» Karl était comme un père pour moi « 

© karl lagerfeld

Le 19 février dernier, le pape de la mode tirait sa révérence. Retour sur ceux qui furent ses proches, tout au long de sa vie : des créateurs, des artistes, des égéries… Et Sébastien Jondeau, un titi de banlieue, devenu irremplaçable pour le directeur artistique de Chanel. Nous l’avions rencontré peu de temps avant la disparition du géant au catogan.

Lorsque le grand Karl arrivait quelque part, Sébastien Jondeau était à coup sûr dans les parages. A la fois garde du corps, assistant personnel et chauffeur, le quadra aux traits ciselés a passé vingt ans dans l’ombre du créateur… Même si, de temps à autre, il faisait également une apparition sous les projecteurs : en 2005, il débutait comme top lors d’un défilé Lagerfeld, pour ensuite poser dans de très nombreuses campagnes et même dessiner des vêtements. Il sortait d’ailleurs début 2019 une deuxième collection estampillée  » Karl Lagerfeld curated by Sébastien Jondeau « .  » Je suis parti de mon look personnel, assez classique à la base, précisait-il alors. Même s’il m’arrive de porter un jogging avec des baskets, je préfère une allure nette et graphique. Cela dit, Karl m’a aussi influencé. D’autant que nous faisions souvent du shopping ensemble.  » Et d’insister sur le fait qu’il a bien piloté la conception de cette ligne. Sur le site du Women’s Wear Daily, le créateur aux lunettes noires expliquait, de son côté, lui avoir offert cette opportunité car  » il incarne un tout autre style, loin des jeunes gens pâlots et efflanqués qui arpentent les podiums.  »

C’était l’une des personnes les plus fidèles que je connaisse. On formait une famille.

Le 16 janvier dernier, nous rencontrons donc ce tout proche collaborateur du Kaiser, à son Q.G. parisien. Sébastien Jondeau nous parle alors au présent de son mentor, espérant faire encore un bout de chemin auprès de lui, même si dans la garde resserrée (lire par ailleurs) du directeur artistique de Chanel, on sait l’homme de 85 ans affaibli. Son absence remarquée lors du défilé haute couture de Chanel le confirmera quelques jours plus tard.

Ce mercredi-là, notre hôte arrive en vélo… preuve que son patron n’est pas dans le bâtiment. Si c’était le cas, ils seraient venus, en Rolls-Royce, ou même en jet privé –  » Avec la célébrité qui est la sienne, il ne peut pas voyager avec des avions de ligne. Et son agenda est trop complexe « , nous assure-t-il. Avec 65 ans de métier, dont 54 chez Fendi, 36 chez Chanel et 35 en nom propre, les innombrables campagnes de pub, une maison d’édition à gérer et des collab’ avec d’autres labels, comme H&M voici quinze ans, Diesel, Hogan ou encore pour un punching-ball griffé Louis Vuitton et la suite présidentielle de l’Hôtel de Crillon, Karl Lagerfeld faisait sans cesse la navette entre Paris et Rome. Il séjournait aussi régulièrement à Monaco et à Ramatuelle… Un voyage perpétuel, dans lequel l’accompagnait toujours son assistant personnel.

 » Officiellement, c’est un emploi. Mais, pour moi, c’est toute une vie, nous confiait-il, il y a quelques semaines. J’ai très peu de temps libre et je l’accompagne d’office. A chaque rendez-vous, chez Chanel, Fendi ou ailleurs. Mais comme je m’ennuie vite, c’est un rythme de rêve ! Et puis, c’est quelqu’un de magique. Il vous énergise. Grâce à lui, je me suis beaucoup cultivé. Comme assistant personnel, j’ai la grande chance de pouvoir bavarder avec lui.  » On tenterait bien de lui arracher d’autres anecdotes croustillantes mais il n’est pas du genre à se laisser influencer –  » La discrétion va de soi.  » Des journées du célèbre designer, il ne nous dira pas grand-chose, si ce n’est l’essentiel :  » Il travaille tous les jours. Il a tout vu, tout connu. Les excès, les fêtes et l’opulence. Aujourd’hui, ce qui l’intéresse, c’est créer. Il passe un maximum de temps à sa table à dessin. Je ne connais personne qui lui ressemble. C’est une encyclopédie vivante !  »

