Les parfums, les talismans d’aujourd’hui: « Le parfum, on le porte d’abord pour soi, à la manière d’un doudou olfactif protecteur »
Nimbées de mystère depuis la nuit des temps, les fragrances sont un peu comme des talismans. Leur seul nom parfois nous conte l’envoûtement. Invisibles comme un sort que l’on jette, elles nous rendent plus fort et font tourner les têtes.
Pour nombre d’entre nous, se parfumer est souvent le dernier geste que l’on pose avant de sortir de chez soi. La fidélité à un seul et même parfum n’étant plus que très rarement de mise, l’humeur du jour, comme la saison et les envies qu’elle projette, peuvent attirer la main vers l’un ou l’autre flacon. Le sillage dont on s’enveloppe ainsi a, pour certains, valeur de talisman, quand on ne lui prête pas le pouvoir d’envoûtement d’un philtre magique. Etymologiquement d’ailleurs, les racines latines » per fumum » du mot parfum, qui signifient « à travers la fumée », rappellent l’usage mystique qui lui a longtemps été associé.
Les marques l’ont bien compris, en donnant à leur jus, dès la fin des années 70, des noms auréolés de surnaturel. Magie Noire chez Lancôme, Aromatics Elixir chez Clinique, sans oublier Opium d’Yves Saint Laurent, qui vient de se réinventer dans une version Black Extreme, flirtent effrontément avec le vocabulaire de la sorcellerie et de l’addiction. « Je crois à la magie des matières, à leur part d’ésotérisme, soutient Jacques Cavallier-Belletrud, maître parfumeur de Louis Vuitton depuis bientôt dix ans. L’encens en est un bel exemple: ce n’est pas pour rien qu’il a longtemps traduit la puissance du dialogue des hommes avec les dieux. Il a été choisi parce que s’en dégageait, lorsqu’il brûlait, une fumée blanche et intense qui montait vers les cieux, mais aussi parce qu’il avait une odeur extrêmement prégnante, symbole de mystère et de profondeur… Une note qui invite à l’introspection et à la méditation. »
C’est d’ailleurs cette volute d’encens que Christine Nagel, parfumeur maison chez Hermès, a choisi de convoquer dans L’Ombre des Merveilles, sa revisite de L’Eau du même nom, conçue comme un voile de cachemire doux, fin et enveloppant, pensé pour les Mélusine modernes. « Le propre du parfum, c’est de devenir cette aura, à la fois invisible, mystérieuse et pourtant très présente, analyse le nez du malletier parisien. On le porte d’abord pour soi, à la manière d’un doudou olfactif qui à la fois nous rassure et nous protège. »
Des chiffres et des fleurs
Pour les plus superstitieux d’entre nous, les jus joueraient ainsi un rôle de gri-gri, comme ces brins de muguet que le couturier Christian Dior glissait dans les ourlets de ses robes en guise de porte-bonheur. Une tradition à laquelle la griffe parisienne a choisi de rendre hommage en baptisant Lucky l’une des fragrances de sa ligne la plus exclusive. Un parfum totem pour tous les moments où l’on ressent le besoin de croiser les doigts. De chance, il est aussi question chez Chanel, la maison parisienne ayant choisi de libeller ainsi une gamme de produits parfumants destinés aux membres des générations Y et Z. La fondatrice de la maison au double C, qui croyait au pouvoir des cristaux, avait aussi ses chiffres fétiches, le 5 en particulier, qui, pensait-elle, lui portait bonheur. Lorsqu’elle dut choisir, il y a 100 ans, parmi les échantillons que lui présenta Ernest Beaux, celui qui deviendrait par la même occasion sa signature olfactive, c’est sur le cinquième justement qu’elle s’arrêta. Hasard ou coïncidence? Cinquante ans plus tard, c’est à nouveau un chiffre, le 19, en référence à sa date de naissance, qui s’affichera sur le flacon du dernier jus lancé de son vivant.
