Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Le moment est idéal pour poser ses valises quelques jours à Stockholm. Plus que jamais, on y goûte les douceurs d’un savoir-vivre scandinave. Voyage éclairé entre le vert et le bleu.

C’est Thomas Eriksson, l’un des designers suédois les plus en vue du moment, qui nous a vendu la mèche.  » Il faut découvrir Stockholm depuis le café du musée d’Art moderne « , nous avait-il discrètement glissé à l’oreille, en esthète jaloux de sa ville. Sur place, le panorama vaut le détour. Depuis cet endroit à l’ascétisme lumineux, les contours bleutés des quais de la ville relèvent de la toile impressionniste. Emblématique d’une certaine philosophie nordique de la vie, le  » Cantin Moneo  » offre, pour le même prix, transparence sur le large et gâteaux biologiques. Situé sur Skeppsholmen, l’une des îles de l’archipel qui constitue la capitale suédoise, cet espace a été immédiatement adopté par les habitants. On vient y goûter avec gourmandise les rayons paresseux d’un soleil printanier. Lumière, bien-être et nature : le lieu concentre trois des valeurs les plus cruciales aux yeux des Suédois.

Avec 24 000 îlots qui gravitent autour d’elle, Stockholm a plus que jamais dressé un véritable barrage contre la Baltique et ses vents froids. Ces 24 000 miettes de terres perdues au milieu des flots dessinent un espace naturel hors du commun. Elles portent un nom tout simple :  » ö « , une lettre-archipel, coiffée de deux îles-trémas, qui exprime toute la force d’évocation graphique d’un peuple fasciné par le minimalisme. Mais ce  » ö  » n’est pas seul à afficher cette signature esthétique suédoise. Depuis plusieurs années, des légions entières d’objets et de vêtements ont quitté leur Grand Nord pour déferler un peu partout sur la planète, faisant de la Suède une destination tendance.

Ikea, Ericsson, H&M, Volvo, Saab, la perfection transparente des bouteilles de vodka  » Absoluut  » nous ont appris qu’on ne pouvait pas résister à l’étrange fascination du design  » Made in Sweden « . Ce style se vend bien, il est devenu la carte de visite du pays. Un pays qui exporte à tout crin et qui occupe actuellement la septième position parmi les nations les plus riches du monde. En 1999, la production de mobilier suédois a connu une croissance de 10%, soit trois fois plus que les autres pays européens. Aujourd’hui, les deux mots  » design  » et  » suédois  » sont en passe de devenir une marque déposée, un label international qui ouvre les pages déco des magazines les plus branchés. Du  » Wallpaper  » londonien au  » The Face  » new-yorkais, en passant par la version internationale du  » Elle Déco « .

La  » movida  » du Nord

Stockholm est sans doute l’endroit du pays où l’effervescence qui anime la société suédoise est le mieux représentée. Cette mouvance scandinave est aujourd’hui l’occasion de tordre le cou à quelques lieux communs. Il convient de battre en brèche le préjugé selon lequel la capitale suédoise souffrirait des méfaits d’une géo-climatologie de bazar. Ce n’est pas parce qu’un pays se situe au Nord que les mentalités sont grippées par un froid rigidifiant. Au contraire, Stockholm se veut en perpétuelle ouverture sur le monde. Tous les vents créatifs soufflent sur cette métropole brillante où les influences se juxtaposent et la culture prospère. Un foisonnement permanent engendre de nouveaux talents et des formes inédites surgissent sans cesse de ce giron innovant. Quel que soit le domaine, Stockholm a quelque chose à offrir.

Ici, la gastronomie emprunte aux saveurs du monde ; là, le design et l’architecture constituent un milieu naturel dans lequel les Stockholmois sont baignés dès l’enfance ; ailleurs, une boutique plurielle de mode n’a rien à envier à son modèle parisien  » Colette « . Et, contrairement au mythe, il existe bel et bien une vie après la tombée de la nuit. D’autant plus que depuis quelques années, Stockholm se  » méridionalise « . Il suffit de se promener aux alentours de Stureplan, le quartier branché, pour constater que les bars et les restaurants ne désemplissent pas.

Au moment où le carillon européen sonne l’heure de la Suède, certaines valeurs qui imprègnent le quotidien de Stockholm méritent d’être examinées de plus près. La ville conjugue l’écologie à l’indicatif présent. Respecter la nature n’a rien ici d’un voeu pieux postposé à la semaine des quatre jeudis. Dans cette géographie d’eau et de verdure exceptionnelle, les habitants apprennent dès leur premier pas ce que  » environnement  » signifie. Un tiers de la surface bâtie, un tiers d’eau et un tiers d’espaces verts est l’équation gagnante qui caractérise la ville. A la sillonner, on en oublie presque qu’on se trouve dans un contexte urbain. Mais le souci écologique n’est pas seul à être à l’ordre du jour. La citoyenneté et l’esprit démocratique sont également de mise.

