Lampes fétiches: ces experts de la lumière nous parlent de leur objet préféré

Caroline Notte
Kathleen Wuyard

Designers, architectes, galeristes ou encore décorateurs, ils manient la lumière au quotidien et ont accepté de partager avec nous leur modèle de lampe fétiche, entre fonctionnalité et esthétisme.

Caroline Notté © MANUEL MENDOZA

Caroline Notté, architecte et interior designer

C’est à celle qui se décrit comme «magicienne de l’instant décisif» que l’on doit notamment l’aménagement de l’ancien restaurant étoilé Bon-Bon, mais aussi un cabinet de collectionneurs où elle expose la crème de la crème du design. Dernier focus en date: les lampes Smalto Astratto d’Adélie Ducasse.

«Pour moi, une bonne lampe doit être intemporelle: elle traverse les époques en réussissant à rester amusante et intéressante. J’ai des goûts éclectiques et une tendance à éviter les modèles trop commercialisés, édités à des millions d’exemplaires. Ce qui n’est pas le cas de la CG01 de Christophe Gevers. Je ne connaissais pas bien son travail jusqu’à ce qu’Axis71, qui la réédite, me propose de choisir une nuance pour la réédition. J’adore la couleur, mais Gevers travaillait tout ce qui était brut, donc j’ai opté pour trois finitions dont une en acier Corten, «Corten éternel», que je pense que son concepteur aurait adorée. Cette lampe est très sensuelle, elle mélange un côté assez organique et une ligne minimaliste. Elle a des proportions particulières, elle n’est pas très grande sans être vraiment une lampe de lecture pour autant: c’est plutôt un modèle d’ambiance, comme un petit cocon. Comme elle est à la fois gracieuse et solide, cela veut dire aussi qu’elle est un peu lourde. Au fond, c’est presque plus une petite sculpture qu’une lampe. J’aime qu’elle permette de travailler une luminosité subtile: il n’y a rien de pire que l’effet «trous à fromage» où on multiplie les spots chez soi comme on le ferait dans un magasin! C’est important de toujours penser à comment la lumière va être reflétée: si elle est purement blanche, ce n’est pas intéressant.»

CG01 de Christophe Gevers, prix sur demande, axis71.com

Jonathan Honvoh et Rodrigue Strouwen alias Twodesigners
Jonathan Honvoh et Rodrigue Strouwen alias Twodesigners © MANUEL MENDOZA

Jonathan Honvoh et Rodrigue Strouwen, alias Twodesigners architectes d’intérieur

Passés d’amis à collègues, les deux fondateurs de l’agence créative liégeoise Twodesigners marient design et architecture d’intérieur dans des espaces au caractère distinctif, dont la Grand Poste et le restaurant étoilé Toma.

«Plus qu’une simple lampe, la One Line d’Artemide, dessinée par Ora-ïto, symbolise le début de notre carrière. C’est la première lampe qu’on a installée dans un espace, parce qu’on était très inspirés par le travail d’Ora-ïto autour du numérique, mais aussi et surtout parce qu’on la trouvait super belle. Son nom dit tout d’elle: c’est un objet aux lignes très pures et à l’aspect un peu futuriste, avec le trait rouge lumineux qui se trace quand elle est allumée et qui rappelle la villa sur la pochette de l’album 10000 hz Legend d’Air, dessinée par Ora-ïto elle aussi. La lampe a un profil très sexy, et pour nous, à l’époque de sa sortie, elle incarnait l’élégance la plus parfaite. Quinze ans plus tard, même si on s’est quelque peu lassés de son esthétique un peu trop début des années 2000, cela reste notre lampe fétiche. Elle est aussi belle que fonctionnelle et est l’exemple par excellence d’un objet qui souligne l’atmosphère sans être trop présent visuellement. Si on devait l’acheter à nouveau aujourd’hui, on le ferait, mais plutôt comme objet de collection: elle fait partie de l’histoire du design des lampes et n’est plus éditée, donc c’est devenu une pièce rare.»

One Line par Ora-ïto pour Artemide, vintage dès 250 euros sur selency.com

Julie Engels Palma
Julie Engels Palma © MANUEL MENDOZA

Julie Engels Palma, architecte

A la tête de son propre bureau, le Studio P Architects, la Bruxelloise signe des résidences à l’élégance intemporelle, de notre capitale à Chicago en passant par les Alpes suisses.

«Il y a beaucoup de lampes que j’adore, mais la Tizio d’Artemide, dessinée par Richard Sapper en 1972 et exposée au MET, est une de mes préférées. Elle a beau avoir plus de 50 ans, elle reste intemporelle. Elle projette une lumière magnifique de chaque angle où on l’observe, ce qui n’est qu’un de ses nombreux avantages: elle a été pensée pour être extrêmement fonctionnelle, entre longueur ajustable et base pivotante qui permettent de l’adapter à son environnement. Je ne lui trouve aucun inconvénient! Quand on achète une lampe, c’est important de veiller à ce qu’elle soit aussi belle allumée qu’éteinte. Parfois, on a un coup de cœur pour un design, puis une fois qu’on l’allume, on réalise que la lumière qu’elle diffuse ne contribue pas à la beauté de l’objet… En règle générale, j’aime jouer avec un mélange de lampadaires, lampes de tables et spots, pour obtenir une ambiance plus nuancée et contraster les niveaux de lumière. Mais c’est ma préférence personnelle: à chacun de déterminer la quantité de lampes dont il a besoin en fonction de ses goûts et de l’espace à illuminer.»

