.

«Je sais que tout cela semble un peu nébuleux, mais les résultats sont probants. En tant qu’ingénieure, je crois dur comme fer à la méthode essai-erreur. Aujourd’hui, nos plantes sont moins stressées parce qu’elles sont prêtes tant pour la sécheresse que pour l’humidité et le gel, choses qui deviennent de plus en plus aléatoires en raison du changement climatique et qui demandent un contrôle rigoureux. Dans le cas de la biodynamie, il faut observer le vignoble d’encore plus près afin de déceler ses besoins. Il est indispensable que nos viticulteurs adhèrent à ce principe pour cultiver les meilleurs raisins possibles. Car c’est dans le vignoble que l’on produit son vin.»

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Kathleen Van den Berghe tient à souligner qu’elle ne produit pas de vin naturel. «On a tendance à faire l’amalgame avec la biodynamie, et je ne comprends pas pourquoi. Je trouve que beaucoup de vins naturels ne sont pas bons et qu’ils ont tous un goût de pomme jaune. En tant qu’ingénieure, je ne supporte pas les erreurs dans le vin. D’ailleurs, mon travail de fin d’études portait sur ce sujet. Nous traquons rigoureusement la présence d’acides volatils ou l’oxydation afin de les combattre.»

Elle nous parle d’un viticulteur qui a commercialisé un vin raté en l’étiquetant «vin naturel». «Au départ, c’était une plaisanterie, mais le vin a eu tellement de succès que mon confrère le produit maintenant sciemment. Beaucoup de sommeliers semblent raffoler des histoires qui se cachent derrière les vins naturels, mais ils ont aussi des vins biodynamiques. Ce n’est pas parce que nous contrôlons la qualité de nos vins que nous travaillons de manière industrielle.»

Kathleen avoue qu’elle va de moins en moins souvent au restaurant parce que les vins naturels y sont presque incontournables. «Surtout dans les établissements plus branchés. Franchement, pour moi, les gens peuvent boire ce qu’ils veulent, mais la tendance est à imposer les goûts. J’espère que les vins classiques comme les nôtres ne disparaîtront pas de la carte à cause de ça. Ce serait dommage que la prochaine génération ne connaisse que les vins naturels. Heureusement, il existe encore des restaurants traditionnels qui proposent des cartes intéressantes.»

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Kathleen Van den Berghe est avant tout une entrepreneuse. Elle a conscience de la baisse de consommation de vin en Europe, mais elle tente de tirer profit des chiffres. Ainsi, avec ses Bulles de Minière, elle produit plusieurs vins pétillants (la bouteille la plus spéciale est celle qui contient des bulles rouges) parce que c’est un marché croissant. Elle mise davantage sur les vins blancs que sur les rouges parce que la baisse de la demande est moins forte. Son Blanc de Noir illustre parfaitement sa façon de miser sur le vin blanc en recourant au cépage cabernet franc. «Même si, avant tout, je fais des vins qui me plaisent, bien entendu. C’est la base pour tout viticulteur.»

Un clin d’œil à Magritte

Pourtant, une âme créative côtoie son côté entrepreneuse. Au Château de Suronde, la quinqua accueille chaque année un artiste en résidence qui s’inspire du domaine pour son art. «Sur les étiquettes de nos vins, on peut admirer différentes réalisations artistiques intitulées L’œuvre et La Création. Bientôt, nous utiliserons de nouvelles dénominations qui reflètent également ma passion pour l’art. Nous pensons notamment à La Réaliste, L’Impressionniste et L’Expressionniste», s’enthousiasme la Belge.

© Adam Morton

Le Château de Minière profite lui aussi de l’amour que la propriétaire nourrit pour l’art. Pour la décoration intérieure, notamment sous la forme de tableaux et de lampes qu’un artiste local a réalisées avec des bouteilles en verre, mais aussi pour les noms de ses vins. «Par exemple, nous avons baptisé notre Blanc de Noir Ceci n’est pas un Blanc, en clin d’œil au raisin noir qui le compose et à la touche surréaliste belge.»

Ce domaine de la Loire aurait été une source d’inspiration pour Magritte, se dit-on lorsque la Master of Wine nous verse le dernier verre de rosé de ce séjour. Le soleil couchant offre une coloration rose orangé aux pierres à chaux du château. «Je peux enfin déguster du vin à mon aise moi aussi. Ce n’était pas possible pendant mon Master of Wine», confie la viticultrice en levant son verre. Puis elle ferme les yeux pour mieux savourer…

Moins mais mieux

«Je resterai toujours une fervente défenseuse d’un bon verre de vin. Tous les viticulteurs savent qu’un grand changement culturel s’opère, surtout en France. Alors qu’avant, aux repas ils servaient aux enfants du vin dilué, de plus en plus de Français font volontairement l’impasse sur l’alcool. C’est une évolution que je ne peux qu’acclamer. Mais en même temps, je crois qu’il doit rester de la place pour les vins bien faits, et que les gens doivent pouvoir choisir ce qu’ils veulent boire. Les vins à prix modérés qu’on sert à des réceptions ou qu’on achète au supermarché sont à mes yeux des calories perdues. En tant que Master of Wine, mon credo est et restera: buvez moins, mais buvez mieux.»

© Getty images

Bio express

Kathleen Van den Berghe a étudié le génie civil à l’UGent, puis obtenu un certificat en génie civil à l’université de Liège et un postgraduat en gestion immobilière à la Vlerick Management School.

Elle a travaillé comme cheffe de projet dans une entreprise de construction pendant 4 ans, puis 9 ans comme consultante.

Elle a acheté le domaine viticole Château de Minière dans la Loire en 2010 et le Château de Suronde en 2016.

Elle a suivi une formation de vigneron à Syntra.

Elle est devenue Master of Wine à Londres en 2025.

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