Et si anticiper sa mort était la clé d’une vie heureuse?

Et si planifier sa mort était la clé d'une vie heureuse? Getty Images
Et si planifier sa mort était la clé d'une vie heureuse? Getty Images
Kathleen Wuyard-Jadot
Kathleen Wuyard-Jadot Journaliste

Sa simple perspective suffit parfois à ôter toute semblance de joie de vivre. Et pourtant, la mort, ou plutôt, son anticipation apaisée, serait la clé d’une vie plus sereine et heureuse d’après les experts en la matière.

Penser à la mort pour mieux vivre sa vie? Il ne s’agit pas ici de « cueillir le jour » parce que ces derniers nous sont comptés dès notre première respiration, mais bien, plutôt, de se pencher activement et sans angoisse sur notre décès inévitable.

Une philosophie qui gagne du terrain et dont la Suédoise Margareta Magnusson est un des fers de lance. Âgée selon ses dires d’entre « 80 et 100 ans », celle qui a exposé ses oeuvres au quatre coins de la planète et trouvé malgré tout le temps d’élever cinq enfants a ainsi publié un guide pour « vieillir de manière exubérante », partageant les perles de sagesse accumulées au long de sa vie bien remplie. Et d’indiquer dès la couverture que ces dernières sont dispensées « par quelqu’un qui mourra très probablement avant vous ».

Morbide, Margareta? Pragmatique, disons. C’est que la Suédoise s’est faite connaître sur la scène littéraire avec Une vie en ordre, son manifeste détaillant « comment ranger sa vie pour alléger celle des autres ». Soit le « death cleaning », ou « grand nettoyage d’hiver » (de la vie) s’il fallait traduire de manière plus directe le titre de l’édition anglaise et la démarche de Margareta.

Laquelle enjoint son lectorat à « faire le tri dans son existence, qu’il s’agisse de vêtements, d’objets, de souvenirs ou de secrets, pour ne laisser que le meilleur de soi à ceux qui restent. Et leur faciliter la vie ».

Une approche qu’on aurait tort de réserver au crépuscule de sa vie, souligne Emeline, lectrice conquise : « Lorsque j’ai commencé le livre, j’ai eu la sensation de ne pas être la cible car il s’adresse avant tout à des personnes qui souhaitent mettre leur vie en ordre avant leur dernier voyage. Finalement, il peut être conseillé autant à ceux qui souhaitent s’organiser car ils vieillissent qu’à ceux qui voudraient comprendre les problématiques que traversent leurs aînés ou qui cherchent une manière d’aborder la question avec leurs proches vieillissants ». Chez Flammarion, qui a publié l’ouvrage en français, on souligne l’importance de  » mettre sa vie en ordre pour éviter à ses proches d’avoir à le faire » et que « familiers du concept, les Suédois ont un mot pour désigner cette action : döstädning. Si vous ne parlez pas suédois, la délicieuse Margareta Magnusson, avec un naturel aussi désarmant que son humour, vous expliquera comment bien préparer l’après ».  

Apprivoiser l’inévitable

Mais en préparant l’après alors qu’on est dans le « pendant », ne court-on pas le risque de passer son présent à craindre un futur inéluctable? Dans ses « Etudes sur la mort », la Française Françoise Biotti-Mache, Maître de Conférences en Histoire du Droit, rappelle que « le but de la préparation matérielle de sa propre mort est de s’aider soi-même d’abord, sa famille ensuite. Préparer son deuil, c’est se rassurer, et aider les siens à faire leur deuil ».

Pour la majorité des êtres humains, se préparer à la mort, c’est d’abord essayer de l’apprivoiser pour en faire, sinon une amie, du moins une pensée familière, et donc moins effrayante, car, c’est là qu’est le vrai problème : la peur de mourir, la peur de l’inconnu, la peur de ce qui nous échappe.Il faut donc se préparer à sa mort pour exorciser la peur » assure Françoise Biotti-Mache.

 Pour qui « s’il faut d’abord apprendre à vivre sans peur, avec l’idée de la mort, la meilleure façon de la fréquenter est de la préparer, de son vivant », mais sans « confondre les préparatifs de sa mort avec les rites funéraires et évidemment encore moins, avec le culte des morts ». Ni même avec une éventuelle euthanasie.

Celle-ci est au coeur du dernier roman de Lionel Shriver, « À prendre ou à laisser », qui continue sa dissection férocement intelligente des rapports humains à travers le parcours d’un couple, Kay et Cyril, et de leur approche de leur fin inévitable.

Pendant dix ans, Kay a assisté son père atteint de la maladie d’Alzheimer. À la mort de ce dernier, le soulagement l’emporte sur la tristesse et une question surgit : comment gérer sa propre fin de vie ?
Une discussion avec son mari Cyril, quelques verres de vin et les voici qui en viennent à nouer un pacte. Certes, ils n’ont que cinquante ans, sont en bonne santé et comptent bien profiter encore de leurs proches, mais pas question de faire peser sur ceux-ci et sur la société leur inéluctable déliquescence. C’est décidé, le jour de leurs quatre-vingts ans, Kay et Cyril partiront ensemble.