La fidélité avant tout

Si aux yeux du monde, Karl Lagerfeld pouvait sembler caricatural avec ses éternelles lunettes noires, son col prussien et son costume noir fitté, s’il aimait entretenir un certain flou sur son âge et n’accordait que rarement des entretiens, Sébastien Jondeau en a une tout autre vision.  » Cela fait partie de sa stratégie pour tenir les gens à distance, décryptait notre interlocuteur. En réalité, il est chaleureux et accessible. C’est l’une des personnes les plus fidèles que je connaisse. On forme une famille. Il reste bien sûr mon patron et j’ai beaucoup de respect. Mais notre lien est très amical. Pour moi, c’est une figure paternelle. J’ai perdu mes parents jeune. Du coup, il a en quelque sorte assuré une partie de mon éducation et m’a ouvert à des sentiments que je ne connaissais pas, comme la générosité.  »

La carte de visite de Sébastien Jondeau n’affiche pas clairement sa fonction. On n’y retrouve pas de logo Chanel, Fendi ou KL. Au moment de notre rencontre, il ne touche pas de salaire fixe mais travaille en indépendant, directement pour Karl Lagerfeld. Il le véhicule, règle les factures et le protège aussi.  » En général, ses admirateurs ne veulent qu’une photo ou un autographe, relevait alors le bodyguard. Mais en l’espace de vingt ans, j’ai quand même dû intervenir deux ou trois fois, quand cela risquait de devenir menaçant. L’important est d’anticiper plutôt que de réagir. Autrement dit, placer le cerveau avant les poings, fait remarquer le grand fan de boxe, philosophe. Quand j’ai commencé ce job, j’étais agressif et je démarrais au quart de tour…  » Il faut dire que gamin, il a grandi à Aubervilliers et à Gonesse, dans la banlieue nord de Paris,  » là où règne la loi du plus fort « .

Mais si le garde du corps au torse bombé évolue désormais dans les cercles huppés de la capitale française, il a gardé ses origines dans la peau. Ne serait-ce que sur son Instagram, où il s’appelle Bentoub.  » Cela veut dire  » fils de médecin  » en arabe, rit-il. Mes amis vivent toujours en banlieue et j’y ai ouvert une école de boxe. Il y a en parallèle de belles histoires dans ces quartiers, sauf qu’on en parle moins dans les médias. Il y a partout des gens intelligents et idiots ; de ce point de vue-là, la banlieue ne diffère pas d’un quartier chic.  »

Comment franchit-on le gouffre qui sépare ces deux mondes ? Pour Sébastien, ce fut grâce à la société de transport de son beau-père, spécialisée dans le mobilier ancien et qui comptait parmi ses clients Karl himself, grand collectionneur de meubles français du xviiie siècle. En 1990, le jeune homme, âgé de 15 ans, a en effet été amené à faire une livraison pour le couturier, suivie de nombreuses autres :  » J’étais celui qui osait lui parler : j’avais des tas de questions à lui poser. Je l’ai revu, par hasard, des années plus tard. Je me partageais entre la société familiale et un job dans la sécurité. Je savais qu’il n’avait pas de garde du corps, alors je lui ai proposé mes services. Petit à petit, notre collaboration s’est construite.  »

Songe-t-il au futur ? A-t-il été approché par d’autres créateurs ? Nous aimerions aujourd’hui lui poser ces questions. Mais en janvier dernier, alors que son père spirituel était à ses côtés, il nous avouait avoir refusé un jour l’offre d’un Chinois, qui voulait l’engager pour un salaire astronomique.  » Je suis comme mon employeur, fidèle et loyal. Mon seul projet d’avenir, c’est d’avoir des enfants « , conclut-il.

Virginie Viard
Virginie Viard© getty images

Sa garde rapprochée

Virginie Viard

Si, de son vivant, on surnommait Lagerfeld l’empereur de la mode, sa directrice de studio se tenait sans aucun doute à la droite de son trône, place revenant traditionnellement au plus fidèle partisan. En 1987, elle pousse les portes de la célèbre maison pour y effectuer un stage ; ils ne se quitteront jamais. Le 19 février dernier, jour de la disparition du créateur, elle est désignée pour  » continuer de faire vivre l’héritage de Gabrielle Chanel et de Karl Lagerfeld  » et succède à celui qu’elle aura accompagné durant trois décennies.

