Être bilingue ? Un must pour décrocher un emploi valable en Belgique. Et si c’était également une partie du secret pour réduire les tensions entre Flamands et Wallons ? Analyse du défi des Belges de demain.

« Les enfants bilingues et biculturels d’aujourd’hui seraient-ils les adultes tolérants et ouverts à la différence de la société de demain ?  » s’interroge la linguiste et professeur d’université Barbara Abdelilah-Bauer dans son ouvrage Le Défi des enfants bilingues (1.) qui combat les idées reçues sur le bilinguisme. La réponse suggérée en filigrane est évidente :  » sans aucun doute « . Parce que pour parler correctement une langue, il faut également s’approprier sa culture. Et lorsqu’on jongle avec plusieurs langues depuis qu’on est môme, la différence de l’autre ne nous apparaît pas comme une menace, mais plutôt comme une richesse.

« Les enfants bilingues ont une pensée moins normée mais plus créative, flexible et ouverte « , poursuit la linguiste. Selon les études qui s’intéressent au style de pensée des bilingues, on constate en effet qu’avoir deux systèmes de représentations mentales augmente la flexibilité et l’originalité de la pensée.  » Le bilingue a deux mots pour un seul objet ou une seule idée, son champ sémantique est donc plus vaste que celui d’un unilingue. « 

S’approprier une autre langue, celle de l’Autre, donne donc accès à une autre vision du monde. Permet de mieux se comprendre. Or, le nombre de Wallons parlant parfaitement le flamand est minime (2.). Pour ne pas dire quasi nul. Et ce n’est pas près de s’arranger si l’on en croit l’étude de Philippe Van Parijs (3.) professeur d’éthique économique et sociale à l’UCL, qui remarque que l’anglais est devenu la seconde langue à Bruxelles, et que ce constat risque de s’étendre à l’ensemble du pays d’ici à quelques années. D’autant plus que  » la compétence des Flamands en français, encore très supérieure à la compétence des Wallons en néerlandais, pâtit désormais, au niveau de l’intensité de l’apprentissage, de la concurrence de l’anglais : plus les Français et les Wallons apprennent l’anglais, moins les Flamands auront de raisons et d’occasions d’apprendre le français « . Ce qui ne motivera donc pas à faire le premier pas pour mieux connaître ce voisin si proche et pourtant si différent. Soit en lisant sa presse, soit en s’intéressant à ses programmes télé, soit encore en se prenant au jeu du phénomène des  » Bekende Vlamingen « . Renforcer l’obligation scolaire d’apprendre en priorité la langue du voisin ne suffit pas selon le professeur d’université qui conseille plutôt de créer  » à la fois la motivation et l’occasion de l’apprendre en multipliant les contacts et en comptant sur les cercles vertueux ainsi engendrés « .

Pour réussir, il est essentiel de transmettre l’idée que parler la langue de l’autre est un privilège et non un fardeau, et en même temps veiller à faire table rase de préjugés dépassés et simplistes qui engourdissent notre désir d’apprendre à mieux nous connaître. Barbara Abdelilah-Bauer est formelle :  » La première motivation d’un enfant de s’approprier un nouveau code linguistique est le désir de communiquer avec des personnes dont c’est la langue. C’est l’occasion qui fait le bilingue « , pourrait-on dire. Le désir de se fondre dans la société est un puissant moteur pour l’apprentissage d’une seconde langue. Mais pour cela, il faut avoir un jugement positif.  » La motivation de s’approprier la langue de l’autre doit être nourrie par le respect mutuel. Si celui dont on étudie la langue ne respecte par la nôtre, parler sa langue cesse d’être un geste d’ouverture, il devient un acte d’allégeance et de soumission. « 

 » L’unilingue d’aujourd’hui sera l’analphabète de demain  » , Claude Hagège.

Côté francophone, on observe toutefois un attrait grandissant des parents pour que leurs enfants soient parfaits bilingues. Or pour obtenir un bilinguisme équilibré, l’immersion avec des natifs est indispensable. Robert, papa d’Alexis, 8 ans et demi, et d’Inès, 6 ans, a inscrit ses enfants dans un établissement d’enseignement en néerlandais depuis la crèche :  » Nous trouvions qu’il était trop important de connaître deux langues. Consultante dans une boîte d’intérim, mon épouse est en perpétuelle confrontation avec le monde du travail : être bilingue est un minimum aujourd’hui. J’ai personnellement été confronté au problème : j’ai mis un an pour retrouver un poste fixe à cause de mon monolinguisme ! Je ne voulais pas que mes enfants doivent faire face à ces problèmesà « 

Un choix qui demande un investissement. Tant du côté des parents que des enfants.  » Tous les jours, je fais faire à mon fils une dictée en néerlandais, et lui fait répéter des nouveaux mots de vocabulaire. Cela demande un peu plus d’efforts, mais je pense vraiment que cela en vaut la peine. J’aurais aimé que mes parents me fassent ce cadeauà  » Le bilinguisme est en effet un cadeau, voire un tremplin pour devenir polyglotte, car l’apprentissage d’autres langues serait facilité par la suite.