Mais le temps passe et voici qu’arrive la date fatidique : une date, douze possibilités et une conclusion : dans la vie, tout est à prendre ou à laisser. Et ainsi que le démontre Lionel Shriver dans cette oeuvre de fiction à l’écho tout sauf fictif, on a beau se croire préparé à son décès, on ne peut jamais entièrement l’être. Ce qui n’empêche pas d’essayer.

Tenter de maîtriser l’incontrôlable

Dans ses « Chroniques d’outre-tombe », autobiographie d’un « croque-mort bien vivant », Sébastien Montaut, gagnant du « Grand Oral » de France 2 dont l’éloquence n’est plus à démontrer rappelle que « la mort fait partie du chemin, elle nous concerne tous. Employé de pompes funèbres depuis une dizaine d’années, il confie aimer profondément son métier, qu’il qualifie de « dépositaire de l’ultime adieu ».

Quel privilège d’être le chef d’orchestre du grand départ et de faire en sorte que la mélodie du voyage soit la plus apaisante possible. C’est une échéance inéluctable, et quand elle survient, l’apaisement, l’écoute et l’empathie deviennent des soins pour ceux qui restent » raconte Sébastien.

Qui partage le parcours de France, trentenaire terrassée par un cancer, venue organiser ses propres obsèques pour que son mari n’ait à s’occuper de rien et évoquant les « testaments obsèques » rédigés par certaines personnes en prévision de leur mort. « Mettre ses affaires en ordre, prendre ses dispositions, quelle que soit la manière de le dire, depuis des millénaires, les hommes veulent décider du destin de leurs corps et de leurs biens en transmettant leur patrimoine aux héritiers qu’ils désigneront. C’est un des plus sûrs moyens de dépasser sa propre disparition et de se survivre » concède Françoise Biotti-Mache, pour qui « sûr que ses dernières volontés seront respectées, que l’on prendra soin de son corps et de ses biens, il reste à l’être humain à prendre soin de son âme et à apprendre à mourir ».

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Auteur de « Mourir, ce que l’on sait, ce que l’on peut faire, comment s’y préparer » et de « L’Autonomie en fin de vie », le Dr Gian Domenico Borasio, professeur en soins palliatifs au CHUV de Lausanne est sans appel: « se préparer à mourir est la meilleure façon d’apprendre à vivre ». Lui aussi parle du « privilège » de côtoyer des personnes en fin de vie et cite le proche d’un patient pour appuyer son propos: « On pense que ce sont les vivants qui ferment les yeux des mourants, mais ce sont les mourants qui ouvrent les yeux des vivants ». Et d’assurer encore que « la meilleure préparation à une bonne mort est d’avoir vécu une bonne vie ». Ordonner son intérieur, comme le conseille Margareta Magnusson, et être en ordre avec sa conscience, la clé pour aborder sa mort, et donc sa vie, avec sérénité?

« Affronter sa propre mort est difficile et entraîne de nombreuses variations de l’humeur. Cependant, pour la plupart des personnes, c’est une période pendant laquelle ils se mettent à mieux comprendre la vie et se sentent grandir. En affrontant des conflits non résolus, renouant des relations interrompues et en subvenant aux besoins de ses proches, la personne et sa famille peuvent aboutir à un profond sentiment de paix » avance la doctoresse américaine Elizabeth L. Cobbs dans « L’acceptation de la mort et mourir ». Et les Soeurs de l’Abbaye de Montligeon de résumer le propos, affirmant que « la bonne mort, c’est être prêt. Se préparer à la mort, affronter cette issue, nous aide à vivre le présent en nous rappelant que ce nous possédons, ce que nous sommes, nous l’avons reçu ». Qu’on croie ou non en quelque Dieu que ce soit, ou bien à l’existence (ou l’absence) d’un au-delà.

Penser la mort pour profiter de la vie

Dans « Quand la mort éclaire la vie », paru à l’automne 2022, Christophe André, Christophe Fauré, le Dr Steven Laureys et Mathieu Ricard, soit « un philosophe, un moine, des neuroscientifiques et des psys » soulignent que « nous allons tous être confrontés un jour à cette expérience qui fonde notre condition. Loin de nous attrister, cette certitude peut nous inciter à trouver du sens dans notre quotidien, à profiter pleinement de chaque instant, à vivre en accord avec nos valeurs et à accomplir nos rêves pour ne rien regretter ». Mot d’ordre: on ne devrait pas s’habituer à vivre.

Pour Matthieu Ricard, l’heure incertaine de la mort, loin de nous angoisser, peut même se transformer en incitation à vivre en accord avec nos valeurs, nos priorités, et en profitant de chaque instant. C’est donc « une valorisation de notre potentiel ».

Respirer, marcher, parler, regarder : toutes choses ordinaires, dont on ne s’aperçoit de la valeur que lorsqu’on a failli les perdre pour toujours. Les rescapés d’accident, de maladies ou d’événements de vie graves racontent tous la même histoire, et la même sensation, liée à cette prise de conscience : vivre est une chance » martèle Christophe André.

Et le réaliser pleinement passe paradoxalement par la réalisation que mourir est inéluctable, parfois imprévisible, mais que s’y préparer permet de vivre de manière plus apaisée.

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