Deux ans après le début de la guerre en Ukraine, la reconstruction en Belgique de la fondatrice de Marie Fresh Cosmetics

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La fondatrice de Marie Fresh Cosmetics s'offre une nouvelle vie en Belgique - Photo Artem Galkin

Il y a tout juste deux ans, l’armée de Poutine envahissait l’Ukraine. Maryna Kandziuba fait partie des personnes qui ont fui et se sont retrouvées par hasard en Belgique. Aujourd’hui, elle y dirige son label de produits de beauté, Marie Fresh Cosmetics, et aide ses compatriotes du mieux qu’elle peut. 

Cela fait à peine quatre heures qu’elle est rentrée de vacances et sa valise est encore posée dans le hall d’entrée. Maryna Kandziuba, 29 ans, vient de passer une année mouvementée et avait besoin de retrouver de la sérénité. En effet, après son divorce, elle a dû chercher un nouveau rythme avec ses jumeaux de 4 ans. Heureusement, la fondatrice de Marie Fresh Cosmetics a rapidement trouvé une maison à Boutcha, une ville située en périphérie de Kiev.  Sauf que ce jour-là, peu après 5 heures du matin, la nounou la réveille pour lui annoncer que la guerre vient d’éclater…

En ce jeudi 24 février 2022, l’armée russe envahit l’Ukraine. Des explosions fusent à Kiev, et des tirs sont rapportés dans le camp militaire proche. « En quelques heures, tous les aéroports ont été fermés », raconte Maryna, aujourd’hui âgée de 31 ans. « J’étais contente d’être rentrée à temps pour être auprès de mes enfants, même si je n’arrivais pas à en croire mes oreilles. Je me souviens d’avoir pensé naïvement que ce serait sûrement fini le lendemain. »

A l’époque, l’entrepreneuse est loin de se douter que, deux ans plus tard, elle racontera son histoire à un journaliste belge dans sa ville d’adoption, qu’elle ira ensuite rechercher ses enfants dans une école anversoise et qu’elle réalisera un test de langue à l’université en vue de commencer des cours de néerlandais. Mais avant cela, elle tient à raconter son parcours, autour d’un café.

Images d’apocalypse

Maryna Kandziuba, fille unique d’un couple d’entrepreneurs, se destinait à la dentisterie. Après des études achevées avec succès, elle travaille dans un cabinet dentaire, mais cela ne lui plaît pas. Elle s’inscrit à des cours du soir pour réaliser son rêve : fabriquer des produits de beauté. « J’ai toujours aimé analyser la liste d’ingrédients sur les boîtes, explique-t-elle en souriant. Quels sont leurs effets sur la peau ? Quelles crèmes conviennent le mieux à telle personne ? J’ai travaillé dans plusieurs salons et n’ai pas tardé à mener mes propres expériences. Dans ma cuisine, je composais des formules et vendais les crèmes de ma composition à des amis et des connaissances, parallèlement aux cours en ligne que je suivais à l’école londonienne Formula Botanica.”

En 2016, à l’âge de 24 ans, elle décide de faire le pas : elle lance son label, Marie Fresh Cosmetics. Un an plus tard, elle embauche un premier collaborateur. Petit à petit, sa marque devient ce qu’elle est aujourd’hui. Maryna compte plus de cinquante employés et un laboratoire qui fabrique 25000 produits par mois, connu pour ses ingrédients essentiellement d’origine naturelle. Ses produits de soin se retrouvent dans la salle de bains de milliers d’Ukrainiens. « Mes enfants sont nés en 2017, et c’était un vrai défi de maintenir le tout en équilibre alors que Marie Fresh Cosmetics prenait de l’ampleur. Je voulais être présente pour mes jumeaux, mais mon entreprise est mon troisième bébé. »

