Sébastien Caporusso est notre Designer de l’année 2021: ‘La durabilité n’est plus en option’

Sébastien Caporusso devant une table en métal laqué conçue par lui, dans une salle de réunion de Silversquare Europe. Les oeuvres d'art sur le mur sont d'Etienne Courtois. © SAM GILBERT
Isabelle Willot

A 35 ans, l’architecte d’intérieur bruxellois Sébastien Caporusso affiche son penchant pour les matériaux nobles qu’il n’hésite pas à recycler et la production de meubles en petite série réalisés avec des artisans d’exception. Il vient de finaliser l’aménagement d’un espace de coworking en plein coeur de la capitale. Autant de raisons de l’élire Designer de l’année 2021!

Il fallait une certaine audace pour se lancer dans la conception d’un espace de bureaux partagés de plus de 600 m2 par temps de Covid. Ce défi, Sébastien Caporusso vient de le relever avec brio. C’est à lui que l’on doit le relooking du Silversquare Europe, implanté au coeur de Bruxelles.

Jusqu’ici, le jeune architecte d’intérieur de 35 ans avait plutôt dédié sa carrière à l’aménagement résidentiel et à la création de pièces de mobilier uniques présentées dans les foires de design ou éditées en collaboration avec des galeries. Ce projet à plus grande échelle lui a permis de s’essayer à la production en petite série et de toucher un public plus large. « Il m’arrive de recevoir des mails de gens que je ne connais pas et qui me font part avec enthousiasme de leur expérience du lieu, se réjouit-il. C’est une forme de reconnaissance qui me fait plaisir et qui me donne envie de poursuivre dans cette voie. »

‘J’ai besoin de sentir que je peux compter sur une équipe.’

Cet open space, le Bruxellois a cherché à l’humaniser en lui apportant un maximum de douceur, en usant de terre cuite, de lin assez épais, de boiseries chaleureuses et de tons naturels. Comme dans tous ses projets, la matière est au centre de ses réflexions. La durabilité aussi, lui qui n’hésite pas dès qu’il le peut à upcycler de vieux planchers, à reponcer des pierres récupérées dans des halls de gares ou encore à utiliser de manière optimale des plaques de marbre rare pour que rien ne se perde. Toujours avec la complicité d’artisans d’exception. C’est cette démarche qui a amené les membres de la Biennale Interieur Courtrai et des rédactions du Vif Weekend et de Knack Weekend à élire Sébastien Caporusso Designer de l’Année 2021. « Les circonstances exceptionnelles conduisent à des choix hors du commun, justifie le jury. Sébastien Caporusso s’inscrit parfaitement dans la lignée des Designers de l’année: ce créateur, à l’approche esthétique prononcée, a un penchant pour les matériaux durables et pour la production artisanale. Il maîtrise l’art de la pièce unique mais il est tout aussi doué pour concevoir des projets d’envergure. Dans son travail, il parvient toujours à réunir les meilleurs artisans belges, ce qui résume bien l’esprit de l’époque: production locale, renommée internationale. »

Une table en terrazzo, avec incrustations en marbre et bases en marbre et bambou (2019).
Une table en terrazzo, avec incrustations en marbre et bases en marbre et bambou (2019).© SDP / MARGAUX NIETO

Une sélection de ses pièces sera montrée lors de l’expo Please, Have a Seat qui présentera, à Courtrai ( lire par ailleurs), plus de 200 assises emblématiques éditées par les plus grandes marques de design contemporain. On y retrouvera, aux côtés de modèles récents signés Dirk Wynants, Nendo, Jasper Morrison ou Barber Osgerby, les chaises et fauteuils emblématiques des créateurs danois Verner Panton et Arne Jacobsen. Des icônes qui, comme d’autres, au fil des ans, ont aiguisé l’oeil de Sébastien Caporusso, déjà passionné par les jeux de constructions depuis l’enfance. Retour sur un parcours sans faute.

Une lampe murale faite de plusieurs sortes de marbre (2019).
Une lampe murale faite de plusieurs sortes de marbre (2019).© SDP / MARGAUX NIETO / SPAZIO NOBILE

Qu’est-ce qui vous a poussé à faire ce métier?

