Tout passe, tout lasse… sauf Carhartt? Décryptage d’un succès qui transcende les âges
Alors que les tendances se suivent à un rythme toujours plus rapide, et que les marques doivent lutter pour rester à la pointe de ces dernières, certains noms de la mode bénéficient d’une longévité exemplaire. Il en est ainsi de Carhartt WIP, toujours aussi cool aujourd’hui qu’hier.
Extérieur jour, quelque part entre les 80s et le début des années 2000. Les écoles ont beau changer, dans les cours de récré, les cliques se ressemblent autant que leurs uniformes, et parmi les logos qui contribuent de marqueur visuel aux cools, on retrouve le C stylisé de Carhartt WIP. Coupes lose, matières techniques, couleurs neutres, et puis surtout, ce je-ne-sais-quoi inexplicable qui fait la hype: le label venu de Detroit est incontournable. On le porte, on rêve de rouler des pelles à ceux qui le font, ou bien d’avoir la chance d’en compter aussi dans sa penderie: né pour répondre aux besoins de la classe ouvrière, Carhartt WIP est devenu un marqueur de statut, voire même, de valeur. En avoir, c’est en être.
Est-ce donc si surprenant que 40 ans plus tard, rien n’ait changé? Après tout, la longévité est un des attributs indissociables de la qualité. Mais tout de même, réussir à exercer le même pouvoir sur les ados des Gen Z et Alpha que sur les Millenials et la Gen X, il fallait le faire. Plus bluffant, encore, parvenir à séduire ces mêmes pubères alors que « les vieux » continuent à porter la même marque qu’eux. C’est pourtant bien là le pari réussi par Carhartt WIP, toujours si pas plus hype aujourd’hui qu’hier. Et ce alors même que son esthétique, contrairement aux tendances, est restée virtuellement inchangée. Mais c’est bien là une des clés de la pérennité de son succès.
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Fidèle à elle-même (et à ses valeurs)
Aussi cultivé que disert, Vincent Grégoire, Directeur Consumer Trends & Insights pour le prestigieux cabinet de conseil parisien Nelly Rodi, se révèle encore plus loquace que d’ordinaire à l’évocation du nom Carhartt. C’est que non content d’étudier de près les tendances, il est d’autant mieux placé pour suivre l’impact de cette dernière qu’il appartient à la génération qui a découvert le label américain à l’adolescence et continue à le porter avec autant d’engouement passé le cap de la quarantaine. Pour lui, « ce qui rassure et fait que Carhartt est toujours aussi désirable, c’est qu’elle ne s’est jamais trahie. Elle ne s’est jamais galvaudée dans un univers parallèle, c’est une marque qui a une identité et des valeurs très fortes, qui sont restées statutaires, sans s’aventurer dans le domaine de l’expérimental ».
Et pourtant, outre son attrait transgénérationnel, la marque séduit tant les (apprentis) skaters que les modeux, grâce à plusieurs collaborations remarquées, dont deux collections couture avec Sacai, qui ont vu le C et la toile brune transformés en robe longue plutôt qu’en salopette workwear. Une hérésie? Que du contraire, pointe Vincent Grégoire, qui souligne « ‘un risque ultra calculé, parce que ces collections sont sorties en parallèle, tout en conservant une identité forte et une fondation très solide. Ils osent, mais sans se mettre en danger, avec des collaborations très réfléchies qui leur permettent d’être identifiés sur des territoires qu’ils aimeraient investir, tout en restant très identifiables et sans déroger à leur fonctionnalité ni à leur savoir-faire ».
Car plus encore que l’association calculée avec les labels les plus hype du moment, où la mise en avant d’une esthétique street aussi susceptible de séduire un ados dans les 80s qu’en 2024, c’est bien là que repose le secret du succès continu de Carhartt WIP. Et de son retour en force tout sauf anodin en cette période. « On vit dans une période chahutée économiquement, et les gens en ont marre de jeter leur argent par les fenêtres, décrypte encore Vincent Grégoire. Ils veulent du fonctionnel, du pragmatique, les consom’acteurs en ont marre des marques fast fashion qui leur proposent une qualité médiocre au nom de la tendance. Il y a une volonté d’acheter quelque chose de durable et de légitime: en période de crise, on fait attention à son argent, donc on plébiscite des marques qui ont un savoir-faire technique et qui ne se démodent pas. Des marques auxquelles on peut faire confiance, parce que leur renommée est bâtie sur la qualité de leurs produits et leur durabilité ». Et de pointer que d’autres marques au positionnement similaires, Dr Martens, Birkenstock et Scholl en tête, profitent elles aussi de la conjoncture actuelle.
Silence, on cool
Ajoutez à ces consom’acteurs soucieux de dépenser leur argent de manière raisonnée une nouvelle génération très nostalgique d’une époque qui va des 80s aux années 2000 et qu’elle n’a jamais connue, mais qui lui évoque une certaine idée de la stabilité, et vous obtenez une clientèle de « recodeurs ». C’est-à-dire, définit notre expert ès tendances, « qui renoue avec les codes de la consommation d’avant. On ne jette plus son argent par les fenêtres, on veut des vêtements et accessoires solides, qui protègent le corps et qui ne s’abîment pas. C’en est fini de la fast fashion expérimentale juste bonne à nourrir la poubelle: ce nouveau mode de consommation réunit les générations, et Carhartt WIP est autant plébiscitée par les quadras et les quinquas à qui elle rappelle leur adolescence et leurs premières transgressions que par leurs ados, qui en raffolent aussi ».
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Peut-être, justement, parce qu’en laissant ses vêtements parler pour elle, et en ne changeant jamais de discours, la marque a réussi à tout à la fois obtenir un statut de doudou, et cultiver un mystère résolument cool? Interrogé sur la manière dont elle envisage l’engouement dont elle bénéficie, Carhartt WIP n’a pas souhaité répondre à nos questions. C’est bien connu, le bruit ne fait pas de bien, et le bien ne fait pas de bruit, et dans le cas du label le plus cool de Detroit, il faut reconnaître que tant son succès que sa longévité en disent déjà bien assez…
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