Tizio d’Artemide, dès 320 euros, artemide.com

Sébastien Caporusso
Sébastien Caporusso © MANUEL MENDOZA

Sébastien Caporusso, designer et architecte d’intérieur

Elu Designer de l’Année 2021 par nos soins, le Bruxellois vient d’exposer au prestigieux salon de design PAD, à Paris, et a vu une de ses tables basses faire la couverture d’une monographie consacrée aux intérieurs de collectionneurs (*).

«La Mai est une lampe sur laquelle j’ai travaillé il y a deux ou trois ans et qui s’inscrit dans une série de pièces uniques avec à chaque fois un socle en marbre, un piétement en laiton habillé de corde et un abat-jour en céramique. J’avais envie de quelque chose d’assez doux, comme un totem fait de matières naturelles travaillées à la main, dans un esprit chaleureux et généreux. C’est un modèle que j’ai pas mal réfléchi, prototypé et dessiné. Il évolue avec le temps et est appelé à se réincarner dans différents formats, hauteurs et largeurs. C’est une lampe qui est discrète, mais qui a malgré tout une identité forte dans ses matériaux et sa présence. Elle est faite de matériaux lourds, donc une fois qu’elle est placée, elle ne bouge plus, mais l’avantage, c’est que c’est un objet quotidien à la fois usuel et sculptural. Les lampes sont agréables à concevoir parce qu’on peut se lâcher davantage sur l’esthétique, ce n’est pas comme dans le cas d’une chaise ou d’un fauteuil, où c’est la fonctionnalité et le confort qui priment sur la réflexion sculpturale. Pour moi, une bonne lampe doit pouvoir être utilisée dans plusieurs espaces, s’intégrer dans différents univers, et ne pas être figée dans son temps.»

Mai, 3 200 euros, pièces uniques sur commande sur sebastiencaporusso.com

(*) Homes for Collectors, par Jan Verlinde et Thijs Demeulemeester, Lannoo.

Rebecca Verstraete
Rebecca Verstraete © MANUEL MENDOZA

Rebecca Verstraete, interior designer

Depuis l’agence d’architecture d’intérieur anversoise qui porte son nom, Rebecca Verstraete met sa patte sur espaces privés et publics, dont le luxueux hôtel Botanic Sanctuary, ouvert dans un monastère du XVe siècle rénové à deux pas du Meir.

«La première fois que j’ai vu la lampe Monroe de Bessa Design, c’était lors d’une foire, il y a des années, et ça a été le coup de foudre immédiat. Je la trouve d’une beauté et d’une élégance incroyables. D’ailleurs, après l’avoir installée chez plusieurs clients, je viens d’en acheter une version bronze et rouge pour chez moi! C’est une lampe qui allie fonctionnalité et raffinement et qui tient presque plus de l’objet de design que du luminaire, même si elle diffuse une très belle lumière aussi. Dans mes projets, la lumière joue un rôle aussi important que la décoration: avec le mauvais éclairage, un intérieur, aussi beau soit-il, ne ressemblera à rien. Je déteste quand la lumière est trop blanche et je préfère espacer les sources lumineuses pour créer une ambiance. La mauvaise couleur de lumière peut rendre tout laid. J’opte toujours pour le «blanc chaud», je suis convaincue qu’il vaut mieux une nuance trop chaude plutôt que trop froide. Une belle lampe représente souvent un investissement, mais elle a aussi le pouvoir d’attirer le regard et de transformer une pièce, donc ça en vaut la peine.»

Monroe de Bessa Design, prix sur demande, bessadesign.com

Dieter Vander Velpen

Dieter Vander Velpen, architecte

Suivi par plus de 128 000 personnes sur Instagram, l’architecte anversois exerce ses talents de la Belgique aux Etats-Unis. Chez nous, on lui doit notamment la déco du restaurant The Jane, mais aussi de LAB, une salle de fitness haut de gamme inaugurée récemment dans la cité scaldienne.

