Marnick Smessaert, une étincelle de génie

Marnick Smessaert © DAMON DE BACKER

Marnick Smessaert ne se définit pas comme un designer. Pourtant, les créations éditées par sa société, Dark, depuis 2000, sont sur toutes les lèvres dans l’univers des luminaires. Rencontre.

«Je veux que les gens soient interpellés. Qu’ils voient tout de suite la beauté d’une création, avant d’avoir peur pour leur portefeuille. Une crainte souvent injustifiée.» Ce qui anime Marnick Smessaert, l’homme aux manettes de Dark: l’amour du beau et de l’émotion. Ce diplômé en géographie a rejoint une entreprise de luminaires après plusieurs emplois dans la logistique. «Je vendais des coussinets et des boulons depuis six ans quand j’ai découvert des artistes comme Maarten Van Severen, et le goût du beau», justifie-t-il.

La société en question était en transition et ne décollait pas. Marnick a donc commencé à travailler à son compte pour créer «des objets qui déclenchent des émotions»: «Toutes les marques de luminaires avaient le mot «light» dans leur nom, alors Dark s’est imposé, plaisante le fondateur. Nos valeurs: concevoir des pièces inédites… et fuck l’aluminium. En 2000, une lampe devait en effet être noire, blanche ou en alu. Nos premiers succès ont été une série de variations autour des néons et la Crosslight, que nous avons fabriquée avec Jan Melis et Ben Oostrum. Je peux affirmer que je n’ai jamais rien créé de moche.»

Si vous voulez créer quelque chose avec du marbre, soit vous le faites avec du vrai marbre,
soit vous ne le faites pas.

Vous ne voulez pas que l’on vous présente comme un designer, mais vos créations sont indéniablement du design…

Des milliers de projets finissent à la poubelle parce que les fabricants ne veulent pas investir dans leur développement. Nous leur donnons une seconde chance. Je suis doué pour dénicher des idées. Ensuite, notre studio de développement travaille avec le concepteur. Ces idées bougent, se déforment et évoluent en fonction des matériaux que nous voulons utiliser. Ce va-et-vient permet de créer des objets uniques. Nous avons déjà travaillé avec une soixantaine de personnes et c’est durant le processus créatif que nous découvrons si un produit peut être fabriqué ou si son prix reste abordable.

Certains prototypes ne voient jamais le jour parce que nous ne parvenons pas à les mettre au point ou à les commercialiser. Mais l’étincelle initiale demeure et elle devient la meilleure stratégie marketing. Nous ne faisons pas de cinéma, nous n’avons pas à réfléchir à comment commercialiser un produit. Nos productions parlent d’elles-mêmes: elles vous plaisent ou elles ne vous plaisent pas.

En quoi Dark a-t-il changé depuis sa création en 2000?

Le marché des luminaires a toujours été un peu lent. Il existe d’une part des secteurs clairs. Les grands acteurs, par exemple, fabriquent des produits techniquement excellents mais qui ne génèrent pas vraiment d’émotions. Ils sont destinés aux bureaux, aux chaînes de magasins et aux supermarchés. D’autre part, les acteurs de la déco, eux, produisent des éclairages pour les maisons privées et des aménagements de caractère. Moi, je me considère plus comme un couturier que comme un développeur de produits. Dark entend fabriquer des articles techniquement sophistiqués, mais qui se distinguent par leur design et qui conviennent aussi bien à un restaurant et une chambre d’hôtel qu’à votre hall d’entrée. Pour vendre des luminaires, il faut avant tout être à l’écoute du client. Qu’aime-t-il, de quoi a-t-il besoin? Ces questions sont le point de départ du puzzle.

Nous fabriquons aussi des pièces sur mesure. Parfois, les produits réussis sont intégrés à notre collection, parfois non, et il arrive aussi que nous ayons le sentiment de rester sur notre faim. Si ce dont nous avons besoin n’existe pas, nous le fabriquons donc nous-mêmes. Par exemple, lorsque nous avons réalisé que nous n’avions pas de luminaire «Ibiza» dans notre collection, nous avons dessiné Sangha, en plusieurs versions et couleurs.

