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Une histoire de famille © DAMON DE BACKER

Ces fins gourmets ont leur restaurant étoilé fétiche et sont devenus au fil du temps des clients réguliers et privilégiés. Le chef est aux petits soins pour eux et une véritable complicité s’est installée autour de la table.

Une histoire de famille

Le Prince de Chimay (72 ans) est un habitué du Prieuré Saint-Géry, à Solre-Saint-Géry, dans le Hainaut. En tant que membre du Club des 33, une association gastronomique exclusive, il apprécie la cuisine du chef étoilé Vincent Gardinal et a monté avec lui un projet caritatif, face à la pandémie.

« Cette adresse est un peu comme une madeleine de Proust pour moi, explique le Prince de Chimay. Mes parents m’y emmenaient déjà au début des années 60, quand j’étais enfant. Par la suite, je me suis éloigné du pays, je travaillais en France. A mon retour, à l’aube des années 90, j’ai été heureux de constater que le restaurant de ce petit hameau du bout de la Belgique existait toujours. » L’âge aidant, l’aristocrate vibre désormais pour les plaisirs de la table. Cela tombe bien, un chef prometteur a repris l’établissement, Vincent Gardinal. Il ne lui faut que quelques années pour décocher une étoile au Guide rouge. Le Prince, qui est un épicurien – il fait partie du Club des 33 -, ne manque pas de s’y arrêter dès qu’il le peut pour déguster l’un de ces plats canaille qu’il affectionne, pied de porc ou fameuse sauce béarnaise au poivre de Sichuan. « Solre-Saint-Géry est une étape sur la route entre Bruxelles et le château familial, celle-là même qui fut tracée pour l’arrivée de Charles-Quint à Chimay… C’est comme une récompense de s’y arrêter », détaille ce fringuant septuagénaire.

Avec la crise du Covid, la relation entre les deux hommes va prendre un tour inédit. « Au début de l’arrivée de la pandémie chez nous, le Prince et la Princesse de Chimay m’ont demandé de préparer à manger pour le personnel soignant du Centre de Santé des Fagnes », raconte le chef. Ni une, ni deux, Vincent Gardinal n’hésite pas une seule seconde à aider « ceux qui risquent leur vie ». Refusant de se faire payer pour sa prestation, il imagine, pendant plusieurs semaines, un menu plein de bon sens et différent chaque jour. Cet engagement et cette générosité inconditionnels rapprochent un peu plus le Prince et le chef étoilé. Il n’est pas trop de dire que ce dernier est devenu un ami de la famille. « Vincent vient souvent au domaine, il dîne à la maison et en profite pour initier nos petits-enfants à la cueillette. Il leur prépare une excellente limonade au sirop de sureau. Pour les adultes, il réalise du vin de pissenlit ou de la liqueur de fleurs de lilas », confie le fils aîné de la famille de Chimay. Anecdote amusante, l’une des aïeules du Prince était proche du grand cuisinier Auguste Escoffier. « Elle a soufflé des recettes au maître, comme les oeufs à la Chimay, gratinés et proposés avec des champignons, ou une poularde du même nom qui est, entre autres, fourrée de nouilles au beurre, nappée de jus et servie avec un bouquet de pointes d’asperge. Je prépare volontiers ces deux spécialités pour le Prince et la Princesse afin qu’ils puissent renouer avec l’histoire de leur prestigieuse famille et moi… revisiter mes classiques », conclut Vincent Gardinal.

Rencontre artistique
Rencontre artistique© DAMON DE BACKER

Le Prieuré Saint-Géry, 9, rue Lambot, à 6500 Beaumont (Solre-Saint-Géry). prieurestgery.be

Rencontre artistique

Le peintre Jean Thomanne, connu mondialement, a découvert Le Coq aux Champs, à Soheit-Tinlot, en province de Liège, il y a seulement trois ans. Aujourd’hui, l’artiste prend plaisir à parler cuisine et art régulièrement avec le chef étoilé Christophe Pauly. Une vraie complicité est née.