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Lorsque, en février 2022, sa ville se vide en raison de la fuite de milliers de gens, Maryna doit faire un choix elle aussi. « Mon responsable financier m’a appelée pour m’annoncer qu’il quittait Kiev. Il a proposé de payer immédiatement les salaires de mes employés pour qu’ils disposent de leur argent. Les files en direction de la frontière polonaise étaient interminables : certaines personnes ont passé des jours entiers dans leur voiture, dans l’espoir de partir là où elles seraient en sécurité. Au début, je ne voulais pas partir ; ma maison, ma vie et mon entreprise se trouvaient à Boutcha. Après quelques jours, j’entendais constamment les bombardements et j’ai appris que des citoyens se faisaient abattre en pleine rue et que des tanks russes tiraient sur les automobilistes. Nous devions partir. Comme je n’avais pas de voiture à cette époque, j’ai appelé mon ex-mari pour qu’il vienne nous chercher. Nous avons pu nous échapper en traversant le seul pont qui n’avait pas encore été détruit. Les rues étaient complètement désertées, on se croyait en pleine apocalypse. »

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Guerre et paradis

Depuis son logement temporaire dans les montagnes à l’ouest de l’Ukraine, Maryna suit les informations de près. Par le biais de Whatsapp, elle maintient le contact avec ses employés, qui sont tous sains et saufs. « Certains d’entre eux s’étaient retranchés dans leur maison et devaient faire fondre de la neige pour avoir de l’eau pour leur famille. Ils se nourrissaient d’un seul poulet pendant plusieurs jours. Cinq personnes ont complètement perdu leur maison. Après la libération de Kiev, en mai, nous avons vendu notre stock à leur profit », relate la jeune femme.

Maryna comprend qu’il est impossible de rester en Ukraine. « J’avais l’impression de trahir mon pays, mais mon instinct maternel a pris le dessus : je voulais protéger mes enfants et leur offrir une vie normale. Mais comment commencer une nouvelle vie si ce n’est pas ce qu’on recherchait  ? » Au bout de plusieurs tentatives pour trouver un toit pour une longue période à Varsovie et à Prague, elle tombe sur une habitation en Belgique. « J’ai cherché des logements payants, parce que je ne voulais pas priver d’une place les gens qui avaient moins les moyens. Mais aucun logement n’était libre immédiatement. Finalement, sur un site Web proposant des logements gratuits, j’ai trouvé un lieu à Tervuren. »

Les propriétaires de ce logement sont venus la chercher à Charleroi – un peu plus loin de Tervuren que le nom « Brussels South » ne le laissait croire, plaisante Maryna. « Ils avaient tout préparé pour nous : des serviettes de bain, des draps et de la nourriture pour les premiers jours. C’était un petit paradis, et je leur suis encore très reconnaissante pour leur aide. Tout semblait irréel, et cela n’a fait qu’aggraver mon sentiment de culpabilité. Alors que je vivais comme une reine, j’ai appris que la maison de mon voisin à Boutcha avait été complètement ravagée et qu’il avait perdu une jambe. »

Distribution de produits Marie Fresh Cosmetics

Pendant les mois suivant le retrait des troupes russes, de plus en plus d’employés de Maryna rentrent dans la capitale ukrainienne. A l’été 2022, la trentenaire retourne sur place quelque temps pour évaluer la situation et envisager la suite des choses. « Par miracle, notre usine avait été épargnée, et la production pouvait reprendre. Mais les nombreuses alertes aériennes et le fait que seules les quelques écoles équipées d’un abri antiaérien offraient un accueil m’ont dissuadée de laisser mes enfants grandir là-bas. Je me demandais si j’arriverais à temps auprès d’eux en cas d’urgence. » 

Elle n’hésite donc pas à rester en Belgique et dirige Marie Fresh Cosmetics depuis notre pays, à coups d’interminables visioconférences. « J’essayais de comprendre comment nous pourrions faire la différence sur place en tant qu’entreprise. Ainsi, nous avons commencé par envoyer du shampooing et du gel douche dans des hôpitaux pour aider les gens. Ensuite, sur les médias sociaux, nous avons lancé un appel à nos clients ukrainiens qui avaient besoin de produits gratuits. »

