L’inconnu de la station de la 57e rue

© CHARLOTTE LAMBY

Dimanche. New York. Sous-sol. J’attends un métro qui n’arrive pas. Les lignes sont perturbées et l’heure avance. Je suis à l’arrêt. Je veux un train F et il ne passe que des trains A. Je me suis affalé sur un banc sombre en bois massif. A regarder les New-Yorkais s’impatienter et les rats qui louvoient. L’air est légèrement saturé de cette chaleur gommeuse et électrique propre au métro. C’est la fête des mères et son défilé de bouquets de fleurs et de papier froissé. Il y a un grand gars qui chante et joue de la guitare. De vieux airs : Neil Young, Jackson Browne, The Moody Blues. La réverbération envoûte et magnifie. Encore un train A. La frêle mélodie de Pale Blue Eyes s’envole sur le quai. Je donne un dollar. L’artiste sourit et s’incline. Un solide Black qui chante comme un ange. Je retrouve ma place sur le banc. J’écoute. Train A. Mi majeur, do dièse mineur, la. Ce mec a plus de talent que tous les plateaux de The Voice réunis.

Là où nos petits singes savants clonent sans allure ni dessein, le grand Black anonyme de la 57e swingue et transcende. Voici qu’il entame Norwegian Wood. Lennon serait fier. Un autre train A. J’envisage un plan B. Mais la musique est belle. J’en oublie les trains et leurs majuscules lumineuses. Everybody’s Talkin’. Je marche en rond sans rien voir. D’un coup, le musicien est devant moi, tout sourire.  » Monte dans ce train, mec ! Pas de F aujourd’hui. Monte dans ce train !  » Et il m’explique où changer pour choper ce fichu train F. Alors le serpent d’aluminium m’emporte brusquement dans un crissement fracassé. En m’agrippant au siège, je scrute la station qui disparaît. Et l’inconnu de la 57e. Légèrement cambré vers l’arrière comme à l’entame d’un refrain. Je jurerais entendre les notes de Girl from the North Country.

JÉRÔME MARDAGA

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