Cependant, beaucoup restent hostiles à cette méthode.  » De nombreuses personnes me disent que mon fils ne sera jamais parfaitement bilingue et qu’il aura des lacunes en français pour écrire sans fautes d’orthographe ou pour comprendre toutes les subtilités de la langue, confie Robert. Peut-être, mais il n’empêche que certains francophones font des fautes d’orthographe égalementà Et ne sont même pas bilingues ! Mon fils aura au moins ce bagage-là. « 

Toutefois, il existe depuis peu une façon d’éviter ce souci en se tournant vers l’enseignement bilingue, une méthode de plus en plus en vogue. Probablement grâce à l’association Tibem-Parents, créée en 1998, qui avait pour vocation l’institutionnalisation et la démocratisation de l’enseignement bilingue. Toujours active, elle s’emploie à présent à faire connaître la méthode EMILE (l’Enseignement d’Une Matière par l’Intégration d’une Langue Etrangère), qui prône l’apprentissage d’une langue en apprenant d’autres matières dans cette langue. Dorénavant, 193 établissements proposent ce mode d’enseignement en Belgique (4.).

Difficile de s’y retrouver pour les élèves ? Timothy, 16 ans, élève à l’école internationale Le Verseau, à Bierges, qui jongle entre le français et l’anglais, ne trouve pas :  » En tant que tel, ce n’est pas très difficile à suivre. Mais si on n’étudie pas régulièrement, on peut être assez vite dépassé. Finalement, le problème serait plutôt que nous sommes obligés d’étudier le néerlandais. C’est là que pour moi cela se complique, cela embrouille mon esprit : ce n’est pas facile de pratiquer deux langues, alors une troisièmeà Cela ne m’aide pas à réussir. « 

Mais l’avantage de ce mode d’enseignement bilingue est bien réel pour Laurence Mettewie, chargée de la communication de l’association Tibem-Parents :  » Les techniques d’enseignement sont adaptées aux élèves, ainsi leur niveau de français sera comparable à celui d’un élève issu d’une école de la communauté française. Alors qu’avec un enseignement en néerlandais, l’enfant ne bénéficiera pas d’un niveau de vocabulaire plus abstrait, il n’aura pas le même apport. Simplement parce que le cours de français comme langue étrangère ne dispose pas de cet espace.  » Seul bémol : il n’existe actuellement aucun manuel, ni programme adapté. Tout se base sur la bonne volonté des enseignants. Raison pour laquelle l’association Tibem-Parents veille à présent à assurer la qualité de l’enseignement afin de préserver sa pérennité.

 » Les limites de ma langue sont les limites de mon monde « , Ludwig Wittgenstein.

Pour Barbara Abdelilah-Bauer, l’école maternelle bilingue est en tous les cas le choix idéal pour le maintien ou le démarrage du bilinguisme d’un enfant.  » Mais il faut veiller à ce qu’elle respecte certaines règles. La pédagogie de l’école, par exemple, doit utiliser la langue comme un moyen de communication avec les autres, et non un objet d’apprentissage. Il vaut mieux également que la langue soit transmise par des locuteurs natifs ayant une formation de pédagogue et que les principales activités de la journée se déroulent dans la langue minoritaire.  » Autre point essentiel : il faut que l’école se trouve à proximité de votre domicile, en dehors de ça, ce ne sera qu’une source de stressà

Or, en Belgique, on se heurte à un autre problème encore :  » Certaines écoles bilingues sont déjà réservées jusqu’en 2013 ! Si vous faites le calcul, cela signifie que ces enfants ne sont pas encore nés !  » s’indigne Laurence Mettewie. Ce qui oblige des parents volontaires à se tourner vers l’enseignement néerlandais pur. À tel point que cela renverse parfois la majorité linguistique au sein même de l’école :  » 70 % des élèves de l’école de mon fils sont francophones « , admet Robert, le papa d’Alexis et Inès. Absurde ? Une situation qui mérite qu’on se penche sur le problèmeà

(1.) Edition La Découverte, 2008.

(2.) Un sondage sur le bilinguisme des Belges, commandé par TIBEM et réalisé par Marketing Unit en 1999, fait apparaître que, après des années d’apprentissage du néerlandais, seuls 24 % de francophones wallons estiment pouvoir le parler correctement. Ce chiffre grimpant toutefois à 31 % chez les francophones bruxellois. Alors que 44 % des Flamands estiment pouvoir parler correctement le français dans la vie de tous les jours.

(3.) Dans son étude Les nouveaux défis linguistiques publiée depuis mai 2007.

Internet : www.brusselsstudies.be

(4.) Uniquement en Communautés française et germanophone, vu que ce type d’enseignement est interdit en Flandre.

Valentine Van Gestel

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