Quel est le secret des couples qui réussissent à gérer ensemble une entreprise, à élever des enfants et à entretenir leur relation? Nous avons posé la question à trois duos très occupés de Knokke.
Bart Desmidt et Sandra Vandegeuchte dirigent ensemble le restaurant deux étoiles Bartholomeus. Ils sont en couple depuis 31 ans.
« Nous faisons tout ensemble. Travailler, vivre, voyager, jouer au golf. Je deviens grognon si je ne la vois pas pendant une demi-journée », confie Bart. Avec sa femme Sandra, il a obtenu deux étoiles Michelin et une note de 18/20 dans le Gault&Millau pour le Bartholomeus, leur établissement situé sur la digue à Knokke-Heist. « C’est pourquoi les mardis ne sont pas les jours les plus joyeux », raconte Sandra. « Ce jour-là, je m’occupe seule de la lessive et du ménage à la maison, tandis que Bart gère la comptabilité au restaurant ».
Bart: « Je suis toujours heureux quand elle entre. Être avec elle est naturel. Je n’ai pas besoin de faire semblant ni de me taire. On est à l’aise ensemble, mais on se laisse aussi de l’espace. Au final, tout repose sur le respect. Et plus on vieillit, plus il devient facile de s’adapter l’un à l’autre ».
Sandra: « Grâce à Bart, je suis devenue bien plus ouverte. C’est un grand bavard, il m’a toujours dit: sois ouverte, sois raisonnable ».
Bart rit: « Ce qu’elle a changé chez moi? Ce n’est pas un article qu’il faudrait, mais tout un livre ».
« On s’est mis ensemble le 24 décembre, il y a 31 ans, et on s’est mariés le 24 mai » confie Bart, visiblement fier. Sandra sourit: « Je savais tout de suite que c’était lui. Mes amis me disaient: tu vas épouser ce garçon. On bossait tous les deux dans la restauration, et dès le départ, on parlait de ce qu’on voulait faire ensemble. On avait 23 ans, et on s’est lancés ».
Les neuf premiers mois, ils ont travaillé vingt heures par jour, se souvient Bart. « Il m’est arrivé de pleurer de désespoir au beau milieu de la nuit ». « Et puis on avait peur de ne pas s’en sortir financièrement », ajoute Sandra. « Mais on ne s’est pas dégonflés. On est tous deux perfectionnistes, on ne sait pas faire les choses à moitié. On aime la structure, indispensable dans notre métier ». Bart rit: « Elle me taquine parfois. Elle déplace quelque chose en salle pendant le service pour me perturber, et elle rit quand elle me voit paniquer ».
« On a attendu dix ans avant de penser à des enfants, mais ensuite mon instinct maternel s’est imposé », dit Sandra. « Et pouvoir engager une nounou quand notre fils est né a beaucoup aidé ».
« Il nous arrivait de discuter du personnel en rentrant tard le soir », admet Bart. « Mais en 2019, nous avons changé de concept. Cuisine ouverte, 18 couverts, et seulement Sandra, mon sous-chef Phillip et moi. Avant, les clients venaient au restaurant. Aujourd’hui, nous avons tout agencé comme si les gens venaient dîner chez nous. À un certain niveau, bien sûr ».
Sandra concède que ce n’était pas évident : « J’étais la maîtresse de la salle, et j’ai dû céder ce rôle. Aujourd’hui, nous sommes ensemble en cuisine ouverte. L’avantage, c’est qu’on communique sans mots. Les clients nous demandent souvent comment on arrive à être aussi calmes et organisés. Trente-et-un ans de mariage, ça aide ». « Ce changement n’a pas réduit notre charge de travail, bien au contraire. Mais ce lien direct avec les clients, et cette collaboration à trois, ça en vaut la peine ».
Sandra conclut: « Ce que nous avons ici, nous l’avons construit de nos propres mains. Je ne voudrais rien faire d’autre ».
Rik et Sylvie Ruebens tiennent ensemble le magasin de décoration intérieure RR Interieur. Ils sont ensemble depuis 34 ans.
« Notre entreprise s’appelle RR à cause de l’allitération, pas à cause de mon ego ». Rik Ruebens est catégorique. « Et c’est lui qui parle le plus, car c’est le meilleur communicateur », plaisante sa femme Sylvie. Ensemble, ils dirigent RR Interieur, avec trois magasins à Knokke-Heist et un au Luxembourg.
« Nous sommes tombés éperdument amoureux durant notre première année à l’université de Gand », raconte Rik. « Notre amour mutuel surpassait celui des manuels ». « Nous venons de familles d’entrepreneurs » ajoute Sylvie. « Celle de Rik comptait des menuisiers, mes parents travaillaient dans l’alimentation animale. Nous voulions créer quelque chose ensemble et, un peu sur un coup de tête, nous avons saisi l’opportunité d’un local à Knokke-Heist, là où Rik travaillait alors. Je n’avais aucune affinité avec le design, mais j’ai appris sur le terrain. Notre fille Chloé avait huit mois quand la boutique a ouvert. Elle vient d’ailleurs de nous rejoindre dans l’entreprise ».
« Pour nous, une boutique d’intérieur est une forme d’hospitalité: on reçoit et on conseille les gens », explique Rik. « Il n’y a pas de hiérarchie. On gère l’affaire ensemble, mais chacun a ses responsabilités. Cela s’est fait naturellement. Sylvie s’occupe du design, de l’ADN de notre marque. Moi, je m’occupe de la gestion. Nous sommes disciplinés: on se lève à 5h30 pour aller faire du sport à 6 heures. Séparer le travail et la vie privée est impossible. Heureusement, on aime tellement notre métier qu’on ne le voit pas comme un travail. Le grand avantage d’entreprendre en couple, c’est de partager les bons moments comme les mauvais. Nous avons traversé des moments très difficiles. Pendant trois longues années, chaque vendredi, nous faisions le point sur ce que nous pouvions payer ou non. Partager ce fardeau l’a rendu plus supportable ».
