Ann Claes, cheffe d’entreprise: « On ne peut pas tout résoudre en cinq minutes »

Ann Claes © Titus Simoens
Nathalie Le Blanc Journaliste

Ann Claes (60 ans) est, avec son frère, à la tête du Claes Retail Group, qui fête son cinquantième anniversaire cette année. Deux de ses quatre enfants ont rejoint l’entreprise connue pour les marques JBC, Mayerline et CKS.

Cyclisme versus mode

Chaque métier a quelque chose d’excitant. Mon père a d’abord été cycliste professionnel. J’avais 10 ans lorsqu’il a ouvert sa première boutique de vêtements. Il adorait travailler en famille. Et aujourd’hui, je dirige l’entreprise avec mon frère. Si mon père avait choisi un autre secteur, je m’y serais aussi épanouie. Mais la mode me passionne, car tout change constamment.

Famille je vous aime

Travailler en famille demande des sacrifices. Mon père était un homme sévère, pas facile à vivre. Il avait du mal à séparer le travail du privé, ce qui a nui à notre relation père-fille. Avec mon frère heureusement, je parviens à passer d’une discussion professionnelle à une conversation plus personnelle sur la vie de nos enfants. J’ai tiré des leçons de mon expérience, maintenant que deux de mes enfants ont rejoint l’entreprise. Au travail, je suis leur supérieure hiérarchique, mais en dehors, je suis simplement leur maman. Mon frère et moi avons des accords clairs, notamment de ne pas trop contrôler nos propres enfants. C’est l’autre qui s’en charge. Les miens veulent se plaindre de leur patron? Ils doivent le faire auprès de mon frère (rires).

Empathie

On pardonne plus facilement quand on s’apprécie. Quand un collègue vous fait une remarque qui vous heurte, cela peut rester gravé dans la mémoire. Mais quand cela vient d’un membre de la famille, cela s’estompe plus vite. Cela ne veut pas dire pour autant que je fais plus attention avec mes collègues qu’avec les membres de ma famille. Il n’y a qu’une seule Ann, je suis ouverte et directe avec tout le monde. Parfois, lorsque j’essaye de mettre des pincettes, j’obtiens souvent la réaction suivante: «Dis simplement ce que tu penses, ce sera plus clair.»

Un frère à ses côtés

La solitude des sommets, ça sonne peut-être comme un cliché mais c’est vrai. Quand on dirige une entreprise, il faut savoir écouter, être positif et constructif. Heureusement que mon frère est à mes côtés car il n’y a qu’à lui que je peux me confier. Un coach est utile, car il peut donner des conseils pratiques. J’ai appris qu’on ne peut pas tout résoudre en cinq minutes. C’est difficile, car je suis quelqu’un d’impatient. Mais certaines choses et certaines conversations demandent du temps. Les gens ne sont pas des machines.

Made in Asia

Ne gaspillez pas votre énergie dans ce que vous ne pouvez pas changer. C’est ce que j’ai appris en Asie. Travailler avec des personnes issues d’une autre culture requiert une bonne faculté d’adaptation, vous devez chercher à  comprendre leur façon de penser. Au début, j’ai trouvé cela difficile avec les Chinois, car ils communiquent différemment. Il est essentiel de ne pas perdre la face, ce que je n’ai pas tout de suite réalisé avec mon style direct. Nous avions des exigences en matière de production et de droits humains, tandis que nos partenaires chinois accordaient de l’importance à la loyauté et aux contrats à long terme. Une fois que vous savez cela, vous pouvez focaliser votre énergie, négocier et construire un partenariat solide. Nous travaillons depuis dix-huit ans avec la même entreprise, et récemment, le propriétaire y a fait entrer son fils.

Tomber et apprendre

Il ne faut pas avoir peur de faire des erreurs. Il est important de donner une chance aux jeunes, parce que le monde évolue rapidement et qu’ils nous aident à rester dans la course. Mais quand je vois des gens sur le point de se tromper, je commence par évaluer l’ampleur du risque. Si l’impact de leur erreur est important et qu’il s’agit d’une somme d’argent considérable, j’interviens. Mais il m’arrive aussi de laisser faire. Je leur signale dix fois le risque, mais je les laisse trébucher la onzième. Ils ne tombent pas de bien haut mais apprennent beaucoup.

Trouver la balance

Chacun trouve son équilibre comme il peut. Je ne l’ai pas encore trouvé, car je travaille trop. Quand mes quatre enfants étaient petits, ils m’obligeaient à être présente. Aujourd’hui, ce sont de jeunes adultes qui ont tous quitté le nid en l’espace de six mois et plus rien ne freine mon rythme de travail. Je n’aime pas décevoir les gens, j’ai donc du mal à dire non. Mais je dois trouver une meilleure balance, car j’ai encore quelques années devant moi.

La fierté d’une mère

Avoir des enfants formidables, c’est ce dont je suis la plus fière. Ils ne sont pas livrés avec un mode d’emploi, alors on cherche, on essaie, on est sévère, on lâche prise, et on pense régulièrement que ça ne marchera pas. Des événements graves peuvent arriver, beaucoup de choses peuvent mal tourner, et mes enfants n’étaient certainement pas des anges. Mais s’ils traversent l’adolescence sans trop de dommages, on sait que tout finira par s’arranger.

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