La lecture n’est pas un passe-temps, c’est une promesse, celle de voyager dans le temps et l’espace au gré des ouvrages. Ivre de livres, Kathleen Wuyard vous emmène page à page dans ses périples papivores. Son dernier coup de coeur? Les voluptueuses, d’Elisabeth de Feydeau, qui mêle Histoire, parfum et femmes de tête.
«Et si le parfum avait aussi créé la femme?» La question, posée par l’historienne française Elisabeth de Feydeau en quatrième couverture de son livre Les voluptueuses peut sembler pompeuse… jusqu’à ce qu’on commence la lecture de cette histoire parfumée des femmes de légende, et qu’on découvre à quel point notre fragrance détermine qui on est.
Surtout quand on appartient au prétendu «sexe faible» et que le recours aux huiles, essences et autres onguents parfumés n’est pas simplement un parti pris olfactif mais aussi une manière de prendre le pouvoir. Décidément, vous dites-vous peut-être, cette chronique ne craint pas de tomber dans la déclamation. Sauf que l’Histoire nous donne raison.
Après tout, en 1770, le Parlement britannique n’a-t-il pas édicté une loi prévoyant que toute femme ayant recours aux parfums pour «tromper, séduire ou entraîner au mariage un des sujets de Sa Majesté» encourrait les peines prévues pour les personnes ayant été jugées coupables de sorcellerie. Magique, votre fragrance favorite?
L’essence même
Cela prête à sourire, puis on fait travailler son odorat. Ou plutôt, les souvenirs et associations qui y sont liés.
Il suffit en effet de penser à tel individu qu’on adore ou qu’on déteste pour avoir sa senteur en tête, qu’elle soit plaisante comme des notes de vanille sur peau bronzée ou qu’elle ait des relents infects d’halitose.
«La bonne odeur, attrait véritable, est signe de séduction, de jouissance et de délectation voire d’ensorcellement, alors que la mauvaise odeur, châtiment suprême, est repoussante car elle réveille l’instinct de méfiance», écrit Elisabeth de Feydeau.
Qui étaie ce constat en prenant l’exemple du mythe des Lemniennes, punies de n’avoir pas respecté comme il se devait la déesse Aphrodite par une odeur «tellement nauséabonde que leurs époux s’enfuirent pour aller chercher en Thrace meilleures compagnes». De l’autre côté du Nil, Cléopâtre, elle, comptait les parfums (de préférence épais et tenaces, faits de myrrhe et de cinnamone) parmi son arsenal de séduction, tandis que la reine de Saba, férue d’encens et de baume qu’elle déposait «au creux du cou et au cœur du corps», aurait utilisé la parfumerie afin de séduire le roi Salomon.
Elle avait beau s’habiller en homme et multiplier les conquêtes la nimbant d’un parfum de scandale, George Sand avait, elle, un faible pour les bouquets fleuris, associés à la féminité et à une certaine délicatesse dans l’imaginaire du flair. Dans le chapitre qui lui est dédié, on découvre en outre une charmante analogie entre la musique et le parfum, ce dernier, «aussi évanescent et invisible qu’un morceau de musique», vibrant en nous pour mieux réveiller émotions et souvenirs enfouis.
Et Elisabeth de Feydeau de pointer que ce n’est pas pour rien si un parfumeur est parfois qualifié de compositeur, tandis que le bureau où sont rangées toutes ses matières premières porte le nom d’orgue à parfums.
Quand le parfum fait la femme (ou l’inverse)
Parce qu’écrire une histoire parfumée des femmes de légende sans évoquer la plus célèbre d’entre elles serait une fausse note, l’ouvrage s’intéresse évidemment aussi à Marilyn Monroe, qui affirmait ne se parer que de quelques gouttes de Chanel N°5 avant de se lover dans les bras de Morphée.
Une jolie pirouette («J’essaie de répondre avec tact à une question grossière» précisa-t-elle à Marie Claire) mais aussi une confession intime de la part de celle qui était si attachée à ce jus aux notes aldéhydées qu’elle avait confié que sans lui, elle «perdait l’odorat».
Des mots qui résument à merveille le rapport passionnel que l’on entretient avec «son» parfum, que l’on soit une femme ou un homme.
Plus qu’un simple sent-bon, c’est un manifeste, une manière à la fois silencieuse et extrêmement parlante d’affirmer qui l’on est.
Et d’attirer les autres dans notre sillage.
Les voluptueuses, par Elisabeth de Feydeau, Flammarion.
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