Le rouge à lèvres, nouvel accessoire des grands noms du luxe?

louis vuitton beauté
Pat McGrath s'est penchée sur les archives de la maison pour créer nuances de rouges pour toutes les carnations.
Isabelle Willot

Une collection de 55 rouges à lèvres signe l’arrivée de Louis Vuitton dans le maquillage. Après Hermès, Gucci et Prada, le N°1 du luxe lance sa ligne beauté pilotée par la make-up artist star Pat McGrath.

L’attente, dit-on, fait monter le désir. Ce 25 août, les fans de la maison Louis Vuitton ont enfin vu leur patience récompensée: 55 bâtons de rouge à lèvres monogrammés – un chiffre qui ne doit rien au hasard puisqu’il s’écrit LV en chiffres romains – signent l’arrivée de Louis Vuitton dans l’univers du maquillage. La gamme (lire par ailleurs), appelée à grandir dans les années à venir, accueillera aussi dès à présent 10 baumes à lèvres et 8 harmonies chromatiques d’ombres à paupières.

Les rouges à lèvres Louis Vuitton seront rechargeables

Le secret du succès, lorsqu’on se lance ainsi dans un nouveau métier, est sans nul doute de savoir bien s’entourer. Comme il l’avait fait pour le parfum en choisissant Jacques Cavallier-Belletrud, le malletier français a confié la direction de la création maquillage à l’une des make-up artists les plus influentes de l’industrie. Réputée pour ses maquillages disruptifs – son look «glass skin» devenu viral après le défilé haute couture printemps-été 24 de Maison Margiela en est un bel exemple –, Pat McGrath développe aussi depuis 2015 ses propres produits au sein de sa marque éponyme Pat McGrath Labs.

Un chiffre d’affaires en plein boom

«Le luxe dans le maquillage, c’est la parfaite combinaison entre la performance, l’artisanat et la sensorialité», assure-t-elle. Ajoutez-y aussi une bonne dose d’audace pour se démarquer dans un secteur qui frise tout doucement la saturation. Si, dans le monde feutré du luxe, le maquillage est longtemps resté l’apanage d’une poignée de marques de premier plan comme Dior, Chanel, Givenchy ou Yves Saint Laurent, tous les ténors de la mode veulent désormais leur part du gâteau.

La nouvelle collection beauté d’Hermès

Hermès trace ainsi son sillon depuis déjà cinq ans, suivi depuis lors par Valentino, Céline, Dries Van Noten, Rabanne et Prada qui sera disponible en Belgique dès 2026. Tout aussi attendus en 2025 que le rouge à lèvres Louis Vuitton, la sortie d’un nouveau parfum Miu Miu et le retour de Marc Jacobs Beauty relancent aussi les rumeurs tenaces de l’arrivée sur ce terrain de Balenciaga. Et les enjeux sont de taille: le cabinet McKinsey estimait ainsi en 2023 que l’axe parfum-cosmétique du très haut de gamme pourrait voir son chiffre d’affaires doubler d’ici 2027 en passant de 20 à 40 milliards de dollars…

Un rôle prescripteur

«Depuis plusieurs saisons, le phénomène s’est accéléré, admet Elsa Durieux, cheffe de projet prospective & stratégies créatives pour le bureau de conseil Leherpeur Paris. Ce n’est pas un simple effet de mode mais une réponse stratégique à un contexte en mutation. En marge du renouvellement générationnel, on assiste en effet à une inflation du prix des pièces iconiques, à un désir de diversification des revenus et une volonté de réaffirmer un rôle de prescripteur face à l’influence grandissante des marques de beauté nouvelle génération comme Ilia, Westman Atelier, Merit ou Victoria Beckham».

Le baume bestseller de Prada

Finalement rattrapée par une conjoncture économique défavorable et par des tensions géopolitiques anxiogènes, l’industrie du luxe – à l’exception notable d’Hermès – affiche depuis deux ans déjà des résultats en berne. Dans sa dernière étude publiée début juillet, le cabinet de conseil Boston Consulting Group avance deux hypothèses pour justifier cette désaffection.

Des prix à la hausse

Alors que les VIC – pour very important clients –, qui ne représentent qu’une infime minorité des acheteurs, se disent «fatigués» d’un luxe plus assez premium à leur goût, les clients dits «aspirationnels» ont vu leur poids chuter drastiquement ces dernières années: selon l’enquête de BCG, 35% d’entre eux auraient ainsi stoppé ou diminué leurs achats ces 12 derniers mois, préférant privilégier l’épargne, des dépenses liées au bien-être ou à la longévité ou encore la seconde main.