N’interrogez pas Jean Thomanne sur la fréquence à laquelle il visite le restaurant de Christophe Pauly, ne lui demandez pas davantage son âge ou même le nombre de musées en vue dans lesquels ses tableaux sont accrochés, c’est inutile, il vous répondra qu’il… n’en sait rien. « Il y a des chiffres et des codes pour tout, pour les voitures, pour les téléphones, sur les cartes d’identité, on n’en sort plus. J’ai fait le choix une fois pour toutes de ne pas les retenir », martèle cet artiste liégeois définitivement fâché avec la dictature des nombres. Qu’il s’agisse de sa pratique ou de son lien avec les autres, le plasticien ne reconnaît qu’une boussole: l’émotion. C’est ce ressenti intense qui lui permet de créer – « tout part toujours d’une émotion » – et d’avancer dans la vie. Ce trouble, l’intéressé l’a éprouvé en rencontrant Philippe, le père du chef actuel du Coq aux Champ.

« J’ai longtemps galéré en tant que peintre, cela ne fait que quelques années que j’accède à une reconnaissance que je ne pensais jamais obtenir. Je revendais de la ferraille pour acheter du matériel, des fusains, des couleurs. Je suis tombé sur Philippe et quelque chose s’est produit, alors qu’on ne se connaissait pas, on s’est reconnus. Une amitié est née. Il ne s’intéressait pas à l’art mais il m’a acheté de nombreuses toiles. Je l’aime ce type-là », explique Thomanne manifestement ému. « Jean sait ce que c’est gratter », confirme Christophe Pauly qui connaît bien son parcours. Avec l’arrivée de ce succès qu’il n’avait pas prévu, les horizons de Jean Thomanne s’élargissent. Il y a trois ans, il pousse pour la première fois la porte du Coq aux Champs et s’installe à la petite table ronde qui deviendra la sienne. En première ligne, face à la cuisine ouverte derrière laquelle évolue Christophe, c’est la révélation immédiate. « J’ai eu l’impression d’un tableau qui naissait sous mes yeux. Je me suis laissé faire entièrement en réalisant une évidence à laquelle je n’avais pas pensé: la cuisine, c’est de l’art », confie celui qui a brûlé ses oeuvres pendant une vingtaine d’années pour ne pas décevoir son père. Depuis cette rencontre initiale, Thomanne et Pauly sont indéfectiblement liés. L’artiste a d’ailleurs remis les clés de son palais au chef qui s’est fixé pour mission de lui faire apprécier le poisson, tandis que le chef a pour sa part commandité une fresque pour le restaurant. « De cette façon, Jean sera toujours un peu avec moi », conclut Pauly.

Festin souverain
Festin souverain© DAMON DE BACKER

Le Coq aux Champs, 71, rue du Montys, à 4557 Soheit-Tinlot. lecoqauxchamps.be

Festin souverain

Annemarie Dhooge (72 ans) et son mari Marc Decoussemaeker (74 ans) prennent place tous les quinze jours, le dimanche midi, à leur table préférée, dans le restaurant 2-étoiles Le Fox, à La Panne. Ils avouent y être servis comme des rois par le chef Stephane Buyens.

Depuis qu’ils sont pensionnés, Marc et Annemarie ont un rituel: le vendredi et le dimanche midis, ils s’offrent un restaurant. « Nous avons tous les deux travaillé dur pendant quarante-deux ans dans l’horeca et j’ai été pendant vingt-quatre ans échevin à La Panne. Nous avions peu l’opportunité de partir en vacances et bien manger a toujours été pour nous une manière de nous détendre », raconte Marc, qui louait à l’époque des bungalows dans les dunes. Si le couple varie les établissements, il est désormais convenu que deux fois par mois, il se rend à l’Hostellerie Le Fox, où Stéphane Buyens met pour ces deux-là les petits plats dans les grands. « Nous adorons sa cuisine et nous pouvons aller à pied jusque-là. De cette façon, nous pouvons boire un petit verre à notre aise et rentrer tranquillement en marchant. Et si jamais nous avons un peu trop bu, Stephane ou un membre du personnel nous ramène chez nous. Mais je précise que cela arrive vraiment très rarement », s’amuse Annemarie.