La lampe Crosslight. © SDP
L’applique Cigar. © DAMON DE BACKER

Votre entreprise recherche-t-elle également des collaborations?

Lorsque je rencontre des personnes intéressantes, je leur demande de me proposer quelque chose. Souvent, la réponse est la suivante: «Une idée me trotte dans la tête depuis longtemps, mais personne ne veut m’aider à la réaliser.» Je ne suis pas à l’affût des grands noms, mais nous avons travaillé avec de nombreux artistes avant qu’ils ne deviennent célèbres. J’aime les voir grandir, même si la célébrité ne réussit pas à tout le monde.

Pour moi, ce n’est pas le designer qui compte, c’est la qualité de l’idée. Il m’est également arrivé de refuser certains projets parce que le courant ne passait pas avec le designer. Pour un échange fructueux, l’autre doit vouloir renvoyer la balle. Les divas ne font pas de bons partenaires.

A quoi est due cette petite étincelle qui influence votre choix de projets?

J’aime le réel, et j’essaie de suivre les tendances, ce qui demande de rester à la page. Avant, il fallait se rendre dans les foires et salons, mais aujourd’hui, Internet est un allié de taille. Mes deux aînés sont doués avec le numérique. La crise sanitaire a provoqué une immense transformation du marché. La poussière n’est pas encore retombée, mais une chose est claire: les clients ont besoin d’authenticité. Qu’est-ce que cela signifie pour nous? Si vous voulez créer quelque chose avec du marbre, soit vous le faites avec du vrai marbre, soit vous ne le faites pas. Pour Cigar et Chique, nous avons dû chercher quelqu’un qui était capable de travailler un tube en marbre pour l’inclure dans un luminaire. Cela a nécessité d’innombrables tentatives et le développement d’une méthode inédite, mais le résultat est fantastique.

Les matériaux comptent beaucoup pour vous?

Pour un fétichiste des matériaux comme moi, il y en aura toujours de nouveaux à découvrir et apprivoiser. Le designer Didier François voulait une boule fumée avec un élément lumineux pour une villa, dans le sud de la France. Il a été séduit par notre Cigar, mais il désirait des éléments en cuir. Nous sommes partis à la recherche d’un artisan spécialisé dans le cuir de selle. Si un artisan déclare n’avoir jamais essayé une technique auparavant, c’est que nous sommes sur la bonne voie (rires). Le Cuiaba est tellement beau que nous l’avons mis sur le marché. Nous n’avions jamais rien proposé en terre cuite, mais la nouvelle collection comprend une version de notre luminaire Elpee avec un disque en terre cuite. La créativité nourrit la créativité, et je sais que l’avenir sera notamment fait de terre cuite. La qualité et les matériaux font également la différence dans un monde où les copies sont nombreuses.

Nous oublions trop souvent à quel point nous sommes doués, ici en Belgique.

Ce problème s’est aggravé au cours des dernières décennies.

La situation s’est accélérée. Les entreprises qui copient en masse sont fortes et réalisent des chiffres d’affaires considérables. Mais de nombreuses start-up n’ont pas survécu à la crise sanitaire et elles n’ont donc plus personne à copier. C’est pourquoi les collections d’aujourd’hui sont si ennuyeuses. Nous essayons d’être aussi originaux que possible. Nous misons sur la qualité, tout en continuant à nous remettre sans cesse en question. Faut-il aller aussi loin avec ces matériaux? N’est-ce pas exagéré? Pourrons-nous vendre le résultat? Le studio d’architectes d’intérieur Bjorn Verlinde veut des couleurs Palm Springs pour sa lampe TOTM. Nous en sommes à la piste numéro 4, parce qu’il faut que ce soit parfait. Ou plutôt l’inverse. Rien de tel qu’une imperfection. Un rouge, ou un bleu pétrole, c’est vraiment joli. Nous faisons de notre mieux, mais ma conclusion est la suivante: Ikea a gagné. Design à la chaîne, copies, c’est notre réalité. L’une de mes autres solutions pour lutter contre cela est de reprendre des modèles plus anciens.