« Le parfum, on le porte d’abord pour soi, à la manière d’un doudou olfactif qui nous protège »
Jacques Cavallier-Belletrud
Nul besoin pour l’odorat, ce sens si particulier auquel il est impossible d’échapper, de passer par la case raison. Parce que l’odeur s’adresse directement à nos émotions, sa capacité quasi animale à réveiller soudainement des souvenirs que l’on croyait enfouis, d’influer inconsciemment sur notre humeur et notre état d’esprit peut passer aisément pour de l’enchantement. « L’homme quand il était à quatre pattes utilisait bien plus son nez que ses yeux, qui ne lui servaient qu’à valider ce que celui-ci avait détecté, poursuit Jacques Cavallier-Belletrud. Le parfum est une armure invisible de séduction. Je crois beaucoup aux ingrédients qui nous font du bien de par l’histoire que nous avons avec eux. Via notre cerveau reptilien, nous entrons soudain en connexion avec toutes nos expériences vécues depuis la toute petite enfance et donc ce que nous sommes au plus profond de nous. Le déclic est instantané. Lorsque nous disons « c’est un parfum pour moi » ou au contraire ce ne l’est pas, nous associons un accord ou une matière à une bonne ou mauvaise expérience de notre passé. Et cela fonctionne aussi, évidemment, pour les relations amoureuses. En ce sens, le parfum est un formidable adjuvant au coup de foudre. Dans ce qui nous envoûte, la personne face à nous y est bien sûr pour beaucoup. Mais sans ce parfum particulier, cette rencontre – comme la passion et le déchirement qui parfois surviennent plus tard – aurait sans doute été bien différente, en tout cas dans nos souvenirs. »
Comme une chanson d’amour
Avec Spell on You, le tout dernier venu de la collection des parfums Louis Vuitton, c’est bel et bien de cette attirance irrésistible qu’il sera question. Une empreinte magnétique, obsédante comme le refrain d’une chanson d’amour que l’on ne peut plus oublier. Il aurait pu être tentant d’opter pour un oriental, comme l’avait fait Jacques Guerlain en 1925 lors du lancement de Shalimar et plus récemment encore Thierry Wasser qui, en surdosant la vanille dans l’édition Philtre de Parfum, a voulu apporter encore à supplément de sensualité.
« C’est un philtre d’amour à lui tout seul, son odeur fait littéralement tourner les sens, c’est l’ingrédient de la séduction par excellence. »
Mais le parfumeur grassois a préféré s’en remettre au pouvoir des fleurs. « Pour exprimer un envoûtement olfactif, nul besoin de jouer à tout prix la carte de l’intensité sombre, plaide-t-il. J’ai voulu dépasser les clichés, miser sur une certaine forme de surprise et de transgression. Proposer un sillage à la présence indiscutable mais sans tapage. » Nulle trace ici de tubéreuse vénéneuse mais plutôt d’un jasmin sambac qui fait perdre la tête par son exubérance tout en ouvrant la voix à l’une des matières les plus nobles de la parfumerie. « L’iris est un philtre d’amour à lui tout seul, son odeur fait littéralement tourner les sens, ajoute encore ce grand superstitieux. Ce n’est pas par hasard que l’on a longtemps utilisé sa poudre en cosmétique, c’est l’ingrédient de la séduction par excellence. » Une poudre dont les notes, douces, talquées, pouvaient autrefois servir à masquer la présence d’un poison. Une dualité dont le seul souvenir appelle le frisson.
Des fragrances à shopper
- N°5, Chanel, édition limitée de Noël, 150 euros les 100 ml.
- Shalimar Philtre de Parfum, Guerlain, 99 euros les 50 ml.
- Black Opium Extreme, Yves Saint Laurent, 115 euros les 50 ml.
- Lucky, Maison Christian Dior, 220 euros les 125 ml.
- Spell on You, Louis Vuitton, 225 euros les 100 ml.
- L’Ombre des Merveilles, Hermès, 132 euros les 100 ml.
Les cristaux proviennent de steenenbeen.be
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