Un étui bijoux pour le rouge à lèvres Dior


«La perte de pouvoir d’achat d’une partie de la classe moyenne conjuguée à l’augmentation en flèche du prix des accessoires mais aussi des parfums qui ont longtemps été la porte d’entrée du luxe imposent aujourd’hui aux maisons de proposer à cette clientèle un nouveau produit d’appel, pointe Angy Geerts, professeure de marketing à l’UMons. A ce jeu-là, le rouge à lèvres a tout bon car c’est aussi le produit parfait pour attirer une clientèle plus jeune. La Gen Z bien sûr mais aussi la génération Alpha qui ont un rapport au luxe bien plus décomplexé que leurs aînés.»

Un potentiel viral assuré

Désormais moins cher qu’un parfum – à titre d’exemple, là où un bâton de Rouge Coco coûte 55 euros, il faut compter 85 euros pour un flacon de 30 ml de Coco Mademoiselle -, le rouge à lèvres est aussi plus «visible», ce qui en fait un produit à très haut potentiel de viralité sur les réseaux sociaux. «Longtemps, les défilés de mode avaient un rôle prescripteur sur les looks portés par les femmes au quotidien, note Christel Trosch, consultante en communication chez So Mind Press. Aujourd’hui, tout va partir des micro-tendances qui naissent sur le Web et qui peuvent transformer un produit en «must-have» presque instantanément.»

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Ces «buzz» d’ailleurs ne doivent rien au hasard: ainsi, selon Harper’s Bazaar, pour son lancement aux Etats Unis en 2023, Prada Beauty aurait sélectionné pas moins de 10.000 influenceurs présentant à la fois une «élégance décalée» et une «sophistication ludique» pour promouvoir son baume à lèvres Astral Pink. Ce produit repéré aussi dans le clip Please Please Please de l’égérie de la marque Sabrina Carpenter s’est retrouvé en rupture de stock aux US moins de 72 heures après la sortie du spot. «Le rouge à lèvres, en attirant plus particulièrement l’attention sur la bouche, reste un symbole ultime de séduction et ça n’a rien d’anodin», pointe encore Christel Trosch.

Pas de saison pour le rouge

«Contrairement à la mode, un produit de maquillage n’a pour ainsi dire pas de saison, détaille la make-up artist Florence Teerlinck. Ce qui coûte le plus cher ici, ce n’est pas le prix de revient du produit lui-même mais le marketing. Si vous prenez les rouges à lèvres, qui comptent parmi les produits les plus faciles à formuler, une fois que vous avez lancé une ligne de couleurs assez extensive, il suffit de lâcher de temps en temps quelques coloris en édition limitée.»

Pour son rouge premium, Chanel mise sur un étui rechargeable en verre.

La maquilleuse belge, qui officie backstage depuis plus de dix ans auprès d’Inge Grognard et de Peter Philips, entre autres, voit aussi d’autres avantages dans le choix stratégique du rouge à lèvres pour asseoir son expertise dans le secteur. «Il convient à tous les types de peau et reste le plus facile à appliquer par un consommateur même peu expérimenté. On aura également envie d’en acheter plusieurs pour l’assortir à sa tenue. C’est aussi un bel objet que l’on emporte avec soi et que l’on sort de son sac pour le montrer.»

L’art du pigment, selon Louis Vuitton

«Après avoir travaillé pendant plus de vingt ans dans les backstages des défilés de Louis Vuitton, je suis ravie de jouer un rôle clé dans ce lancement, se réjouit Pat McGrath. Ce que nous créons ici va bien au-delà du simple produit: nous élevons la beauté de luxe à un tout autre niveau.» Pour ce faire, la maison a mis les grands moyens. Aux côtés de la make-up artist star, on retrouve son maître parfumeur Jacques Cavallier-Belletrud, qui signe ici un sillage exclusif pour le rouge à lèvres – un accord mimosa, jasmin et rose – et le baume – des notes gourmandes de menthe et framboise.

Un design soigné

Designés dans le style minimaliste qu’on lui connaît, les objets pensés par Konstantin Grcic ont pour code commun un anneau doré qui s’inspire des garnitures en laiton des malles emblématiques de Louis Vuitton. Différents accessoires de maroquinerie accompagneront d’ailleurs le lancement, comme des étuis à pinceaux de maquillage ou des pochettes proposées en édition limitée avec les trois teintes iconiques de la ligne LV Rouge.

