Profession de foi

Dans le séjour aux airs de loft, une cuisine Ikea très fonctionnelle fait face à des créations de Pol Quadens, comme le luminaire Cloud. Pour réchauffer la composition : un tapis coloré Paul Smith. © Frédéric Raevens

De cette petite église décrépite, le célèbre designer Pol Quadens et la décoratrice d’intérieur Vanessa Bruffaerts ont fait leur atelier, leur showroom et leur maison, le tout sans frontières véritables. Un sanctuaire hybride voué au dieu Création.

« Aller au boulot tue la créativité ! J’aime être baigné dans le travail, qu’il n’y ait pas d’horaire, pas de séparation. C’est un luxe que de pouvoir descendre dans son atelier à n’importe quel moment, guidé par une idée qui vient de germer, même s’il est minuit…  » On l’aura compris, Pol Quadens n’est pas du genre à scinder vies professionnelle et privée. Sa compagne, Vanessa Bruffaerts, non plus. Leur imagination est sans bornes et l’endroit où ils lui laissent libre cours également. Installés depuis quelques mois à Woluwe-Saint-Lambert, dans cette petite église des années 30 transformée en salle des fêtes puis de sport, ces deux-là ont pris le parti de ne rien cloisonner, ni physiquement, ni dans leurs têtes.

Et, dès l’entrée, le ton est donné… Alors qu’un air classique nous parvient du salon, l’odeur du four à bois s’échappant de l’atelier du designer bruxellois nous cueille dans le hall où une élégante lampe Davide Groppi, composée d’un long fil ajustable et d’un spot, zigzague sur le mur –  » Cette marque fait des luminaires très poétiques, d’une grande finesse « , précise la décoratrice, dégainant un catalogue illico. Un rideau en gros lin écarté, et nous voilà dans un petit espace au plafond assez bas qui lui sert de showroom et bureau… et où se mêlent plusieurs labels qu’elle apprécie particulièrement, comme les étagères Cube 33, les tapis Angelo ou encore un porte- serviette de Tim Baute et des éclairages d’Yves Pauwels. Sans oublier bien sûr quelques réalisations de son compagnon, dont un amusant portemanteau fait de crochets aimantés fixés sur une colonne métallique de structure.  » Ici, c’est mon petit labo, résume Vanessa Bruffaerts. Je suis plutôt pour les univers colorés ; Pol, lui, préfère le noir et blanc… J’ai donc recherché, dans tout notre intérieur, des éléments qui puissent réchauffer ses créations à lui : du bois, une lumière douce, des peintures Farrow & Ball… Dans mes projets, il m’arrive certes de proposer des meubles de Pol mais, cela dit, je ne suis pas son agent. Ça dépend des gens, de leurs envies.  »

Cette partie de l’édifice, côté rue, ressemblerait à une petite enseigne déco classique si elle ne se prolongeait, sans fermeture aucune, sur le grand atelier de Pol Quadens, et si les portes sur la gauche ne donnaient accès directement à la salle de bains et à la chambre du duo.  » Ce sont les deux seules entités réellement privatives ; nous les avons aménagées dans les douches et vestiaires du club sportif, précise la maîtresse des lieux. Pour le reste, tout est visitable sur rendez-vous. Si je rentre dans l’intimité de mes clients, il n’y a pas de raison qu’ils ne puissent pas faire de même chez moi !  »

Mouvement perpétuel

On quitte cet espace aux allures d’alcôve via l’escalier d’origine, recouvert d’un tapis ligné coloré apportant une touche chaleureuse, pour arriver au premier étage, dans la pièce principale où se trouvait autrefois la salle de danse du club de sport et, avant encore, l’orgue d’église. Sur cette mezzanine aménagée comme un loft, une cuisine métallique simplement griffée Ikea côtoie du mobilier de Pol Quadens – dont le luminaire Cloud, une table en tubes d’alu ou un banc en Corian et acier – et un immense canapé Edra avec coussins modulables. Intrus dans cet univers plutôt contemporain, un petit bureau en bois –  » Je l’ai depuis que je suis gamine ; c’est la seule chose qui me suit partout « , avoue Vanessa Bruffaerts. Face au divan, on trouve deux énormes enceintes hi-fi en Corian que le designer a conçues avec un ami ingénieur et qui ne sont jusqu’à présent pas commercialisées…  » L’aménagement de ce niveau est en perpétuel mouvement. Certaines choses peuvent être vendues et d’autres prendre leur place. C’est un lieu de vie mais aussi d’exposition « , commente l’architecte d’intérieur.

Si l’ensemble paraît très dégagé, il n’en était encore rien il y a quelques mois, lorsque les deux Bruxellois décidèrent de s’installer ici.  » L’endroit est idéal car nous avons un très beau jardin, très dense, tout en étant à deux pas du ring et du centre-ville. Mais quand on est arrivés, il y avait vraiment beaucoup à faire. On a rempli cinq containers, un vrai grand nettoyage. Et Pol a restauré lui-même les châssis, notamment ceux de cette petite fenêtre qui donne sur la rue et qui fait son petit effet lorsque les rayons y pénètrent vers 16 heures « , relate encore l’habitante.

Meubles d’exception

Ce vaste séjour bénéficie, par le biais d’une large baie vitrée, d’une vue plongeante vers le rez-de-chaussée et l’atelier du designer. De loin, ce sanctuaire créatif apparaît comme un grand atelier de bricoleur, caressé par la douce lumière de l’ouverture en façade arrière, les percements latéraux ayant été murés à une époque et devant encore être dégagés. Difficile d’imaginer que sort d’ici du mobilier valant des dizaines de milliers d’euros et que s’arrachent les plus grandes salles de vente du monde.  » Je suis passé par tous les stades du design, raconte notre hôte. Après avoir créé la colonne à CD qui s’est vendue à des milliers d’exemplaires et même lancé une ligne de chaussures qui a très bien marché, je sentais que j’arrivais au bout de quelque chose et que je me fatiguais…  » L’homme décide alors de se redonner du temps et de la liberté pour créer des objets se rapprochant finalement plus de la sculpture. Il s’oriente donc vers les ventes aux enchères et apprend à se faire désirer…  » La notoriété nuit à la créativité ; je l’ai vécu. Quand on est connu, on a tendance à moins se bouger, c’est pourquoi je ne cours pas la presse et je préfère rester en retrait. L’artiste doit être quelqu’un d’un peu isolé, d’un peu sur la brèche…  » Et cette philosophie lui réussit. Ses clients aujourd’hui sont Karl Lagerfeld, Jean-Louis Servan-Schreiber ou encore la famille Rothschild –  » Ils achètent moins pour le prix et la fonction que pour la qualité esthétique du design « , se réjouit celui qui continue à façonner lui-même tout ce qu’il peut, déléguant parfois la découpe à des firmes compétentes et explorant sans cesse de nouveaux matériaux. Témoigne de son succès une console posée nonchalamment dans son atelier et dont les huit pièces de la série limitée ont été adjugées jusqu’à 25 000 euros… Ou encore cette bibliothèque Infinity et qui vaut, elle aussi, son pesant d’or. Au milieu de tout ça – preuve qu’ici on crée ou on vit, sans discontinuité – trône une authentique table… de ping-pong. Dieu est dans les détails.

Par Fanny Bouvry / Photos : Frédéric Raevens

 » C’est un luxe que de pouvoir descendre dans son atelier à n’importe quel moment, guidé par une idée qui vient de germer.  »

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