Enfant, j’ai toujours aimé faire et défaire, créer des choses de toutes pièces avec des boîtes, du carton, des morceaux de bois et des pierres. Inconsciemment, j’ai commencé à collectionner des objets, je me suis intéressé à l’art mais ce n’était pas calculé. A la fin de mes études secondaires, il y a eu comme un déclic et l’envie de devenir architecte d’intérieur s’est imposée comme une évidence. La côté créatif me plaisait beaucoup mais également l’idée du contact avec la matière, l’envie de toucher, de moduler. Je me suis inscrit au CAD (College of Art & Design) à Uccle, une école internationale très axée sur la pratique. Dès la première année, j’ai su que j’avais trouvé ma voie: tout me passionnait, je dévorais les livres, les catalogues raisonnés, les documents d’archives, j’enchaînais les expos. Plus que tout j’aimais comprendre comment les choses fonctionnaient et surtout, dès qu’il le fallait, trouver des solutions. J’ai obtenu mon diplôme avec une grande distinction, ce qui m’a permis de décrocher des stages passionnants. Ensuite, tout s’est enchaîné progressivement.

Cette sensibilité pour le design et l’architecture est-elle une affaire de famille?

Pas directement même si mes parents m’ont toujours soutenu. J’ai eu la chance de pouvoir accompagner mon père dans ses voyages professionnels, aux Etats-Unis, en Afrique et en Asie. Pendant qu’il travaillait, je visitais la région, je découvrais l’architecture locale, les musées. Cela m’a permis d’aiguiser mon oeil, de me constituer un background culturel et esthétique assez large. Pendant mes stages aussi, j’ai eu l’occasion de passer plusieurs mois dans des bureaux d’architecture à Barcelone, New York, Tokyo et Hong Kong. De réfléchir et de penser des projets de manière totalement différente de ce qui se fait en Europe. Chaque culture a son héritage. M’en imprégner, les apprivoiser, tout cela a contribué à forger ma manière de penser. C’est une ouverture essentielle.

La cuisine d'une habitation, à Tervuren, composée d'une table en marbre, de meuble Cubex récupérés et de niches en noyer, cernées de verres colorés et martelés (2021).
La cuisine d’une habitation, à Tervuren, composée d’une table en marbre, de meuble Cubex récupérés et de niches en noyer, cernées de verres colorés et martelés (2021).© SDP / SÉBASTIEN CAPORUSSO

Les réseaux sociaux nous abreuvent aujourd’hui d’images d’intérieurs parfaits. Cela a-t-il un impact sur les attentes de vos clients?

Je suis dans le métier depuis une dizaine d’années et l’influence de la surabondance des images est bien réelle. Quand un jeune couple vient me voir pour rénover une maison, il me la fait visiter… et m’envoie ses inspirations. Je reçois ces photos, mais je ne les regarde pas tout de suite. Je préfère discuter avec lui, partir du lieu pour mieux le respecter et en faire quelque chose de cohérent par rapport à l’espace. J’aime surprendre mes clients, leur proposer, dès le départ, un projet assez élaboré en termes de finitions, ce qui nous sert alors de base de discussion. Je ne suis pas du genre à ouvrir des catalogues pour y pointer des références: si je ne peux pas apporter de la valeur ajoutée, cela ne m’intéresse pas.

Rio 3, un siège en palissandre, avec coussins en cuir (2019).
Rio 3, un siège en palissandre, avec coussins en cuir (2019).© SDP / SÉBASTIEN CAPORUSSO

Vous sentez-vous proche dans votre démarche des architectes modernistes?

Certainement dans leur manière d’envisager un lieu dans sa globalité: de la façade jusqu’aux poignées de portes, en passant par la vaisselle et les couverts. Comme eux, je préfère présenter le projet le plus global possible pour l’espace. Je propose toujours des meubles et des luminaires, libre ensuite au client d’accepter ou non. Je les fais alors réaliser par des artisans. Chez moi, la création de tables, de chaises ou de lampes découle le plus souvent d’un aménagement d’intérieur. Les premières pièces que j’ai proposées sur les foires ou chez des galeristes étaient des déclinaisons de meubles pensés au départ pour un projet résidentiel. Comme ma série de tables en terrazzo: elles sont toutes uniques car différentes les unes des autres mais un lien esthétique les réunit. J’aime faire évoluer mes objets en modifiant la forme tout en restant dans une certaine continuité.

Un coin café dans le Silversquare Europe. Les sols en terre cuite ou terrazzo avec incrustations en marbre, et le mobilier en chêne, noyer et lin cassent les codes.
Un coin café dans le Silversquare Europe. Les sols en terre cuite ou terrazzo avec incrustations en marbre, et le mobilier en chêne, noyer et lin cassent les codes.© SDP / JULES CÉSUR

Cela vous plairait-il malgré tout d’être un jour édité par une grande marque de design, comme le sont aujourd’hui les Eames et Le Corbusier?