Technologiquement aussi, la ville se situe à la pointe. Elle se présente même comme le marché idéal pour un bon nombre d’entreprises venues d’Amérique du Nord qui viennent y tester leurs derniers produits avant d’envahir le marché européen. Réputés  » matures « , les habitudes de consommation des habitants permettraient de prévoir au plus juste, avec une bonne longueur d’avance, celles des autres pays d’Europe. Nouvelles technologies, informatique, téléphones portables et consoles de jeu font un stage dans la première ville de Suède, afin d’y recevoir l’approbation nécessaire à leur diffusion. L’engouement technologique des Stockholmois est indéniable. Le pays est l’un de ceux où le pourcentage d’habitants possédant un PC est le plus grand : pas moins de 64% de la population.

Une ville aux reflets verts

Bien sûr, ce sont également les notions de design et d’architecture qui ouvrent les portes de cette cité septentrionale. Surtout le design qui, en Suède, n’est pas une discipline comme les autres, mais l’aboutissement d’un lien qui unit les suédois à la vie.  » En hiver, la durée d’une journée est extrêmement réduite, on comprend dès lors pourquoi la maison et l’environnement domestique sont des éléments qui retiennent toute l’attention des Suédois. Le foyer est la notion centrale autour de laquelle tourne le mode de vie suédois « , explique Pascale Cottard-Olsson, historienne de l’art.

Mais, au-delà de ce cocon confortable, c’est surtout la nature exceptionnelle qui rythme l’existence. Pour preuve : aujourd’hui encore, la loi confère à tout habitant un  » droit général de passage et de cueillette sur le sol d’autrui « . On peut donc se promener librement, cueillir champignons ou fleurs sauvages, sans avoir à demander une autorisation à qui que ce soit. D’ailleurs presque tous les habitants ont ou rêvent d’avoir une petite maison rouge dans la forêt : presque rien, juste quelques planches de bois, un potager et un éclairage à la bougie pour passer les week-ends.

Un  » écoparc « , aussi grand que le centre-ville, inonde tout le pan est de Stockholm. Il fait de la ville une sorte de débordement de la nature. C’est l’endroit idéal pour prendre la pleine mesure de la capitale suédoise et pour succomber à ses charmes. Ce poumon vert est unique en son genre et il constitue le premier parc urbain du monde. Ses 27 km2 renferment des espaces protégés, trois châteaux, trente musées, des théâtres, des auberges et des cafés reliés par des sentiers forestiers. Le week-end, hommes d’affaires et familles s’y rendent pour participer à des observations ornithologiques organisées par des guides. Point d’orgue au coeur du parc, le restaurant  » Rosendals trägardar  » – les jardins de Rosendal – se love à l’intérieur d’une grande serre. Immersion verte garantie. Ici aussi, la cuisine mise sur la simplicité et le bio.

Des quartiers, des villages

L’urbanisme de Stockholm a de quoi dérouter. A aucun moment, on ne croit arpenter les rues d’une capitale. Au contraire. Avec son centre historique ramassé et ses larges artères peu peuplées, on se croirait plutôt dans une ville de province. Un sentiment renforcé par le fait que la cité est morcelée en différents quartiers qui pourraient être des villages. Norrmalm, Vasastan, Ostermalm sont autant de visages différents de Stockholm, qu’ils soient résidentiels ou d’affaires.

Comme pour le  » South Bank  » à Londres, c’est au sud de la cité que s’échafaudent les tendances de demain. Au sommet de sa falaise escarpée, le faubourg populaire de Södermalm, le Montmartre de Stockholm, connaît un engouement croissant. On y croise les marques des stylistes qui cartonnent : Fillipa K ou Designtorget Mode. Cachées dans les recoins des rues en pente, quelques maisonnettes de bois rouges ou ocre jaune jouxtent les ateliers d’architectes et de designers que le monde s’arrache. Plus loin, une boutique comme  » Ordning & Reda  » décline le papier sous toutes ses formes dans un esprit que ne renierait pas le nippon  » Muji « .

En continuant son chemin vers le sud, le visiteur tombe nez à nez avec le cimetière de Skogskyrkogarden. Dessiné par le célèbre architecte Gunnar Asplund, sa haute croix plantée au sommet d’un tertre se voit de loin. De façon symptomatique, les alignements de pierres tombales sont signalés par la présence de petites lanternes renfermant des bougies, appelées lumières vivantes. Elles sont symbole de fête et de vie. On ne les oublie plus. A l’image de la ville, lumineuse.

Michel Verlinden

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