Votre crème de soin est-elle bonne pour votre moral?

neurocosmétique
La neurocosmétique s'intéresse à l'influence d'un parfum ou d'une texture de crème sur nos émotions © Getty
Isabelle Willot

Votre crème ou votre parfum peut-il influencer vos émotions? C’est le pari de ce que l’on appelle la neurocosmérique. Explications.

Depuis quelques années maintenant, ce que l’on appelle désormais la «neurocosmétique» s’intéresse de près aux messages que s’échangent en permanence le cerveau et la peau. Oubliée l’idée de ne travailler qu’avec des ingrédients agissant de manière topique sur un problème particulier – comme les rides, la sécheresse ou le manque d’éclat. Cette fois, c’est de bien-être qu’il est question. Et plus particulièrement de l’impact que celui-ci pourrait avoir – ou pas – sur la qualité de la peau. Et sur l’efficacité finale du soin que l’on applique.

On sait en effet que notre peau «parle» à notre insu des émotions que nous ressentons en dévoilant, souvent bien malgré nous, ce que nous pouvons avoir de la peine à formuler. Il y a bien sûr ce fameux glow qui rend si beaux les amoureux. Mais aussi les rides du front qui trahissent le stress. Sans parler des traits tirés par la fatigue et les insomnies.

Peau et cerveau connectés

«Il est tout à fait vrai de dire que notre cerveau et notre peau s’échangent en permanence des informations et ce de manière bi-directionnelle, précise Arnaud Aubert, docteur en psycho-neuro-immunologie et enseignant-chercheur à l’université de Tours, en France. Dès la vie fœtale, il existe donc un lien extrêmement fort entre ces deux organes qui ont une origine embryonnaire commune. La peau, par exemple, peut envoyer des informations sensorielles liées à la température, à des picotements, à une douleur qui vont influencer nos émotions selon que l’on ressent de l’inconfort ou du plaisir.»

Crème Multi-Active Nuit, Clarins, 84 euros les 50 ml.

De l’autre côté, des émotions comme le stress ou la colère se traduisent aussi en état corporel. Au niveau de la peau, cela peut donner lieu à une production excessive de sueur ou de sébum, des crises d’eczéma, des rougeurs. «Tout cela se passe par le biais des neuromédiateurs », poursuit Arnaud Aubert, qui est également directeur scientifique du laboratoire indépendant EmoSpin, spécialisé dans l’analyse des émotions.

La force des neuromédiateurs

Parmi les plus connus, on peut citer la dopamine, la sérotonine, le cortisol. « Ces «agents de communication» sont synthétisés et libérés par les neurones, ajoute Arnaud Aubert. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ceux-ci ne se trouvent pas que dans le cerveau. Une crème fondante et parfumée que l’on applique sur la peau peut donc effectivement activer des neuromédiateurs au niveau de celle-ci.»

Ce n’est pas pour rien que les marques – de luxe en particulier – s’intéressent de près à la neurocosmétique. Elles multiplient les tests pour développer des parfums et des textures sensorielles que l’on a envie d’appliquer. Et si ce n’est pas nouveau, elles sont désormais de plus en plus nombreuses à en revendiquer les effets sur notre bien-être. Et surtout à chercher à le démontrer, études scientifiques à l’appui.

Un meilleur sommeil

Ainsi Clarins a choisi l’an dernier d’apporter une attention toute particulière au choix des parfums respectifs développés pour la nouvelle gamme de soins Multi-Active Jour & Nuit. «Nos tests développés en collaboration avec un médecin expert dans le domaine du bien-être et du stress ont pu démontrer que notre parfum de jour réduisait de 20% le niveau de stress ressenti alors que le parfum de nuit améliorait la qualité du sommeil de 41%», pointe Marie-Hélène Lair, chargée de la communication chez Clarins.

Masque revitalisant au camélia rouge N°1, Chanel, 96 euros les 50 ml.

En 2009 déjà, Chanel ouvrait un premier laboratoire dédié à l’étude des émotions et possède depuis 2020 un pôle «neurosciences» pour développer sa neurocosmétique. En collaboration avec l’université de Besançon, la maison parisienne a utilisé un outil de mesure utilisant un électroencéphalogramme. Celui-ci permet d’analyser les zones du cerveau activées à la vue ou lors de l’application d’un produit. Et de traduire ainsi la nature et l’intensité des émotions ressenties.

Le boom de la neurocosmétique

Chez Shiseido, une étude réalisée avec une IRM en collaboration avec l’université métropolitaine de Tokyo aurait même permis de démontrer une analogie insoupçonnée entre l’activité neuronale lors de l’utilisation des cosmétiques et celle des différents stades… d’une relation amoureuse: la découverte d’un produit inconnu agréable activerait la zone du «coup de foudre» là où un soin déjà connu et apprécié nous amènerait dans l’état de sécurité ressenti par un couple stable.

‘Le soin reconnecte les gens à leurs ressentis. Il touche à l’intime.’

Lancée en 2024 et arrivée en Belgique en mai dernier, Neuraé se pose en pionnière de la neurocosmétique. Et entend bien aller encore un pas plus loin en développant ce qu’on appelle des «neuroactifs». Soit des ingrédients cosmétiques encourageant justement les messages émis pour les «bons» neuromédiateurs et freinant à l’inverse l’apparition de ceux qui génèrent du stress ou de la douleur.

«Nos réactions à nos émotions – tristesse, stress, fatigue – vont modeler notre visage et impacter son architecture et son harmonie, pointe Elise Létang, directrice marketing de Neuraé. Si notre peau pâtit des messages négatifs que lui envoie notre cerveau, l’inverse est vrai aussi. C’est sur la qualité de ces échanges que nous voulons agir justement.»

Un bien-être mesuré

Cette marque française du groupe Sisley – dont le nom provient du grec neuron en référence au système nerveux et du suffixe aé pour «activation émotionnelle» – propose à ce jour une gamme courte composée de cinq soins et de trois parfums boosters. Un sérum et une huile que l’on pourrait qualifier d’universels servent de base à la suite de la routine qui corrigera elle une émotion particulière, plus ou moins délétère pour notre peau.

Afin de déterminer si les crèmes apportent bien un supplément de joie, de sérénité ou d’énergie, les chercheurs de Neuraé ont fait appel à Gordy Pleyers, professeur d’études consommateurs et de neuromarketing à la Louvain School of Management (UCLouvain). Cet expert en analyse des réactions suscitées par différents types de produits a mis au point un protocole rigoureux.

Sérum activateur énergisant Ultimune, Shiseido, 155 euros les 75 ml.

«Nous avons par exemple standardisé les conditions d’utilisation, neutralisé les influences de nombreux facteurs, et induit des états émotionnels précis avant l’utilisation des produits afin de pouvoir analyser rigoureusement dans quelle mesure et dans quelles conditions cette utilisation agit sur le bien-être», explique-t-il. Résultat? Une amélioration significative du bien-être, supérieure à celle du groupe contrôle ayant utilisé des soins neutres (voir notre encadré).

Passer au détecteur de mensonge

«La mesure des émotions est possible mais c’est une tâche multidimentionnelle, renchérit Arnaud Aubert. Vous pouvez demander à la personne de verbaliser ce qu’elle ressent dans un questionnaire mais ce sera forcément subjectif. Il vaut mieux se référer à des signes physiologiques qui accompagnent systématiquement l’émotion ».

Cela peut être très subtil, à la limite même de l’inconscient. « Pour cela vous allez mesurer une fréquence cardiaque, la fréquence électrodermale – c’est le boulot du «détecteur de mensonge» qui mesure une augmentation de la conductivité de la peau –, la température corporelle voire même des dosages hormonaux qui permettent de détecter la présence d’ocytocine ou de cortisol dans la salive par exemple », détaille-t-il. Ajoutez à cela tout ce qui touche la communication dite non verbale comme les mimiques faciales, la fuite du regard, la tonalité de la voix.

Pas un antidépresseur

«Attention toutefois aux raccourcis dangereux, gronde Arnaud Aubert. Une crème de neurocosmétique ne soignera jamais votre dépression. Elle ne modifiera pas non plus directement la neurochimie cérébrale car dans ce cas-là vous auriez affaire à un médicament et plus à un produit cosmétique. En revanche l’impact même indirect des effets sensoriels et émotionnels des cosmétiques est lui bien réel.»

Crème hydratante récupération Nuit Minéral 89, Vichy, 28,50 euros les 50 ml (en pharmacie).

La force de la neurocosmétique réside donc bien dans sa capacité à faire du «moment soin» un rituel sensoriel complet. «Le plaisir que l’on s’accorde en se touchant notamment, le temps que l’on s’octroie, tout cela participe à l’estime de soi, ajoute Marie-Hélène Lair. Le soin reconnecte les gens à leurs ressentis. Il touche à l’intime.»

Pour Arnaud Aubert, tout cela pourrait même booster l’efficacité purement cosmétique d’un produit. «Si vous êtes convaincus des effets de votre crème, si vous vous sentez valorisé lorsque vous l’utilisez parce que vous passez un moment de qualité, les répercussions ne pourront être que positives. Plutôt que d’effet placebo, je préfère d’ailleurs parler de synergie. En Asie par exemple, ce sont des concepts qui sont davantage acceptés et compris que chez nous.»

Se réinvestir

Comme le précise encore notre chercheur, ce n’est pas un hasard si cette prise de conscience aujourd’hui étayée par la science a connu un coup de boost lors du Covid. «Du jour au lendemain, les gens se sont retrouvés face à eux-mêmes, sans plus être définis par un regard extérieur. Et ils se sont demandés: «Quand je me retrouve seul, qu’est-ce qui m’aide ou pas à me sentir bien?» Ce besoin de se recentrer, ce n’est pas purement narcissique. C’est aussi un moyen de se réinvestir.»

L’émulsion euphorisante & éclat Joie, Neuraé, 130 euros les 50 ml (en exclusivité chez Ici Paris XL).

Alors que la santé mentale devient un enjeu sociétal majeur, la neurocosmétique et par extension même tous les rituels holistiques – massages, médiation … – qui favorisent le bien-être pourraient sans doute nous aider à mieux gérer au quotidien notre charge émotionnelle. Et tant mieux si dans le miroir, notre peau nous le rend bien.

4 questions à Gordy Pleyers, professeur de neuromarketing à l’UCLouvain

Peut-on réellement «mesurer» le bien-être?

On pourrait penser qu’il suffit par exemple de demander à une personne d’estimer son bien-être sur une échelle de 0 à 10. Ce serait négliger le fait que le bien-être est un concept non seulement très subjectif mais aussi multidimensionnel. C’est pourquoi nous avons mis en place une méthodologie complexe examinant une large combinaison d’indices psychologiques et physiologiques. Pour ne prendre qu’un seul exemple de paramètre facile à vulgariser, nous avons mesuré le rythme cardiaque car il peut être un bon indicateur de l’évolution vers un état de stress ou à l’inverse de relaxation.

Comment vous y êtes-vous pris concrètement?

Concernant la procédure de ces études complexes, je peux vous donner quelques exemples. Avant l’utilisation des produits, nous avons dû standardiser l’état psychologique des participants, c’est-à-dire les plonger tous dans un état de départ assez équivalent. Cela pour éviter que l’étude soit «contaminée» par le fait que des participants arrivent dans des états différents, pouvant être dus par exemple à des événements qu’ils venaient de vivre, comme un embouteillage stressant, ou à l’inverse le fait d’avoir appris une bonne nouvelle. Cet état de départ était par ailleurs différent d’une étude à l’autre: il pouvait s’agir par exemple d’un état de tristesse ou alors d’anxiété. Cela a permis de différencier les impacts de l’utilisation des produits en fonction des états psychologiques initiaux.

Quid de la manière dont les produits étaient appliqués?

Un autre exemple d’aspect méthodologique important est que nous avons dû «standardiser» la façon dont les produits ont été utilisés, c’est-à-dire veiller à ce que tous les participants utilisent les produits de la même manière, en suivant une séquence bien définie.

L’étude que vous avez réalisée pour Neuraé a-t-elle pu démontrer les impacts positifs annoncés sur le bien-être des participants?

En effet, l’évolution du bien-être s’est avérée positive et de façon plutôt cohérente avec les attentes par rapport aux différents produits en termes d’augmentation d’états de joie ou d’énergie, ou de réduction d’état de stress. Et les différences ont été significatives par rapport à des groupes de participants ayant suivi exactement la même procédure mais avec des produits «neutres», inodores et contenant des ingrédients basiques.

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