Des teintes flatteuses pour tous

«Le rouge à lèvres, c’est une présence, une signature en un seul geste, insiste Pat McGrath. C’est ainsi que les femmes s’affirment dans le monde.» Chacune des 55 teintes – 27 satinées, 28 mates –, méticuleusement choisie par elle se veut universellement flatteuse. Sous une pigmentation intense, la formule enrichie en cires naturelles, en beurre de karité et en acide hyaluronique garantit tenue et confort. Tout comme les 10 baumes qui se présentent comme une garde-robe plus discrète qui nourrira les lèvres tout en les sublimant. Quant aux 8 harmonies d’ombres à paupières, elles rassemblent chacune 4 teintes sous un même boîtier: trois tons portables au quotidien, flanqués d’une nuance plus inattendue.

Les marques d’ailleurs l’ont bien compris, elles qui soignent de plus en plus le design de leurs contenants désormais réutilisables. Dior, Hermès et Guerlain sortent ainsi chaque saison des capots en édition limitée, n’hésitant pas, même, parfois, à faire appel à des joaillers pour concevoir ces étuis d’exception. «Le rouge à lèvres est devenu un objet de distinction, assure Elsa Durieux. En 2023, Chanel était la première maison à explorer le verre.»

Un design soigné

Louis Vuitton a pour sa part choisi de faire appel à Konstantin Grcic pour le design de sa ligne beauté et prévoit de lancer également de la maroquinerie dédiée. «Le rouge à lèvres quitte l’univers strictement cosmétique pour devenir un accessoire de mode à part entière, poursuit notre experte. Dans un contexte où les sacs emblématiques des marques atteignent des prix inaccessibles pour beaucoup, ces «petits objets de luxe» s’imposent comme une porte d’entrée dans l’univers des grandes maisons. On passe de l’achat statutaire «lourd» à l’achat plaisir «accessible» porteur de marque, de valeur et de distinction.»

En même temps que sa première ligne de parfums, Dries Van Noten a sorti des rouges à lèvres rechargeables

La beauté devient ainsi un véritable levier pour enrichir l’univers de la marque. Beaucoup d’ailleurs font le choix désormais d’une distribution sélective dans leurs propres flagship stores, voire même en créant des Maisons de Beauté, comme l’ont fait Chanel à Anvers et plus récemment à Paris, et Dries Van Noten à Paris et Anvers. «En plus d’être une source potentielle de nouveaux revenus, ces lignes de maquillage servent aussi l’héritage narratif des grands noms du luxe », ajoute Christel Trosch, qui, avant d’ouvrir son agence, a travaillé plus de vingt-cinq ans à la communication du groupe LVMH.

Pour notre experte, « ce storytelling qu’ils maîtriseront d’autant mieux dans leurs propres points de vente les légitimise et est essentiel au maintien de leur statut. En ce sens, s’offrir les services de make-up artists renommés assoit aussi leur crédibilité technique mais aussi artistique.»

Des années d’expérience backstage

La maison Chanel, présente sur ce marché depuis plus de cent ans, travaille ainsi depuis 2022 avec Valentina Li, Cécile Paravina et Ammy Drammeh, trois jeunes talents qui composent le collectif Comètes. «Chez Dior, Peter Philips a fait un boulot extraordinaire avec la ligne Backstage qu’il a imaginée, s’enthousiasme Florence Teerlinck. Il est parvenu à traduire les produits que les pros utilisent en une collection désirable et facile à utiliser par le consommateur. Et en plus, il en parle très bien.» Pour Elisa Durieux, ces maisons reproduisent ce qu’elles font en mode en s’entourant de directeurs créatifs qui ont fait leurs preuves pendant des années sur les défilés.

Louis Vuitton proposera aussi de la maroquinerie dédiée

«Des profils comme Gregoris Pyrpylis chez Hermès, Lynsey Alexander chez Prada ou Sam Visser chez Yves Saint Laurent apportent une vision mais aussi une exigence. Ils reconnectent les lignes de maquillage aux podiums, aux tendances et à la culture visuelle de leur époque.» En ce sens, le choix de Pat McGrath par Louis Vuitton n’a rien d’anodin. «Son nom et son talent résonnent et rayonnent dans l’univers de la beauté mais aussi de la mode», ajoute-t-elle.

Un challenge attractif

Après avoir œuvré pendant plus de vingt ans en coulisses des shows de la marque au monogramme, la Britannique anoblie en 2014 par la reine d’Angleterre «pour ses services à l’industrie britannique de la beauté et de la mode» n’a pas l’intention de se reposer sur ses lauriers. «Dans le développement d’un produit, j’ai toujours été obsédée par le moindre détail: la texture idéale, la méthode d’application précise, la juste intensité de couleur, prévient-elle. J’aime toujours repousser les limites – et ce nouveau challenge ne fera pas exception.»

LV Rouge et baume complet, 140 euros (60 euros la recharge)
LV Ombres, 220 euros (80 euros la recharge)

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