Bien sûr, si Cassina ou Molteni venaient me trouver, je serais ravi d’entamer avec eux une collaboration à condition que l’ADN de mon travail soit respecté, que je puisse rester exigeant sur la sélection des matériaux utilisés. Le revers de la médaille, avec des pièces éditées à des milliers d’exemplaires, c’est qu’à force d’être trop vues, d’être souvent copiées aussi, elles finissent d’une certaine manière par être dénaturées.

Accepteriez-vous de travailler pour Ikea?

C’est tentant de se dire que je pourrais ainsi toucher un public plus large. On oublie souvent à quel point Ikea a pu être visionnaire, il y a cinqunate ans. Certains meubles des années 70-80 sont devenus iconiques et ont très bien supporté l’épreuve du temps. Une fois encore, tout est question de qualité, de durabilité, de quantités produites. Les collections actuelles conçues en collaboration avec de jeunes artistes et designers s’inscrivent dans une perspective de longévité. Pour ce qui est du tout-venant, je doute qu’en 2050, on puisse ou l’on veuille encore acheter les pièces fabriquées aujourd’hui…

Dans le projet Silversquare, est-ce aussi l’idée de rendre votre travail plus visible qui vous a séduit?

C’est intéressant en tout cas, car pour la première fois, je reçois des retours de gens que je ne connais pas. Jusqu’ici, j’ai surtout oeuvré dans le résidentiel ou les bureaux privés de petite échelle. Ici, je disposais d’un espace de plus de 600 m2 dans lequel tout était à inventer… dans un laps de temps assez réduit puisque tout devait être finalisé en un an. J’ai tout dessiné – les chaises, les tabourets, les luminaires, les banquettes, les fauteuils – et tout a été produit en petite série. J’ai voulu apporter de la douceur, en rompant la logique des bureaux quadrillés avec des chaises en face à face. C’est un espace ouvert avec des « accidents » qui permettent d’installer des zones plus intimistes pour s’isoler un peu. Pour cela, j’ai joué avec des cloisons en briques ajourées comme on en voyait dans les cages d’escalier des années 60 pour laisser passer de la lumière, apporter de la transparence. Cela me donne envie en tout cas de poursuivre dans cette voie en me lançant par exemple dans un projet hôtelier.

Qu’évoque pour vous la notion de design durable?

La durabilité n’est plus en option, c’est une donnée de base essentielle dans l’élaboration de chaque projet. J’essaie d’éviter les effets de mode pour que ce que je crée perdure. Dès que je le peux, je récupère un maximum de choses. Je suis toujours en recherche de mobilier vintage du début du siècle dernier. De matériaux aussi: je viens d’acheter un lot de planchers qui provenait d’un manoir du XVIIIe siècle. Ils ont une patine inimitable acquise en plus de cent ans et ils pourront certainement vivre encore aussi longtemps. Pour des matériaux nobles, l’ancien coûte même souvent plus cher que le neuf car il faut l’enlever, le nettoyer, le stocker, le remettre à mesure. Mais le produit est incomparable. Et le résultat a une gueule folle.

L'un des fauteuils créés pour cet espace de coworking.
L’un des fauteuils créés pour cet espace de coworking.© SDP / JULES CÉSUR

On parle beaucoup de circuits courts. Mais pour cela il faut trouver près de chez soi les bons artisans. Une gageure?

Cela prend du temps de les trouver mais ils sont là. On assiste vraiment à un retour en vogue des métiers d’artisanat où l’on travaille la menuiserie, la ferronnerie, la céramique, la pierre. Les bons artisans croulent d’ailleurs sous les commandes. J’aime collaborer étroitement avec eux, entamer une réflexion sur la matière, les challenger jusqu’à les faire sortir de leur zone de confort. J’arrive avec mon croquis ou un petit proto que j’ai bricolé dans mon atelier et nous cheminons ensemble pendant toute la durée du projet. J’ai besoin de m’entourer de ces savoir-faire. De sentir que je peux compter sur une équipe où chacun apporte son expérience. J’en connais certains depuis plus de dix ans mais j’en découvre tous les jours. Cela fait partie du métier. Ce qui compte, c’est la qualité de l’échange. Rien n’est jamais cadenassé.

A la maison justement, mais aussi lorsque vous planchez sur un projet, quelle est votre pièce préférée?

La cuisine, sans hésiter! Chez moi, j’y passe beaucoup de temps car j’adore cuisiner. Sur un projet, j’aime la dessiner, la travailler car c’est le lieu parfait pour nouer un échange plus intimiste autour d’elle avec le client. Il y a toujours des petites anecdotes qui ressortent. Il y a cet appel de la cuisine qui fait que les gens s’y retrouvent en début ou en fin de soirée. Il s’y passe toujours quelque chose. J’essaye toujours de l’ouvrir au maximum sur le séjour et sur les espaces de vie.

