La tête de l’emploi

mathieu.nguyen@levif.be © KAREL DUERINCKX

Un événement récent remis en perspective à l’aide de références historiques ou pop culture, de mauvaise foi occasionnelle et d’une bonne dose de désinvolture.

« Post-photographe » néerlandais, Bas Uterwijk s’est découvert une nouvelle marotte au printemps dernier: la création de portraits photoréalistes à l’aide d’un logiciel d’intelligence artificielle. L’un des aspects les plus intéressants de son boulot, c’est l’élaboration de faciès humains plus vrais que nature, bien que purement fictifs. L’exercice pourrait sembler vain, et pourtant, l’examen de ces visages ne manque pas d’interpeller, on ne peut s’empêcher d’y rechercher l’un ou l’autre trait familier, d’y voir autant d’histoires que personne ne racontera jamais. Hélas, c’est bien beau d’inviter les gens à rêvasser, mais ça ne fait pas bouillir la marmite. Sous le pseudo Ganbrood, Uterwijk fait donc évoluer le concept, en proposant des photos de personnalités historiques dont il existe peu d’effigies connues (Rembrandt, Billy the Kid), puis des oeuvres célèbres ( La Joconde, la statue de la Liberté) voire de personnages de fiction – notre bon vieux Tintin en fit les frais. Comble de l’égarement, il s’attaque ensuite à des personnalités contemporaines comme Andy Warhol ou David Bowie, dont il existe pourtant des milliers de clichés. On peine à saisir l’intérêt de la démarche, par contre on comprend que ça ramène des likes sur Instagram.

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Débordant décidément d’inspiration, Ganbrood se frotte bientôt au boss final de la discipline: la représentation du Jésus lui-même, soit l’assurance d’une propagation virale sur les sites de news et les réseaux sociaux. Avec quel résultat? Selon ses calculs, Jésus ressemblerait plus à un sympathique trentenaire palestinien qu’à Julien Doré. Quelle surprise. Alors, on veut bien que le débat ait longtemps fait rage au sein même de l’Eglise – et que du « Jésus aryen » au « Jésus africain », chacun y ait surtout vu midi à sa porte – mais on est en 2020, et ce genre d’évidence devrait tout doucement recueillir une certaine unanimité. De son côté, pour se distinguer des dizaines d’autres artistes/scientifiques/dévots qui l’ont précédé au cours des années, Ganbrood dit avoir veillé à alimenter l’algorithme en sources historico-culturelles, telles que le Salvator Mundi de De Vinci ou le Suaire de Turin. La belle affaire: tout génie qu’il soit, Léonard n’a jamais rencontré Jésus, ou alors en secret, quant au prétendu Saint-Suaire, on sait depuis la mi-octobre 1988 qu’il date du Bas Moyen-Age.

Hasard du calendrier, c’est tout juste deux semaines après cette annonce, lors de la nuit d’Halloween 88, que la chaîne ABC diffuse Le secret de la maison Parker, premier épisode de la 4e saison de MacGyver. Il s’y retrouve embarqué dans une sombre histoire de maison hantée, dont vient d’hériter sa copine Penny. La tante légataire de la demeure est introuvable depuis trente ans, ses portraits sont lacérés, ses photos découpées, il n’en reste aucune dépiction ; le mystère s’épaissit. Quand un crâne est découvert dans le jardin, Mac se lance dans une saisissante reconstruction faciale afin de découvrir son ou sa propriétaire. Avec quel résultat? La tête ressemble comme deux gouttes d’eau à la jolie Penny (Teri Hatcher, Desperate mais pas encore Housewive), il s’agit à coup sûr de sa parente jadis disparue. Quelle surprise.

Que déduire de ce parallèle boîteux? Que dans un cas comme dans l’autre, l’issue finale est cousue de fil blanc, le spectateur espérant simplement être conforté dans ses idées et/ou voir ses subtiles déductions confirmées. Match nul, donc. Mais avant de renvoyer les équipes au vestiaire, on donnera tout de même l’avantage moral à MacGyver, qui a passé la nuit à triturer des gommes et de la plasticine. Ça a quand même plus de panache qu’une série de clics sur une machine.

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