Si chiens, chats et autres compagnons à quatre pattes appartiennent à la catégorie « animal de compagnie », la compagnie en question se fait toujours plus raréfiée au gré de l’augmentation du coût de la vie. Jusqu’à ce qu’avoir un animal à la maison devienne un luxe que seuls les privilégiés peuvent se payer?
Faut-il décidément toujours que tout change pour que rien ne change? Le Guépard de Visconti en était convaincu, la mode lui donne raison en allant piocher dans le passé à chaque nouvelle saison, et la vie en général semble n’être qu’un éternel recommencement. Cela vaut pour les tendances, donc, mais aussi pour nos fidèles compagnons à quatre pattes semble-t-il. C’est que très vite, après être passé du statut de bête sauvage à celui de compagnon de travail, aidant à rassembler les bêtes ou à garder le domaine, l’animal de compagnie est devenu, pour une certaine classe sociale, le luxe ultime.
Les manants meurent de faim? Médor, lui, mange comme un roi, a le poil lustré de celui qui est logé, nourri et choyé, et est emmené partout par sa maîtresse éperdue dont les joyaux rivalisent avec les siens. Il faut lire Les Fables de La Fontaine, et ses références régulières au statut privilégié du chien de famille, ou mieux encore, se plonger dans l’excellent La Fabrication des Chiens, d’Agnès Michaux, pour prendre pleine mesure du phénomène. Plus d’un siècle avant l’avènement de Paris Hilton et du chihuahua rangé dans un sac valant plus que le salaire mensuel de la personne lambda, l’animal de compagnie est déjà un symbole de statut, voire même, le luxe ultime: on dépense sans compter pour une bête, pensez!
+23% dans les dents
Et puis au gré des années, l’outrance fait place à une forme de normalisation. Avoir un animal à la maison se démocratise tant que cela devient, si pas la norme, du moins, partie intégrante de l’image d’Épinal du foyer: n’égrène-t-on pas « la maison, le jardin clôturé et le Labrador » outre-Atlantique pour décrire la famille parfaite? Toutes classes sociales confondues, chiens, chats et autres touffus gambadent gaiement dans les logis modestes ou opulents. Certains sont peut-être plus gâtés que d’autres, tous n’ont pas un pedigree et le prix de vente exorbitant qui va avec, mais agrandir la famille d’un animal reste à la portée de (presque) tout le monde. Enfin, du moins, cela l’était il n’y a pas si longtemps encore.
C’est qu’une étude commandée par l’assureur HelloSafe révèle en effet qu’au cours des trois dernières années, le coût annuel de l’entretien d’un animal de compagnie en Belgique aurait grimpé de pas moins de 23%. Une hausse spectaculaire, à laquelle il faut ajouter celle du panier moyen, de l’énergie et du coût plus général d’une vie qui semble toujours plus impayable.
Jusqu’à devoir faire certains choix, dont celui d’avoir, ou non, un animal de compagnie? Quand on sait que l’étude révèle également que le coût annuel moyen d’un chien ou d’un chat est de 2410 euros par an, ou un peu plus de 200 euros par mois, cela devient un luxe hors de portée de certains de nos compatriotes.
L’animal de compagnie, un luxe impayable?
D’autant que ce budget ne comprend pas les éventuelles visites vétérinaires d’urgence, « les frais de santé annuels pour un animal de compagnie pouvant même aller jusqu’à 1 820 € dans les cas les plus graves » précise encore HelloSafe, qui en profite pour suggérer de faire assurer Pupuce ou Snoopy afin de limiter les dégâts financiers. Mais cela suffira-t-il, sachant que l’alimentation représente à elle seule 74,7 % du total des dépenses annuelles liées à un animal de compagnie?
Aux États-Unis, sorte de précurseur permanent des tendances à venir en Europe, la réponse semble être « non ». Si, durant la pandémie, nombre d’Américains se sont décidés à adopter un compagnon à quatre pattes, vidant de ce fait les refuges dans un élan qualifié de « feel good story nécessaire » par la presse US, il n’a pas fallu longtemps avant que les gros titres soient tout autres. Dès 2021, les abandons se sont en effet multipliés, jusqu’à atteindre un pic à l’été 2023. La raison évoquée par les professionnels du bien-être animal? La plupart des Américains ne sont plus en mesure d’assumer le coût financier que représente leur chien ou leur chat.