Il faut dire que le cuisinier entretient depuis longtemps une relation avec Marc et son épouse. Ce dernier a grandi dans la maison voisine de celle de la grand-mère du chef et bien souvent le ballon de football passait d’un côté à l’autre de la clôture, créant un lien entre les deux gamins. Plus tard, alors que l’établissement acheté par la maman de Stephane, en plusieurs phases, n’était encore qu’un petit restaurant grill, Marc et sa compagne s’y régalaient déjà de frites et de poisson frais. « Au Fox, nous avons désormais notre table, près de la fenêtre, se réjouit le retraité. Nous sommes assis là, au calme, à deux mètres des clients les plus proches et nous pouvons profiter de la vue. Depuis le temps, Stephane nous connaît bien et il sait ce que nous aimons ou pas. Il essaie aussi régulièrement de faire plaisir à Annemarie. » Le septuagénaire acquiesce, enthousiaste. « Il fera de son mieux pour préparer les plats comme nous les apprécions, même si ce n’est pas à la carte. Il a d’ailleurs mis une fois au menu du « faisan à la façon d’Annemarie », avec une sauce à la crème et des champignons! » Même le sommelier sait désormais quels vins préfère l’attachant tandem. Et le chanceux pensionné pannois de résumer: « Nous avons le même confort que le roi car nous avons un cuisinier doublement étoilé rien que pour nous. »

D'amour... et de whisky
D’amour… et de whisky© DAMON DE BACKER

Hostellerie Le Fox, 2, Walckierstraat, à 8660 La Panne. hotelfox.org

D’amour… et de whisky

Chaque mois, Luc Timmermans (52 ans) et sa femme Eiling Lim (36 ans) s’offrent un dîner au Pastorale, à Rumst, en province d’Anvers. Avec le temps, le couple s’est lié d’amitié avec le chef doublement étoilé Bart De Pooter, qui a même ouvert expressément son établissement pour leur mariage.

« Cela se voit peut-être déjà à l’ampleur de mon ventre mais nous sommes de vrais gastronomes. Eiling et moi aimons voyager et avons déjà visité différents restaurants gastronomiques en Belgique et à l’étranger », nous explique d’entrée de jeu Luc, qui a poussé la porte du Pastorale, pour la première fois, en 1997. Si, au départ, ce fin gourmet venait là surtout pour des rendez-vous d’affaires, il a aussi peu à peu pris l’habitude de s’y rendre avec ses proches. C’est ainsi que son attachement pour le lieu a grandi, au point qu’il y a sept ans, il est devenu évident, pour lui et son épouse, qu’ils devaient se marier là. « Je suis originaire de Malaisie et selon le calendrier chinois, il y a chaque année certaines dates qui sont considérées comme des moments propices pour les mariages, raconte Eiling. C’est pour cela que nous souhaitions organiser le nôtre le 28 décembre, pile dans les congés annuels de l’établissement. » Le chef Bart De Pooter n’hésitera toutefois pas une seconde à lever son volet pour ce grand jour. « Il s’est même arrangé pour avoir un gâteau de mariage de chez Pierre Marcolini, notre chocolatier préféré. Il avait également réalisé une véritable oeuvre d’art avec entre autres des tonnelets remplis de whisky de 1968, l’année de ma naissance », se souvient Luc qui partage une passion pour cet alcool avec Bart.

Pour l’événement, les tourtereaux ont élaboré le menu avec le cuisinier. « Ce qui me plaît, c’est l’authenticité de ses plats. Quand on commande du cerf, la viande occupe une place centrale dans la préparation. Les accompagnements viennent en soutien mais ne prennent pas le dessus. Certains restaurants veulent ajouter trop d’éléments, ce qui fait qu’on perd l’essence du plat. Gels, espumas… Trop c’est trop. Il ne faut pas qu’on doive chercher le wagyu dans l’assiette », s’emporte le gastronome, qui soutient que son adresse préférée devrait un jour décrocher un astre supplémentaire au Michelin. Et sa moitié de le ramener à la raison: « S’ils obtiennent cette troisième étoile, il faudra réserver trois mois à l’avance », rappelle-t-elle pragmatique… « J’ai déjà convenu avec Bart qu’il y aurait toujours une petite table pour nous. Et que les prix ne changeraient pas », rétorque son mari amusé. Au fil du temps, c’est une véritable amitié qui est née entre ces trois-là, au point que, parfois, Bart vient manger chez le couple, ce qui, avoue Eiling, la stresse un peu. Préparer un plat pour régaler un étoilé, ce n’est pas rien…

De Pastorale, 22, Laarstraat, à 2840 Rumst. depastorale.be

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