Gabrielle Chanel
Gabrielle Chanel© getty images

Gabrielle Chanel

Il aura fallu moins d’un siècle à celle que l’on surnomme Coco (1883 – 1971) pour révolutionner le milieu de la mode, mélangeant pour la première fois les codes masculins et féminins. En 1983, Karl Lagerfeld devient le directeur artistique de la maison Chanel, qui incarne communément l’élégance française. Il envisage rapidement d’en revoir le style, qu’il juge poussiéreux, en poussant et exagérant les traits qui ont pourtant fait la renommée de la maison.  » Il ne valait mieux pas qu’on se croise, elle m’aurait détesté « , déclarait-il en 2013 à l’Huffington Post.

Choupette
Choupette© getty images

Choupette

Un fard en hommage à ses yeux, un shooting avec Kendall Jenner pour Vogue, une ligne de sacs à son nom, près de 200 000 abonnés sur Instagram… voilà le palmarès étonnant de Choupette, la chatte du créateur. Initialement propriété du mannequin Baptiste Giabiconi, elle s’est fait  » cat-nappée  » en 2011 après que le couturier, chargé de s’en occuper quelques jours, se soit pris d’affection pour elle. Si Karl Lagerfeld parlait d’elle comme d’une héritière, ce qui n’est pas envisageable légalement, une chose est sûre : le nouveau tuteur de la petite  » orpheline  » sera sans aucun doute à l’abri du besoin.

Peter Philips
Peter Philips© getty images

Peter Philips

Une collaboration de plus de vingt ans, cela laisse des souvenirs.  » On a travaillé à deux pour Fendi, puis chez Chanel quand j’y étais, et par la suite pour des projets personnels, se rappelle Peter Philips, aujourd’hui directeur du maquillage Dior. Je lui dois énormément. Il était loyal et vous laissait libre dans votre création.  » Des journées intenses, vu l’emploi du temps surchargé de celui que le Belge installé à Paris définit comme  » drôle, humain… et persifleur « . Mais ce qui lui manquera le plus, c’est la manière dont il l’accueillait toujours d’un  » Mister Philips, so happy to see you « .

Michel Gaubert
Michel Gaubert© getty images

Michel Gaubert

C’est au Palace, club parisien très prisé des personnalités de la mode à la fin des années 70, que se rencontrent par hasard le styliste allemand et Michel Gaubert. A l’époque DJ pour la boîte du moment, il est sollicité par le Kaiser qui lui demande de réaliser l’habillage sonore de ses défilés, les transformant ainsi en véritables shows. Une idée qui mettra du temps à germer dans l’esprit du musicien, mais qui débouchera finalement sur une collaboration, dès les années 90. Devenu le premier  » couturier du son « , il signait il y a peu 30 ans de cocréation sonore, aux côtés du designer.

Amanda Harlech
Amanda Harlech© getty images

Amanda Harlech

Si elle a régulièrement été désignée comme la muse du kaiser, la Britannique dénonce cette appellation, précisant au quotidien Libération :  » Karl a bien d’autres femmes que moi qui l’inspirent.  » Celui-ci lui préférait d’ailleurs le terme de collaboratrice. Après une douzaine d’années de cocréation, elle décide de le rejoindre officiellement en 2007. Des visions souvent abstraites du directeur artistique, elle ressortait des mots et des idées qu’elle transmettait au studio, tout en apportant sa touche personnelle. Toujours avec humilité.

Les soeurs Fendi
Les soeurs Fendi© getty images

Les soeurs Fendi

Quand les cinq soeurs à la tête de la griffe romaine viennent le chercher, il y a cinquante ans, Karl Lagerfeld accepte à une seule condition : s’amuser, pour tout révolutionner. En 1977, le directeur artistique lance une collection de prêt-à-porter, à côté des fourrures et accessoires phares de Fendi. S’ensuit un succès retentissant.  » Immensément affectée par sa disparition « , la maison italienne n’a pas encore dévoilé le nom de son remplaçant. Silvia Fendi a rendu, elle, hommage à  » son mentor et son point de référence. Un regard suffisait pour se comprendre…  »

Hudson Kroenig
Hudson Kroenig© getty images

Hudson Kroenig

Avec pour marque de fabrique ses boucles blondes et son sourire malicieux, le fils du mannequin américain Brad Kroenig est devenu, au fil des années, le petit protégé de l’illustre couturier. Dans la galaxie du créateur, le garçonnet de 9 ans occupe une place à part puisqu’il est aussi son filleul. Outre les shows auxquels il a l’habitude de participer, l’enfant a également pris la pose pour des campagnes de la griffe, dont celle de la collection Métiers d’Art Paris-Salzbourg.

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