Chienne de vie
« Les fluctuations économiques qui impactent les humains ont le même impact négatif sur les animaux. Si une personne se retrouve contrainte d’abandonner son chien pour raisons financières, elle a probablement tout essayé avant pour le garder avant de devoir se rendre à l’évidence et de l’amener en refuge » explique Stephanie Filer, directrice exécutive de l’organisation Shelter Animals Count à nos confrères de Vox.
« Lorsqu’on parle d’articles de luxe que la famille moyenne ne peut plus se permettre, il ne faut pas se limiter aux abonnements de streaming superflus ou bien à des vacances à l’étranger, car la possession d’un animal de compagnie est désormais si coûteuse qu’elle devrait être considérée comme un article de luxe. De nombreuses familles sont d’ailleurs contraintes d’abandonner leur animal bien-aimé, car qui peut se permettre de le nourrir dans le contexte économique actuel ? » s’interroge pour sa part Eve Vawter, de la plateforme PetHelpful.
Qui, en effet? Pour toujours plus de propriétaires aux abois, la question sonne comme un couperet. Même si, de l’autre côté du spectre, on se réjouit de ce changement de perspective. Ou du moins, disons qu’on en prend acte et qu’on répond à une demande qui ne fait que croître.
Aaa
C’est que le nouveau client préféré de l’industrie du luxe n’est pas « le marché asiatique » ou « les adeptes du loud luxury » mais plutôt Fluffy. Enfin, ses maîtres, qui ont désormais le choix entre pléthore d’accessoires plus chics les uns que les autres. Du shampoing pour chien signé Aesop, des paniers colorés imaginés par Hay, un collier Prada, un sac de transport en jacquard Dior… Il semble impensable aujourd’hui pour un acteur du secteur de proposer uniquement des biens destinés aux humains. S’il n’existe pas encore de bocal Serax ni d’onguents pour reptiles Augustus Bader, (les maîtres de) chiens et chats, eux, sont devenus des clients de choix.
Signe des temps, Vogue lance Dogue pour mettre en avant les canidés qui ont le plus de chien, tandis qu’entre 2012 et 2022, les ventes de produits pour animaux ont haussé de 10 ans rien qu’en France. Selon les projections réalisées par l’institut Xerfi, d’ici à 2030, le marché mondial devrait atteindre les 5.000 (oui, cinq mille) milliards de dollars. L’année dernière, le segment des vêtements et accessoires pour chiens dépassait les 11 milliards de dollars, avec une projection à 15.74 milliards de dollars en 2030. Chez Vuitton, Pharell Williams semble s’amuser de l’engouement avec sa collection DOG LVers, qui mêle vêtements pour hommes (à imprimé dalmatien) et accessoires pour chiens ornés du célèbre damier de la maison.
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Et même quand une marque n’agrandit pas (encore) son offre, elle donne du mordant à son image: pour sa dernière campagne, la marque de joaillerie italienne Panconesi a ainsi choisi de draper un de ses colliers sculpturaux au cou d’un chien décrit par une commentatrice sur Instagram comme « le plus beau mannequin que j’aie jamais vu de toute ma vie », rien de moins.
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Parmi les facteurs évoqués pour expliquer ce passage de la niche au runway, on trouve évidemment la place toujours plus importante que les animaux prennent dans les foyers, mais aussi le rôle des réseaux sociaux, où ils prennent également une place de choix, sans oublier la pandémie de COVID: confinements obligent, les arrivées de boules de poils se sont multipliées, particulièrement au sein de familles où ils sont les seuls « bébés ».
Pour Kristen Boesel, du bureau d’analyse de marchés Mintel, « comme les revenus des Millenials sont plus élevés qu’auparavant, ils peuvent dépenser leur argent pour des choses qui ont moins de fonction utilitaire. Et comme ils ont des enfants plus tard, ils adoptent des animaux et projettent d’abord sur eux une partie de leurs instincts parentaux, ce qui a créé une opportunité pour des produits de niche qui rendent la vie de ces animaux plus confortable ». Et drôlement plus luxueuse.
« On peut connaître le coeur d’un homme à la manière dont il traite les animaux », assurait Kant. Qui n’avait certainement pas colliers à plusieurs milliers d’euros et paniers de designers scandinaves en tête en disant ça, mais qui aurait probablement eu quelque chose à dire sur la tendance actuelle à choyer (à outrance?) nos amies les bêtes.
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