« Nous sommes tous les deux des battants », ajoute Sylvie.
« Nous aimons avoir un but, et le réaliser ensemble le rend deux fois plus savoureux. Dans les moments critiques, nous sommes au sommet de notre forme ».
« Nous aimons aussi vivre à cent à l’heure », confie Rik. « Nous revenons tout juste d’un aller-retour de 22 heures à Copenhague. La plupart des gens trouvent cela fou, mais pour nous c’est exaltant. À ce stade, ce que vous voyez est ce que nous sommes. Après 34 ans de vie commune, on ne peut plus jouer de rôle: on est soi-même, point ».
« Bien sûr, nous sommes différents », reconnaît Sylvie. « J’aime la clarté, j’ai besoin de feedback. Positif comme négatif, car la critique fait avancer. Rik est meilleur communicant, mais il veut plaire à tout le monde — ce qui est évidemment impossible. Nous nous complétons bien ».
« Même si j’aime parler, nous pouvons communiquer sans un mot », ajoute Rik en hochant la tête. « Sylvie lit les gens à merveille et un simple échange de regards suffit souvent. C’est crucial avec les clients, mais aussi très utile lors des recrutements. Ça peut paraître cliché, mais nous sommes les meilleurs amis du monde. Oui, notre couple a aussi traversé des périodes difficiles. Nous avons eu dix années de disputes fréquentes et avons énormément travaillé sur notre relation. Tomber amoureux de quelqu’un qui a les mêmes envies de vie et que l’on supporte vraiment, c’est une chance. Mais il faut aussi provoquer cette chance. Professionnellement, nous avons une équipe loyale qui partage nos valeurs. Et en privé, une sorte de “conseil consultatif” de couples stables avec qui nous nous entendons très bien. Nous savons combien l’amitié est précieuse, surtout depuis que Sylvie a perdu son père. La course au matérialisme nous fait parfois oublier ce qui compte vraiment: être là l’un pour l’autre. Et je suis toujours amoureux de ma femme. Je l’aime même plus qu’il y a 25 ans, parce que nous avons construit tout ça ensemble ».
Le kinésithérapeute Henk Deconinck et la nutritionniste Tine Kreps dirigent ensemble De Praktijk, un centre paramédical dédié à la santé physique. Ils sont en couple depuis 25 ans.
« Henk est toujours celui qui va chercher notre fille après une fête. Il ne se couche presque jamais avant deux heures du matin. Moi, je suis celle qui réveille les enfants à cinq heures s’ils veulent étudier tôt. Cette différence de rythme biologique n’est pas romantique du tout », rit Tine, « mais ça fonctionne. Après 25 ans de vie commune, je sais que l’amour pour nous, ce n’est pas regarder la télé ensemble à 20h ».
« Les rôles sont répartis de manière assez classique: Tine s’occupe plus des enfants, moi je fais des journées plus longues en tant que kiné », dit Henk. « Mais ce sont les petits moments qui nous relient: un café entre deux patients, une promenade en soirée ou une glace, l’apéro du vendredi avec notre fils et notre fille… De Praktijk compte trois sites, et nous habitons au-dessus de celui où se trouve aussi le cabinet de kiné. Cette proximité, les enfants la ressentent ».
Ils ont fondé ensemble De Praktijk à Knokke-Heist en 2003, alors qu’ils avaient à peine la vingtaine. « Henk était kiné, moi orthophoniste », explique Tine. « Six ans plus tard, pendant mon congé maternité, nous avons embauché notre premier collaborateur ». Henk: « Puis nous avons grandi progressivement et aujourd’hui nous avons une équipe complète de spécialistes. Nous proposons par exemple des conseils nutritionnels basés sur l’ADN et l’analyse du glucose, et une boutique expérientielle du label belge haut de gamme RainPharma. Nous sommes facilement enthousiasmés par tout ce qui améliore notre pratique.
Au départ, nous fonctionnions à l’envie d’entreprendre. Ces dernières années, nous avons aussi suivi des coachings pour mieux nous comprendre en tant qu’individus.
Cela nous aide aujourd’hui comme parents, partenaires et entrepreneurs ».
« L’un de ces coachings portait sur le leadership personnel », explique Tine. « Nous avons appris à identifier nos pièges et à comprendre ce qui revenait sans cesse. Depuis que nous comprenons mieux nos personnalités, nos discussions sont moins chargées émotionnellement. Je sais maintenant que si Henk dit certaines choses, ce n’est pas pour me blesser, mais parce qu’il a une personnalité de leader sûr de lui et exigeant — ce qui est un atout pour l’entreprise. Moi, je suis une perfectionniste, tournée vers l’amélioration de soi et des autres. Cette année, j’ai terminé la première année d’un postgrad en nutrition orthomoléculaire pour mieux accompagner mes patients. Je n’exerce plus comme orthophoniste, et Henk comprend que j’ai besoin de cette spécialisation ».
Malgré leur ambition professionnelle, leur amour pour la famille reste leur socle. « Nous avons suivi un parcours PMA pendant des années, sans savoir si nous serions un jour parents », confie Tine. « Cette période de vulnérabilité nous a beaucoup rapprochés. Chaque appel difficile de l’hôpital, nous l’avons vécu ensemble. Cela a renforcé notre lien. Et plus vous avez de liant, plus vous tenez face aux coups durs. Depuis, quand un défi se présente, pro ou perso, je me dis : vas-y ».