© DAMON DE BACKER

Vous produisez à nouveau deux créations de Riccardo Bofill…

Parce que ce sont des héritages. Le monde du design a complètement changé. Autrefois, les designers créaient avec leurs mains ou sur du papier calque. Aujourd’hui, ils utilisent des programmes informatiques. C’est pourquoi toutes les voitures se ressemblent. Impossible d’améliorer cette table Knoll-Saarinen qui repose sur un seul pied. Et cette chaise longue Eames a été copiée à l’infini, mais rien ne vaut l’original. Ricardo Bofill est l’un de mes héros. Je lui ai parlé à plusieurs reprises et nous sommes en train de produire l’Aguja et la RBA, deux de ses créations des années 80. Ce sont les mêmes pièces, matériaux et formes. C’est mon coup de gueule contre les copieurs. Quelque chose de parfait ne peut pas être copié.

Dark a-t-il d’autres projets liés au patrimoine?

Nous participons à la rénovation du casino d’Ostende, conçu par Léon Stynen, et nous allons refabriquer ses luminaires ainsi que certains meubles. L’homme est un monument de l’architecture belge. Il a dessiné les casinos d’Ostende, de Knokke et de Namur, l’hôtel Crest et la station-service située à côté, le bâtiment BP et De Singel, mais il est trop peu connu. Lorsque sa petite-fille Tania a sonné à la porte de la maison qu’il a construite pour sa famille, les habitants actuels ne savaient même pas qui il était. Et c’est par l’intermédiaire de Luc Vincent, un designer sous-estimé, que je suis entré en contact avec Pierre, le petit-fils de Victor Vasarely. Ce communiste hongrois s’est réfugié en France, à Paris puis à Gordes, où il a découvert la lumière et commencé à peindre des œuvres. Vasarely pensait que l’art devait être accessible et faisait souvent des affiches, par exemple. Aujourd’hui, ses œuvres se vendent à prix d’or, mais son petit-fils cherchait un moyen d’en proposer des versions accessibles. Nous allons donc placer des œuvres de l’artiste dans des carrés lumineux et les proposer sous forme de triptyques.

La lampe Spacewalker.
La lampe Spacewalker. © SDP

Vous êtes un entrepreneur, mais êtes-vous aussi un gardien du patrimoine?

Peut-être suis-je un artiste raté (rires)? Ce que je sais, c’est qu’en tant qu’entrepreneur, je ne me concentre pas sur l’argent et la croissance. Les huit premières années de Dark ont été mouvementées, et je n’ai pas réalisé que ce que nous faisions était exceptionnel. En 2008, j’ai tout vendu à un groupe de capital-investissement. Je voulais montrer qui j’étais, et grandir. Mais au bout de six mois, j’ai compris que j’avais fait une erreur. L’argent était au rendez-vous, mais la magie avait disparu. Je travaillais pour une bande de charlatans qui ne voulaient pas écouter les gens qui connaissaient leur métier. En 2012, j’ai racheté mon entreprise. Une décision chargée d’émotion, car j’ai dû réécrire mon histoire. Nous avons terminé notre reprise en 2019, et c’est alors qu’est arrivé le confinement. J’ai passé deux jours seul au bureau, à essayer de savoir ce que je ferais une fois la crise passée. Cette période a été bénéfique sur le plan créatif ; vous n’imaginez pas le nombre d’idées qui ont jailli à ce moment-là. Nous oublions trop souvent à quel point nous sommes doués, ici en Belgique. Ayant beaucoup voyagé, je sais que le niveau de créativité et d’artisanat dans notre pays est incroyable. Mais où cette créativité nous mène-t-elle? Dark veut être un incubateur. Honnêtement, aujourd’hui, je me sens bien, et je ne dois pas faire de compromis sur mes fondamentaux.

En bref – Dark

L’entreprise a été fondée en 2000 par Marnick Smessaert.

Elle est depuis le début en marge du monde des luminaires en Belgique. Sa philosophie de base: ce concept est-il beau? N’existe-t-il pas déjà? Pouvons-nous lui donner vie?

Les collaborations avec des designers et des architectes ont donné naissance à des classiques tels que les modèles Crosslight, Elpee et Spacewalker.

Ses produits sont vendus dans 43 pays. Aujourd’hui, Dark a déjà remporté 97 prix de design et espère arriver à 100 cette année.

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