Libérées, délivrées: et si les femmes étaient plus heureuses loin du couple hétéro traditionnel?

Si les femmes célibataires semblent plus heureuses et en meilleure santé, tandis que les hommes peinent davantage après une rupture, cela met en lumière un problème fondamental: la répartition inégale des tâches dans les relations traditionnelles. Beaucoup de femmes expriment leur lassitude face à ces déséquilibres, ce qui les pousse à remettre en question le modèle du couple hétérosexuel conventionnel. Et si nous nous éloignions de ces rôles stéréotypés et adoptions une forme plus moderne de relations?
Les femmes qui prennent leur indépendance sont sans doute la pire hantise des « bro’s » de la manosphère adeptes d’Andrew Tate, mais le nombre de femmes célibataires est en nette augmentation. D’ici 2030, près de la moitié des femmes occidentales vivront sans partenaire. Une étude menée en 2024 par l’Université de Toronto révèle que cela les rend souvent plus heureuses, tandis que les hommes en subissent plutôt les désavantages. Paul Dolan, professeur à la London School of Economics et auteur de Happy Ever After, conclut que les femmes célibataires et sans enfants ne sont pas seulement plus heureuses : elles gagnent mieux leur vie, vivent plus longtemps et ont une vie sexuelle plus épanouie.
« On valorise souvent les femmes pour ce qu’elles font pour les autres, et moins pour ce qu’elles sont. »
Si les femmes célibataires et sans enfants sont plus heureuses, ce n’est pas tant à cause du célibat en soi, mais plutôt parce qu’elles échappent aux rôles traditionnels au sein des relations. Dans les couples hétérosexuels, les femmes assument encore la plus grande part des tâches domestiques et du travail émotionnel, ce qui engendre parfois du stress et même des burn-out.
Lassées des inégalités
L’augmentation du nombre de femmes célibataires est à la fois une libération et un défi, selon l’artiste et performeuse Alice Van der Wielen-Honinckx. « Nous avons grandi avec l’idéal du couple hétérosexuel comme norme. S’en détacher est difficile ; cela s’apparente à un deuil. Socialement, une relation est encore perçue comme plus valorisante que le célibat. »
Le fait que de plus en plus de femmes choisissent d’être célibataires et s’en trouvent plus heureuses envoie un signal fort : la relation traditionnelle ne fonctionne pas pour tout le monde. Dans son projet Creatures in Rest, présenté à la Biennale Women of Arts, Alice Van der Wielen-Honinckx et trois performeurs ont exploré la signification du simple fait d’« être ». « On valorise souvent les femmes pour ce qu’elles font pour les autres, et moins pour ce qu’elles sont », observe-t-elle.
Selon l’artiste, ce n’est pas tant que les femmes préfèrent être célibataires, mais plutôt qu’elles sont de moins en moins enclines à accepter des relations déséquilibrées. Une enquête néerlandaise menée en 2023 par Oxfam Novib sur l’émancipation des femmes confirme cette tendance: les femmes prennent de plus en plus conscience des inégalités et sont moins disposées à les tolérer.
Un horizon queer
Bien que l’égalité des droits soit inscrite dans la loi, la réalité est tout autre. Un père qui récupère son enfant à la crèche est perçu comme un « bon père », tandis que cela est considéré comme allant de soi pour une mère. « L’égalité des genres ne progresse pas d’elle-même », explique Billie Wyns, coordinatrice chez Sophia, le réseau belge des études de genre. Il faut lutter constamment pour éviter la stagnation, voire le recul. En 2021, le European Women’s Lobby constatait que la montée de l’extrême droite avait entraîné un recul des droits des femmes dans plusieurs pays de l’Union européenne, y compris en Belgique.
Comment inverser cette tendance ? « Par la force de l’imagination », estime Billie. « C’est pour cela que j’aime tant le mot queer. » Le professeur José Esteban Muñoz, spécialiste des études queer, décrit queer comme un concept situé à l’horizon, une utopie réelle. Ce n’est donc pas un rêve naïf, mais plutôt une invitation à imaginer de nouvelles formes de société. « En voyant la queerness comme un horizon en perpétuel mouvement et indéfinissable, nous nous encourageons à considérer comme possible ce qui semble impossible », explique Billie.
Égalité et équité
Comment parvenir à une relation équilibrée ? Selon des chercheurs de l’Université de Californie, l’égalité dans les relations repose avant tout sur la coopération et le respect mutuel. Plus que sur un partage strict des tâches, une relation équitable repose sur le soutien émotionnel. « L’équité m’importe plus que la répartition exacte des tâches », confie la performeuse Manon Kanjinga Janssen. « L’égalité parfaite est une illusion, car il est impossible de répartir le travail de manière absolument égale. »
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit l’équité comme le fait que chacun soit valorisé de la même manière, indépendamment de son identité de genre.