En bref: Sébastien Caporusso

Sébastien Caporusso est né en 1986 à Bruxelles.

Il sort diplômé en 2011 du CAD à Bruxelles où il suit une formation en architecture d’intérieur et design.

Depuis, il conçoit et rénove des habitations, de Bruxelles, Gand et Knokke-Heist à Paris, Cannes, Ibiza et Valence, pour lesquelles il crée également des meubles sur mesure.

En 2021, s’est ouvert l’espace de coworking Silversquare Europe, un projet complet de sa main.

Il participe depuis quelques années à des foires de design telles que PAD Paris, PAD Londres, la Beirut Design Fair et Collectible Art Fair.

Lise Coirier
Lise Coirier© SDP

Ce qu’en pensent les experts

— Lise Coirier – Codirectrice de la galerie Spazio Nobile

« Je représente Sébastien depuis 2018. Nous avons commencé à travailler plus spécifiquement ensemble l’année dernière: il a créé des pièces vraiment en dialogue avec Spazio Nobile, plus organiques. Des tables d’abord et puis des consoles. Le fait qu’il soit également architecte d’intérieur, c’est ce qui m’intéresse chez lui. Il a vraiment le souci du détail, de la finition. Dans le cadre de ses projets, il est amené à créer des pièces à sa façon. Imaginer ces objets singuliers, c’est pour lui une véritable respiration. Il peut vraiment se libérer d’un certain formalisme. La manière dont il appréhende la matière est chez lui une véritable force. Dans son usage des marbres, en particulier, il travaille vraiment dans le sens de la minéralité. Il va à la source, choisit ses tranches pour leur singularité, s’inspire des veines pour les sublimer. Tout en privilégiant une certaine économie de moyens qui va de pair avec sa conception d’un design durable. »

Tanguy Van Quickenborne
Tanguy Van Quickenborne© SDP

— Tanguy Van QuickenborneCEO de Justastone, le groupe qui réunit notamment Van Den Weghe (marbre et autres pierres naturelles) et Dominique Desimpel (carrelages et mosaïques)

« Nous avons travaillé il y a cinq ans avec Van Den Weghe sur une table et une lampe et depuis j’ai été impliqué dans plusieurs de leurs projets d’aménagements intérieurs pour des particuliers, notamment pour des salles de bains, des sols, des socles et des plans de travail pour des cuisines. Sébastien combine le design et l’architecture et associe dans ses objets des matériaux comme la pierre naturelle et le bois, ce qui fait que ses créations ont leur propre signature – il est toujours très clair qu’il s’agit d’une de ses conceptions. Avec les années, parallèlement à notre lien professionnel, nous avons aussi noué des liens d’amitié. J’espère collaborer encore souvent avec lui. »

Etienne van den Berg
Etienne van den Berg© SDP

— Etienne van den BergFondateur du Studio Iceberg Architecture et professeur au CAD

« Sébastien a suivi chez moi un atelier créatif dans lequel je donne aux étudiants des tâches très diverses, de la conception d’une felouque contemporaine pour une croisière sur le Nil à l’aménagement de 1 000 m2 pour un défilé de mode. De tels défis lui convenaient parfaitement, d’autant plus qu’il est très curieux et qu’il aime expérimenter. En même temps, c’est un bosseur qui savait mener les projets à bien. Avoir des idées formidables, ce n’est que le début, il faut aussi savoir les concrétiser. Il a certainement encore beaucoup de potentiel. Il recherche la confrontation des idées et des disciplines, il a l’humilité de se rendre compte qu’on ne peut pas tout faire tout seul et l’intelligence de faire appel à la connaissance des spécialistes – avec ça on peut aborder beaucoup de projets différents. »

Gagnez un week-end à Courtrai

Sébastien Caporusso est l’un des nombreux designers que l’on pourra découvrir à Please, Have a Seat, une exposition interactive de la Biennale Interieur à Courtrai consacrée à la chaise.

Pour le week-end des 23 et 24 octobre, levifweekend.be vous offre non seulement une visite guidée avec boisson et goodie bag compris, mais aussi une nuitée pour deux au Parkhotel et deux entrées pour la deuxième édition de Wonder, le festival de la créativité qui se déroule au même moment sur l’ancien site industriel Van Marcke.

Participez à partir du jeudi 23 septembre sur levifweekend.be/wonder.

Please, Have a Seat, du 15 octobre au 14 novembre, à Courtrai. interieur.be/please-have-a-seat, wonderkortrijk.be

Une table avec plateau en bois massif, incrustation de marbre et pied en noyer (2018).
Une table avec plateau en bois massif, incrustation de marbre et pied en noyer (2018).© SDP

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