Les photos avant/après, ce dangereux miroir aux alouettes
Avant/après: superposés, les mots ont un incroyable pouvoir de fascination, mais aussi celui de susciter clics et ventes de magazines. C’est que l’appétit pour ce genre de transformations semble impossible à rassasier, quitte à en avoir la nausée. Car comparaison n’est pas raison, et ces juxtapositions de photos font du mal au mental.
Au printemps 2023, un nouveau filtre s’est emparé de TikTok. À l’aide de l’outil de retouche CapCut, les utilisateurs de la plateforme chinoise appliquaient l’effet Big Face pour rendre leurs visages plus larges, puis postaient le résultat en miroir d’un selfie “normal” avec, en légende, “moi si je perdais 50 kilos”. Hilarité générale? Bof, parce qu’ainsi que l’ont rapidement pointé de nombreux TikTokeurs, la “blagounette” était surtout une pratique bien grossophobe. Et de relancer dans la foulée le débat autour des photos avant/après, sans filtre, cette fois, mais toujours vue à travers un prisme: celui d’une amélioration (ou, parfois, d’une “dégradation”) liée le plus souvent à une fluctuation de poids.
Problématique, vous avez dit problématique?
Le bien du mal
Et pourtant, les avant/après fascinent. Deux petits mots, une barre oblique, et la magie opère direct: ça clique, ça feuillette, on veut voir comment Machine a “mal tourné” ou bien le résultat du régime drastique de Chose. D’ailleurs, les experts en marketing ne s’y trompent pas et recommandent la pratique à tour de bras. “Les photos avant/après créent des déclencheurs sociaux qui vous aident à convertir l’intérêt de la personne en ventes.
Elles persuadent l’acheteur potentiel que votre produit peut lui apporter des résultats” explique la plateforme de services web BCS, tandis que du côté du spécialiste allemand des procédures à base d’acide hyaluronique HYAcorp, on n’hésite pas à affirmer que ces juxtapositions de photos sont “tout”. “Vous pouvez avoir des années d’expérience, les diplômes les plus prestigieux, les équipements les plus récents et des produits de haute qualité, mais rien de tout cela ne sera aussi convaincant que de montrer à vos patients potentiels les résultats réels que vous avez obtenus et les preuves de votre travail antérieur à l’aide de photos avant/après”.
Pour le spécialiste de la psychologie des consommateurs Derek Halpern, si ces photos sont partout, c’est parce qu’elles sont incroyablement efficaces. Ainsi qu’il le précise sur sa plateforme en ligne Social Triggers, “En montrant d’où viennent les autres et où ils en sont aujourd’hui, vous prouvez aux personnes qui voient votre contenu que cela peut aussi marcher pour elles”. Et de pointer que “la plupart des gens ne savent pas à quel point quelque chose était mauvais jusqu’à ce qu’on leur montre à quel point il est bien aujourd’hui. Si quelqu’un a des abdos tracés, tant mieux pour lui, mais s’il a ces mêmes abdos, et qu’on montre que deux ans auparavant, il pesait plus de 100 kilos? Ça devient incroyablement impressionnant”.
Les photos avant/après, à corps défendant
Et cela renvoie aussi à la critique principale qui est faite aux photos avant/après. Depuis plus de 30 ans, l’équipe de professionnels de la santé des différents centres du Emily Program s’attèlent à accompagner des personnes souffrant de troubles du comportement alimentaire sur le chemin de la guérison. “L’enchaînement des photos « avant et après » suggère qu’une photo – un corps – est plus désirable que l’autre. Ces images impliquent qu’un corps est mauvais et qu’un autre est bon. Que les photos montrent une perte ou une prise de poids, le message renforce l’hyperfocalisation sur le poids déjà si présente dans notre culture” dénoncent-ils.
Un sentiment appuyé par la nutritionniste anti-régime Meredith Oram, qui va plus loin et affirme que la diffusion de ce type de photos devrait carrément être interdites. “Parfois, les photos avant/après sont publiées avec des intentions relativement bonnes. Quelqu’un s’est fixé des objectifs pour son corps et se félicite des progrès accomplis dans leur réalisation à l’aide d’une photo de comparaison. Mais les intentions n’ont pas vraiment d’importance, car les photos avant et après sont un déclencheur pour toute personne qui a déjà eu des difficultés avec son image corporelle”.