« Ce n’est pas une guerre des sexes »
Les femmes sont-elles mieux équipées pour faire face à la vie ? On croit souvent que les hommes atteignent plus tard la maturité, mais biologiquement, ce n’est pas exact. Selon Rudi D’Hooge, spécialiste en psychologie biologique à la KU Leuven, les différences de comportement entre les genres sont davantage liées à l’environnement dans lequel on grandit qu’à la structure cérébrale. Dès la naissance, garçons et filles sont traités différemment.
Les recherches de Chia Longman, professeure en études de genre à l’Université de Gand, montrent également que les différences entre hommes et femmes sont bien moins marquées qu’on ne le pense. Nos modes de vie et nos connexions neurologiques sont très similaires. Il est donc essentiel de réfléchir à la manière dont nous éduquons les enfants.
« Ce n’est pas une guerre des sexes », ajoute la curatrice et historienne de l’art Lien Craps. Elle a organisé Hey Sugar, une table ronde avec les artistes Lisa Ijeoma, Sam Druant et Nina Vandenbempt sur le féminisme et les inégalités. Seuls quelques hommes étaient présents dans la salle. L’un d’eux, un collectionneur d’art, lui a écrit plus tard : « Pour la première fois depuis les années 70, un groupe de curateurs a réussi à faire évoluer mon cadre de référence. » « C’était le plus beau compliment que je pouvais recevoir », confie Craps.
La clé du bonheur? Amitié, thérapie et réseau de soutien
De nombreuses féministes, dont bell hooks, considèrent le patriarcat comme un système qui restreint aussi les hommes dans leur capacité à être pleinement eux-mêmes. Dès l’enfance, les garçons apprennent à réprimer leurs émotions. On leur enseigne à être forts, à ne pas pleurer et à persévérer, ce qui influence toutes leurs relations proches.
Des études récentes montrent que les hommes adultes ont des réseaux émotionnels moins solides et ont plus de mal à consulter un thérapeute. S’ils apprenaient à mieux gérer une rupture, ils pourraient peut-être atteindre le même niveau de bonheur que les femmes célibataires.
Victor, divorcé depuis trois ans et père de deux filles, voit sa séparation comme une opportunité de croissance personnelle et parentale. « Après ma rupture, j’ai pris en charge mon propre foyer et davantage de responsabilités domestiques. Cela semblait être plus de travail, mais j’ai gagné quelque chose de précieux : une relation plus profonde avec mes enfants. Elles venaient autrefois surtout vers leur mère, mais aujourd’hui, mes filles partagent aussi leurs émotions avec moi. C’est inestimable. » Pourtant, cet architecte de 42 ans constate que la société perçoit encore le coparentage comme un échec. « Mais quand je regarde mes filles et leur mère, je sais que j’ai tout sauf échoué. »
Jonas, 32 ans, a également évolué grâce à la thérapie après sa rupture. « Avant, je comptais sur ma partenaire pour mon bien-être émotionnel. Aujourd’hui, je m’en charge moi-même », explique ce hacker éthique. « Je recherche maintenant une relation basée sur le plaisir, mais sans forcément cohabiter. »
Amis, amants, partenaires? Les jeunes s’éloignent de la famille nucléaire traditionnelle
Dans leur quête pour rester fidèles à eux-mêmes, il semble que les jeunes générations se tournent de plus en plus vers des structures relationnelles non traditionnelles. « De plus en plus de personnes choisissent d’avoir une frontière plus fluide entre l’amitié et la romance », explique Billie Wyns de Sophia vzw, le Réseau belge des études de genre. « Qui sommes-nous les uns pour les autres – partenaires, amants, amis, friends with benefits ? Ce n’est pas toujours facile à définir. Beaucoup de relations ne rentrent pas dans une catégorie rigide. »
Rola, 28 ans, partage cette vision : « J’ai plusieurs connexions que je qualifierais à la fois d’amicales et de romantiques. Sans le modèle classique du couple hétérosexuel, je me sens plus heureuse et plus en accord avec moi-même. En vivant seule, je ressens aussi moins de frustrations liées aux tâches ménagères. Une semaine sur deux, mon fils vit avec moi. J’apprécie autant le temps que nous passons ensemble que mes moments de solitude. Bien sûr, il m’arrive de ressentir un manque – quelqu’un avec qui regarder un film ou partager un petit-déjeuner le dimanche –, mais ces besoins sont comblés par d’autres personnes dans ma vie. S’éloigner du modèle relationnel traditionnel est une exploration, mais une exploration qui en vaut la peine », conclut-elle.
« Il nous manque encore souvent un langage pour décrire des relations profondes et intimes qui sortent du cadre des relations amoureuses classiques », ajoute Billie. C’est pourquoi elle organise bientôt, en collaboration avec Spring Leyssens, une soulmate parade. « Chacun peut venir accompagné de son âme sœur, sous n’importe quelle forme. Nous voyons cela aussi grand qu’un mariage, mais à notre manière. Pourquoi ne célébrerions-nous que les relations amoureuses classiques ? Une âme sœur peut être bien plus que cela. »
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici