Quand des artistes ou des architectes se mettent à concevoir des jouets, c’est une autre vision de l’univers ludique qui se dessine. L’occasion de se questionner sur le rôle premier du jeu. «Beaucoup d’objets enfantins sont conçus pour occuper les mômes, et non pour les inciter à faire des découvertes par eux-mêmes.»
Si vous comptez vous rendre à Art Brussels le week-end du 25 avril, n’hésitez pas à y emmener vos enfants. Un espace leur est spécialement réservé à partir de 5 ans. N’espérez cependant pas y trouver des briques Lego ou des figurines Playmobil: ils y découvriront, entre autres, les Combo Toys, un label de jouets bruxellois conçu par des artistes. L’idée est née de Rebecca Cuglietta, directrice artistique, et de David De Tscharner, artiste. «Les artistes proposent souvent des concepts non conventionnels. Leurs jouets ne sont généralement pas linéaires: ils ne mènent pas à un but précis, comme compléter un puzzle. Les designers illustrent souvent une forme donnée – un dinosaure, par exemple. Les artistes, eux, laissent le champ libre à l’interprétation. Comme une œuvre d’art réussie.»
David De Tscharner a ainsi conçu pour Combo Studio plusieurs kits de construction ludiques en plastique recyclé. «Bones évoque des ossements, Branches des branchages et Gears des pièces mécaniques. Mais sans jamais figer les choses: la forme n’est pas imposée, les enfants peuvent l’interpréter librement. Ces jouets stimulent la créativité et l’imagination. Ils peuvent en faire ce qu’ils veulent.»
Poésie et mystère
Lors de la dernière fête de la Saint-Nicolas à TheMerode, un club privé bruxellois, des enfants ont utilisé les Combo Toys pour la première fois. L’autre grand succès de la zone de divertissement? Blah Blah, un jeu de langage peu conventionnel imaginé par l’artiste britannique Ryan Gander. «Habituellement, dans ce genre de jeu, les lettres sont toutes séparées pour permettre de former des mots. Gander a conçu un ensemble de mots inventés, moulés dans le style d’écriture de sa fille de 9 ans. Ce qui rend ces mots absurdes encore plus difficiles à déchiffrer. Blah Blah n’est pas un jeu pédagogique visant à enseigner la langue. Il n’est pas question de bon ou mauvais, seulement de poésie et de mystère.»
Comparés aux jouets classiques en plastique, les Combo Toys ne sont pas bon marché. Une boîte Bones coûte 36 euros, un set de 33 mots Blah Blah revient à 185 euros, et la maison de poupée de l’artiste Serban Ionescu atteint même 250 euros. «Tout est fabriqué à la main dans notre atelier, précise David De Tscharner. Nous utilisons exclusivement du plastique 100% recyclé fourni par l’entreprise voisine Bel Albatros. Les résidus sont à nouveau recyclés, nous n’avons aucun stock excédentaire. L’eau de ponçage est filtrée. L’impact écologique reste donc aussi faible que possible, là où celui du jouet traditionnel est catastrophique.»
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Les Combo Toys sont disponibles sur leur e-shop, mais aussi dans certaines boutiques de musées, comme celle du centre d’art CAB à Bruxelles. Ne s’adressent-ils pas surtout aux adultes, dans ce cas? «C’est vrai pour le jeu que nous avons développé avec l’artiste Jean-Baptiste Bernadet. Son Planetarium est une œuvre abstraite, un astre à suspendre au mur. La version toupie est souvent achetée par des adultes qui la posent sur leur bureau. Parfait pour se détendre ou pour jouer pendant un coup de fil.»
Inspirés du Bauhaus
Des artistes qui conçoivent des jouets, ce n’est pas une idée neuve. Paul Klee a réalisé des marionnettes, Pablo Picasso et Alexander Calder, des sculptures ludiques pour enfants. Enzo Mari a imaginé une boîte de construction en bois en forme d’animaux. Renate Müller s’est fait connaître par ses peluches thérapeutiques et Alma Siedhoff-Buscher par son jeu de blocs créé en 1923 pour la maison Haus Am Horn, à Weimar. Le Bauhaus a d’abord produit cet ensemble coloré en interne, avant que l’entreprise suisse Naef ne prenne le relais à partir de 1977. Prix du joujou: 154 euros. Le même fabricant propose aussi la superbe marionnette à tirer conçue par Margaretha Reichardt (206 euros). Un objet davantage pensé comme une décoration murale moderniste que comme un jouet destiné à des heures de jeu.
Les poupées fascinent aussi l’architecte gantois Paul Robbrecht – connu pour la salle de concert de Bruges et la halle de Gand. Il a conçu pour ses petits-enfants un théâtre de marionnettes pliable, désormais produit par Valerie Objects. «J’ai également modelé une série de figurines en pâte autodurcissante. J’ai cousu moi-même tous les costumes des marionnettes. J’y ai sacrifié deux de mes chemises. Les tissus brillants viennent d’un magasin turc de la Sleepstraat, à Gand», nous confiait-il lors du lancement du théâtre en 2017.
Les jouets design, un plus pour le salon
Cette résurgence du jouet de designer soulève cependant une question: s’agit-il surtout d’un atout décoratif pour le salon des parents ou d’un réel bénéfice pour les kids? «Le jouet offert à l’enfant en dit souvent plus sur les parents que sur l’enfant lui-même», affirme la pédagogue néerlandaise Marianne de Valck. Pendant des années, elle a livré ses conseils sur la relation entre jouet et développement. «Choisir un jouet lumineux, bruyant ou mobile ne fait pas automatiquement de vous un meilleur ou un moins bon parent que si vous optez pour du jouet en bois au design architectural.»
La vraie question, selon la spécialiste, est de savoir ce que votre enfant a le droit de faire avec. «Si vous considérez l’objet comme une œuvre décorative que votre enfant n’a pas le droit de toucher, alors ce n’est plus un jouet. L’essentiel, c’est de laisser l’enfant explorer par le jeu, avec une grande variété d’options. Un enfant qui ne reçoit que des Lego est tout aussi limité que celui à qui on ne propose que du jouet de designer.»
Stimuler l’imagination
Le théâtre de marionnettes ne figure pas au catalogue de House of RoRo, la ligne de meubles ludiques pour enfants lancée depuis les Etats-Unis par l’architecte belge Anne-Sophie Rosseel.
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«Je voulais concevoir des objets à la fois pratiques, intéressants sur le plan architectural, mais aussi éducatifs et analogiques. Trop souvent, les jouets sont pensés pour occuper ou distraire l’enfant, plutôt que pour le pousser à la découverte, explique l’intéressée. Les meubles ou jouets conçus par des artistes ou architectes ne sont que rarement motivés par une logique purement commerciale. L’accent est mis sur l’émotion, comme pour une œuvre d’art ou un espace inspirant.»
Des assemblages à la manière d’un puzzle, un parcours d’escargot peint à la main sur la table Riva… La collection House of RoRo regorge d’éléments ludiques, sans jamais tomber dans l’infantilisme. «Ce que j’aime par-dessus tout dans nos créations, c’est que parent et enfant puissent construire leur meuble ensemble», dit Anne-Sophie Rosseel. Son inspiration, elle l’a puisée chez Enzo Mari, designer et artiste italien, qui qualifiait les chambres d’enfants de «décharges remplies d’objets imposés aux enfants. Le jouet tel que nous le connaissons aujourd’hui finit souvent oublié dans un coin ou cassé dès le premier jour, poursuit-elle. Et pendant ce temps, les enfants peuvent passer des heures à jouer avec une simple boîte en carton. Jouer, c’est découvrir. Un bon objet doit stimuler l’imagination, pas la restreindre.»
«Un jouet enrichissant n’a effectivement pas besoin d’être cher, confirme Marianne de Valck. On peut créer énormément avec des matériaux bon marché, et les ludothèques permettent d’emprunter beaucoup de jeux.»
Il n’existe pas de règle d’or en matière de «bon jouet», conclut la pédagogue. «Chaque enfant a ses propres besoins.» Et l’apparence du jouet détermine souvent la manière dont l’enfant va jouer. Une voiture de pompier avec autocollants, lumières et sons propose un univers très balisé, là où une voiture en bois laisse tout à imaginer. Peut-être deviendra-t-elle le véhicule d’un laveur de carreaux?» Autrement dit, les formes abstraites du jouet artistique stimulent la fantaisie avec la plus belle ambition possible: «Elles invitent l’enfant à créer son propre monde.»