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Pire encore? “La plupart des gens vont regarder plus attentivement le côté « avant » de la photo et le comparer avec leur propre corps, pointe Meredith Oram. Et si leur corps actuel est « pire » que celui de la photo Avant du diaporama, vous vous sentirez encore plus mal dans votre peau. Une fois que vous serez passé à la partie « Après » de la photo, vous aurez « plus de preuves » que vous n’êtes pas assez bien”. Un cercle vicieux de comparaison qui touche à l’essence même du problème.
Comparaison et déraison
Car si la majorité des photos avant/après se concentrent sur une transformation corporelle, qu’il s’agisse d’une perte de poids, d’une coupe de cheveux ou même d’une opération de chirurgie esthétique, le diptyque s’applique à toutes sortes de thématiques, qu’il s’agisse d’aménagement intérieur, de rangement ou même d’épargne. Avec, en fil rouge, toujours la même narrative: avant c’était mauvais, après les changements, c’est bien. Et ça fonctionne, car la comparaison est une partie inhérente de la nature humaine, et occuperait jusqu’à 10% de nos pensées quotidiennes selon les études réalisées sur le sujet.
Problème, ainsi que le rappelle la psychologue Claire Nakajima, “le fait de se comparer aux autres par envie ou jalousie peut nuire aux relations, nourrir l’insécurité et altérer l’expérience de moments qui pourraient être très agréables et précieux. Lorsque vous comparez constamment les autres à vous, votre estime de soi est également affectée, ce qui peut contribuer à des sentiments d’anxiété et de dépression”.
Certes, toute comparaison ne rime pas avec déraison, et dans certains cas, elle peut nous pousser à nous dépasser, à grandir et à réaliser nos objectifs. Mais le processus est à double-tranchant, pouvant parfois empêcher de faire quelque chose plutôt que d’agir comme élément motivateur. En outre, toutes les études sur le sujet s’accordent pour affirmer que sur le long terme, se comparer aux autres nuit à la santé mentale. Mais comment arrêter, alors que chaque interaction sociale a le potentiel de se transformer en avant/après?
Célébrer aujourd’hui plutôt que d’attendre demain
Selon Rachel Cruze, auteure appartenant au cercle très select des bestsellers du New York Times et présentatrice de son propre talk show, la clé se trouve dans l’appréciation de soi et de ce qu’on a. En faisant l’exercice quotidien de recenser des choses qui nous ont apporté de la joie, on réapprend progressivement à se détacher de la comparaison pour ce concentrer plutôt sur toutes les raisons d’être heureux de sa propre situation. Cela permet aussi de se libérer de la dynamique avant/après, pas seulement dans les photos mais aussi et surtout dans la tête.
“Être content de ce qu’on a et de ce qu’on est ne signifie pas que l’on n’a pas d’objectifs pour l’avenir ou que l’on ne s’efforce pas d’être demain une meilleure personne que celle qu’on est aujourd’hui. Cela ne signifie pas non plus que l’on stagne ou que l’on choisit de s’asseoir et de ne rien faire de nouveau, d’excitant et de stimulant. Cela veut simplement dire que l’on développe une forme d’apaisement et un plaisir sincère dans ce que l’on a aujourd’hui sans baser tout son bonheur sur ce qu’on espère atteindre demain” décrypte Rachel Cruze.
Et si on n’arrive pas à s’affranchir complètement de la dynamique, ce n’est pas grave. “Il est impossible de s’en abstenir complètement” rassure la psychologue Stéphanie Léonard, Qui prodigue le conseil suivant: “À chaque fois que l’envie de vous comparer vous vient, pensez plutôt à ce qui vous distingue positivement des autres, à vos forces et à ce qui vous rend unique”. Réalistiquement, il y aura toujours quelqu’un de plus mince, plus jeune, plus riche que vous, l’intérieur de X ou Y sera peut-être plus cossu ou mieux rangé que le vôtre, et les vacances sous les tropiques de Z, bien plus exotiques que votre échappée à proximité. Mais malgré tout ça, aucune de ces personnes n’a ce que vous avez puisque par définition, vous êtes unique au monde. Et ça, ça mérite d’être célébré avant, après, mais surtout maintenant.
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