Le tout premier matin

 » La vie est un aéroport  » vient de lancer une passante à sa copine lors de ma balade dans ce somptueux parc de Bruxelles, celui où chaque feuille d’arbre semble avoir été ciselée par un orfèvre tant la végétation y est gracieuse. A chaque traversée de cet espace vert, c’est la nature entière qui entre par mes narines et vient fouetter mes poumons d’un air très pur. C’est d’une vitalité renversante, waooow, elle chamboule chaque nano-parcelle de mon corps et me donne l’envie irrépressible de dévorer la vie.  » La vie est un aéroport « … Oh, je me demande pourquoi cette inconnue a dit ça ? Oh, elle me fait rêver cette phrase ! Et si ma vie à moi, moi, Johanna, était aussi un aéroport ? Ah, j’imagine le fil de mon existence, ce tarmac long de mes quarante années et irisé de lumières, avec des départs et des arrivées, des atterrissages et des décollages. C’est que ça va et ça vient dans une vie d’être humain, les ups, les downs et les vives envolées.

Et soudain, je me souviens de Mexico-City ! Mexico-City, ancienne capitale de l’Empire aztèque et aujourd’hui fascinante mégalopole aux vingt-cinq millions de citadins. Je m’y revois un matin. Le tout premier matin de ma toute première visite au Mexique. J’avais atterri la veille à 23 heures, j’avais eu le temps de fouler la nuit et quelques trottoirs du quartier de la Zona Rosa et je m’étais arrêtée pour admirer la cohue de Mexicaines et Mexicains devant des night-clubs aux façades bleu pailleté. Quelques individus magnifiques habillés en dames scintillaient comme des arbres de Noël sous de longues chevelures rouges. Leurs hautes jambes lacérées de Nylon jaune fluo semblaient infinies. L’envie d’entrer dans une de ces boîtes et de me mélanger à ces corps m’a surprise… Mais saoule de jet lag et de coloris criards, j’étais rentrée à l’hôtel m’effondrer dans un lit immaculé dont la superficie devait correspondre à la moitié d’un terrain de tennis.

Et puis, il y avait eu ce matin, ce joli matin, et ce rai de lumière nacrée venant crever mon sommeil. Je m’étais échappée de l’hôtel, surexcitée et haletante… Car n’y a-t-il rien de plus électrisant que de découvrir une ville au premier saut du lit ? De divaguer dans les rues comme un bateau qui a perdu ses bollards et de dansoter d’une vague à l’autre sans savoir où nos pas nous mènent. Se laisser souffleter les sens par des myriades de nouvelles impressions. Odeurs, images, sons… Un catalogue de sensations inédites venant enivrer notre cerveau et tout à coup, nous voilà baba. Dans notre coeur, ça lance des balles de flipper, notre peau est pinçotée par l’air frais du matin. Nous marchons, seuls au monde, car personne ne nous connaît ici… Et crevons d’envie de dévorer un petit-déjeuner aux saveurs du coin.

A peine sortie de l’hôtel, une Mexicaine me lance :  » J’aime votre parfum.  » Puis elle disparaît dans un halo de mystère. Hop, comme ça, tandis que je marche dans la rue, cette femme me dit qu’elle aime mon parfum ! Hop hop, comme ça, gratuitement, sans rien demander en échange… Plus loin, j’aperçois une mobylette à laquelle sont accrochés au moins cent ballons bariolés pour enfants, on dirait que la moto va être emportée dans les airs, Zeppelin aux cent couleurs… Un mec en sweat-shirt signé de marque sportive tient en laisse une horde de chiens d’au moins quinze individus. Le pelage et les muscles puissants des canidés luisent comme des tâches d’huile au soleil conférant aux animaux des allures de créatures mythologiques. Depuis les immeubles avoisinants, des flambées de musique mexicaine folle de joie surgissent et donnent à toutes ces visions un souffle d’étrange légèreté. Mais encore plus loin, ma surprise est exquise : une végétation tropicale composée d’arbres hirsutes aux feuilles démesurées laisse tomber des lianes qui viennent lécher le sol de la grande ville. Oiseaux siffleurs, plantes jaillissantes, fleurs tentaculaires… A Mexico-City, la jungle tropicale est au coeur de la ville. Aussi incongrue qu’un mammouth géant au sein d’une nichée de gratte-ciel. C’est d’une beauté verdâche étourdissante et ça crève les yeux. D’où mes quelques larmes salées et chaudes en guise de reconnaissance.

Le tout premier matin du monde n’est certainement pas aussi beau que ce premier matin au Mexique.

Oh là là, Johanna,  » la vie est un aéroport  » me dis-je, en poursuivant ma marche dans ce parc de Bruxelles. Et j’admire à quel point nos souvenirs ont la puissance de débarquer dans notre quotidien et de venir tout chambouler : le rythme de nos pensées, le flux de nos actions, la trajectoire des planètes… Youplaaaa ! Et j’admire la faculté géniale de nos cerveaux qui nous projettent en dehors du hic et nunc… Oh regarde, Johanna, c’est que mon pas devient aérien, j’avais le moral dans les chaussettes et il a suffi de cette phrase  » la vie est un aéroport  » pour me transporter dans des zones joyeuses de mon existence. Mon trottinement tourne musical… Un trottinement musical ! C’est ça, si  » la vie est un aéroport « , elle est aussi musique, c’est ça, youplalala ! Il y a de la musicalité dans nos veines, du tintamarre dans nos coeurs qui battent et des percussions dans nos os qui craquent. Et j’adore comment la musique, elle aussi, nous emmène en voyage… D’ailleurs, je rapporte des morceaux de musique de chaque séjour effectué à l’étranger. Et de retour à Bruxelles, il me suffit d’écouter ces mélodies pour voltiger dans des images et des souvenirs qui enflamment mon corps. Ivresse internationale !

Tiens, c’est que je m’emballe maintenant, tiens, je ne trottine plus, je vole… Pffffff, être en vie, amies et amis, quelle affaire ! J’en mesure l’immense privilège et aussi l’immense fragilité. Roooooh tiens, me voilà un coeur guilleret à embrasser la terre entière, oui, venez, fleurs, arbres, oiseaux, infini du ciel… Que je vous embrasse !

Eh bien, Johanna, il a suffi de cette simple phrase d’une inconnue qui passe et je m’auto-transporte en voyage.

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