«Sharks est une installation monumentale avec laquelle j’ai une connexion particulière. C’est un modèle qui a débuté en tant que sculpture lumineuse pour une habitation à Anvers, et dont le développement m’a demandé beaucoup de temps et d’énergie. Le chef Nick Bril a vu une partie de la lampe à Collectible, à Bruxelles, et il a eu un coup de cœur. Quand il m’a contacté pour savoir si j’accepterais d’en concevoir une version pour son restaurant, le projet m’a immédiatement séduit: The Jane est un des plus beaux et des meilleurs restaurants au monde, et c’est toujours agréable de collaborer avec quelqu’un qui a autant le souci du détail que Nick. J’ai immédiatement dit oui, mais à condition que ce ne soit pas une réplique de celle de la maison de mes clients: la leur est noire, et celle du Jane est dorée. J’ai profité du fait que la cuisine soit installée dans l’ancienne chapelle, avec beaucoup d’espace sous plafond, pour imaginer une composition qui donne l’impression que les requins nagent dans l’air. Chacun d’entre eux pèse environ 40 kilos, ce qui a nécessité une installation très complexe. Quand il faut remplacer une ampoule, c’est acrobatique! Pour moi, c’est son seul inconvénient. Du reste, on est sur une pièce qui restera belle même si les tendances changent. Dans un intérieur, on change plus souvent les meubles qu’une lampe, donc c’est important d’opter pour des modèles intemporels. L’aspect visuel est important, mais il ne doit pas être trop contraignant. La lampe doit s’adapter harmonieusement dans la pièce, et non l’inverse.»

Sharks de Dieter Vander Velpen, dietervandervelpen.com

Ilse Cornelissens © MANUEL MENDOZA

Ilse Cornelissens, fondatrice de Graanmarkt 13

Au sein du concept store anversois qu’elle a créé avec Tim Van Geloven, cette passionnée de design rassemble ses trouvailles mode, beauté et déco dans un écrin signé Vincent Van Duysen.

“J’ai découvert la Ripple Lamp de Lobmeyr au Salone del Mobile, où elle était présentée dans une sorte de chapelle dans laquelle sa lumière se reflétait sur les murs avec une fluidité envoûtante. On vient de quitter Amsterdam pour revenir habiter à Anvers, et elle n’a pas encore retrouvé sa place parce que je n’ose pas la mettre dans la boutique. Dans notre ancienne maison, on lui avait trouvé l’endroit idéal, en hauteur, pour éviter que des petites mains curieuses n’y chipotent. Elle n’est jamais plus belle que quand on l’installe à même le sol, mais avec des enfants, c’est risqué! C’est une pièce exceptionnelle, que je n’ai jamais vue chez quelqu’un d’autre: j’ai envie qu’on puisse la transmettre à nos enfants et qu’un d’eux la chérisse à son tour. Elle est très hypnotique, c’est comme si on regardait la mer et le mouvement des vagues. Elle donne une ambiance unique à la pièce et amène aussi une incroyable sensation de calme. Chez nous, on l’avait installée dans la pièce où je faisais du yoga et la lampe bougeait en même temps que moi, c’était fantastique! Je ne trouve pas qu’il faille à tout prix illuminer chaque recoin d’une pièce, d’ailleurs, s’il y a quelques zones d’ombre, c’est encore mieux, parce que le contraste amène quelque chose de très intéressant. C’est une astuce que Vincent Van Duysen m’a apprise quand il a conçu le Graanmarkt avec nous: il vaut mieux mêler sources délicates de lumière et lampes plus imposantes. Je comprends que les gens trouvent parfois qu’il fait sombre chez nous, mais j’aime cette subtilité. Quand tout est illuminé, ça ne laisse aucune place à la délicatesse.”

Ripple Lamp, Poetic Lab x Lobmeyr, prix sur demande, light.lobmeyr.at

Christophe Urbain © MANUEL MENDOZA

Christophe Urbain, galeriste 

Après une carrière dans la mode, le cofondateur de la galerie design gantoise Atelier Ecru y organise actuellement l’expo groupée In My Garden, où on retrouve notamment sa lampe fétiche.

Pierre Castignola est un jeune designer avec lequel j’ai la chance de collaborer professionnellement, et si j’ai choisi son Inside-Out Tower Lamp, c’est parce qu’il l’a réalisée à base de l’humble chaise de jardin en plastique. C’est tout à la fois une lampe et une oeuvre d’art fonctionnelle et c’est fascinant pour moi quand des créatifs imaginent leur propre langage, d’autant que ça devient de plus en plus complexe parce qu’il y a déjà tellement de variété sur le marché. L’avantage de cette lampe, c’est que c’est un vrai objet unique: personne n’aura la même que quelqu’un d’autre puisque chacune d’entre elles est réalisée à la main en fonction des matériaux disponibles. Cela implique aussi d’accepter ses particularités: ce n’est pas un objet qui s’adapte à son environnement et aux besoins en lumière, c’est plutôt à son propriétaire de s’adapter à elle. Son aspect circulaire me séduit, mais en 2023, le plus important pour moi est que les designers de lampes prennent les contraintes énergétiques en compte et imaginent des modèles qui ne sont pas trop gourmands. C’est important aussi d’avoir une lampe versatile, qu’on peut déplacer à l’envi et qui ne se limite pas à remplir une seule fonction dans une seule pièce. La lumière influence notre humeur et notre bien-être, il faut y être extrêmement attentif quand on conçoit un intérieur.”

Inside-Out Tower Lamp, Pierre Castignola, dès 2673 euros sur 1st Dibs, 1stdibs.com

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