Durant l’automne 2022, un de ses collaborateurs lui envoie un message pour signaler qu’une unité militaire a un besoin urgent de vêtements chauds et de bottes. “Depuis la Belgique, je me suis mise à la recherche d’habits et de chaussures militaires, se souvient notre interlocutrice. J’ai demandé les tailles des soldats et ai envoyé vingt-cinq caisses vers l’Ukraine. J’étais aux anges lorsque j’ai reçu des photos des hommes habillés de leurs tenues bien chaudes. Même si ce n’était qu’une petite contribution. Quelques semaines plus tard, j’ai reçu un autre message de mon collègue : “Maryna, tu te rappelles de ces hommes qu’on a aidés ? Ils sont tous morts hier.” Dans des moments comme ça, on perd tout espoir. »

Un équilibre complexe

Maryna avoue en soupirant qu’elle en devient presque “schizophrène” : « Je vis à deux endroits différents en même temps. Dans ma tête, je suis en Ukraine, auprès de ma famille, de mes amis et employés, mais physiquement, je suis ici avec mes enfants, et mes défis personnels sont d’une tout autre mesure. Comment mes enfants s’adaptent-ils à leur nouvel environnement ? Comment recréer un réseau ? Puis-je trouver mon bonheur ici ? Est-ce que j’aide suffisamment ? Je suis déchirée entre mon sentiment de responsabilité et mon propre bonheur, et par conséquent, il m’arrive souvent de me trouver égoïste. Ma mère est déjà venue deux fois en Belgique et elle est vraiment contente que je puisse construire une vie sécurisante pour ma famille ici. Mes parents n’envisageraient jamais de quitter l’Ukraine, mais ils comprennent mon choix et à quel point celui-ci a été difficile. J’essaie de maintenir le lien de mes enfants avec l’Ukraine en leur permettant de rendre visite à leur père tous les six mois à Kiev et en leur parlant la langue. »

En novembre dernier, Maryna quitte Tervuren pour s’installer dans une maison qu’elle loue à Anvers. Après un an et demi dans notre pays, elle esquisse prudemment son avenir ici. « L’été dernier, j’ai fondé une société en Belgique parce qu’il s’est avéré difficile pour plusieurs partenaires européens de faire des affaires avec une entreprise ukrainienne en raison de la situation politique. Cela m’amuse d’entendre mon comptable énumérer les erreurs que je commets”, rigole-t-elle. Petit à petit, elle essaie de sonder les opportunités de marché pour ses produits ici, et parallèlement à cela, elle rêve de commercialiser sa propre ligne de maquillage naturel. Avec un partenaire comme bol.com, elle touche depuis peu des familles belges et néerlandaises. 

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Des illusions fragiles

A terme, elle voudrait utiliser la branche belge de son entreprise comme base et l’ukrainienne comme fournisseur principal. « Mais le temps en décidera. Actuellement, mes priorités sont ailleurs. S’il y a bien une chose que j’ai apprise, c’est que nos ambitions et réalisations matérielles ne sont que des illusions fragiles. La seule chose qui compte, c’est ce que nous sommes les uns pour les autres en tant qu’êtres humains. Si on est bienveillant et en bonne santé, on a déjà tout. »

Ces derniers mois à Anvers, l’entrepreneuse a essayé de se faire des amis, mais ce n’est pas facile avec son travail et ses enfants en bas âge. “Pour moi, c’était un vrai défi de trouver un cours de yoga en anglais et de faire la connaissance de plusieurs personnes avec qui je vais pouvoir tisser des liens. Comme quelqu’un s’occupe de la gestion quotidienne de l’entreprise en Ukraine, je peux réduire mon temps de travail pour me concentrer là-dessus et j’ai plus d’espace mental pour suivre les événements dans mon pays. Je continue à chercher comment je peux aider. La bataille n’est pas encore finie. » 

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