Ni mari ni enfants: « momcation », quand les mamans partent seules en vacances (pour mieux revenir?)
Envie de prendre quelques jours sans conjoint ni bambins? Vous n’êtes pas seule. Rien de nouveau sous le soleil? Certes. Il n’empêche, la tendance séduit de plus en plus de mamans épuisées (ou pas) et constitue un filon prometteur chez les professionnels du secteur touristique outre-Atlantique. Décryptage.
Au départ, une envie de tout quitter – un temps seulement – pour mieux revenir. Ainsi, Olivia, maman de deux enfants de cinq et huit ans, a pris l’initiative de réserver ce week-end dont elle rêve depuis des mois. « Il y a quelques semaines, j’ai expliqué à mon compagnon que je ressentais le besoin de faire une vraie coupure, de partir seule pour dormir, dormir et dormir ». Elle rit: « C’est l’avantage de devenir maman, on a des plaisirs simples! »
Vacances de mère
La tendance, ou plutôt, le mot anglais qu’on met dessus – jamais sans son hashtag – nous vient tout droit des US. Partir en « momcation », mot valise entre « mom » et « vacation » consiste à larguer les amarres sans partenaire ni enfants, le temps de quelques jours, pour se ressourcer loin des obligations de la vie familiale.
« 10 reasons you need a momcation », « destinations and planning tips»… Les blogs anglo-saxons, les groupes de mamans sur Facebook et posts Instagram regorgent de conseils et incitations à partir. Parce que vous le valez bien. Sur Instagram, plus de 80.000 #momcation mettent en scène des mères tout sourire, livre, cocktail ou tapis de yoga à la main. Comme pour dire au monde à quel point prendre le large leur fait du bien. À les voir, on croirait presque que c’est facile. Que pour une femme, en 2024, prendre des vacances sans sa marmaille, c’est entré dans les mœurs.
Ce break, en avons-nous davantage besoin que les générations précédentes? Le syndrome du wonderparent présent sur tous les fronts, écartelé entre les recommandations des professionnels de la petite enfance et angoissant face aux écrans, au sucre et au réchauffement climatique, semble rendre ce qu’on appelle aujourd’hui la parentalité, et la maternité en l’occurrence, plus difficile qu’autrefois. Ce qui ne signifie pas que nos mères ou grands-mères n’ont pas rêvé de se faire la malle – ou qu’elles ne l’ont pas fait d’ailleurs, même si, partir pour partir, sans une « bonne » raison (travail, cas de force majeur) devait rester très marginal.
« J’avais passé trois jours à écrire, marcher et manger des sandwichs et des yaourts sur mon lit d’hôtel. »
Les momcations sont peut-être aussi et paradoxalement le signe d’une évolution des sociétés occidentales contemporaines. Les jeunes générations ne plaisantent pas avec le bien-être, dans toutes les sphères de la vie: familiale, professionnelle… Il n’est plus question d’accepter sa condition en courbant l’échine sa vie entière. On veut s’épanouir! Les mères vont au restaurant entre copines, ont des activités en dehors du travail ou de la cellule familiale, même quand elles ont de très jeunes enfants. Prendre un week-end ou des vacances sans sa smala semble donc une prolongation logique de cette volonté d’indépendance et de temps pour soi. Au-delà d’une échappatoire au burn-out, une momcation peut aussi être un moment ressourçant, sans forcément fuir un quotidien écrasant… Même si, en pratique, c’est bien plus difficile à mette en place qu’en théorie.
American (mother) dream?
Mais replaçons les choses dans leur contexte, les mamans en maillot dans le bon cadre photo. Le concept de Momcation vient des États-Unis où les salariés ne bénéficient pas des 20 jours de congés payés annuels, le minimum légal en Europe. Pas de seuil minimal aux US donc, et selon une enquête menée en 2023, environ la moitié des salariés américains ne prendraient pas la totalité des congés auxquels ils ont droit. Les deux semaines de vacances – la coutume sous nos latitudes – sont ainsi bien loin d’être la norme outre-Atlantique.
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Dur dur pour les parents qui travaillent de trouver du temps pour déconnecter, tout simplement. Sans parler de la scolarisation des enfants à partir de cinq ans, quand chez nous, les enfants entrent à l’école vers trois ans. Cela implique que les parents doivent parfois se débrouiller pour garder, au moins une bonne partie de la semaine, leurs bambins à la maison.
Juste besoin d’être seule
Malgré ces spécificités américaines, aux US comme en Europe, même combat. Qu’on travaille ou non d’ailleurs, et peut-être plus que jamais en cette période post-Covid? Plusieurs études et articles scientifiques ont mis en garde contre un risque accru de burn-out parental en situation de pandémie.
Ainsi Isabella Roskam et Moïra Mikolajczak, professeures et chercheuses spécialistes du burn-out parental à l’UCLouvain, avaient alerté contre un risque de polarisation de la situation de parents pendant les confinements. Avec un taux de burn-out plus important chez les mères que chez les pères. La charge mentale incombant en général davantage aux femmes, cela pourrait expliquer que ces dernières ressentent un besoin accru d’avoir des moments en solo.
« J’ai souvent besoin de solitude », raconte Anne-Sophie, maman de deux enfants de sept et dix ans, qui s’est offert une escapade au moment du Covid, et a réitéré l’expérience depuis. « J’avais demandé à mon chéri de comprendre que j’avais juste besoin d’être seule. J’étais partie deux ou trois nuits. J’avais pris une petite chambre d’hôtel face à la mer, c’était très romantique… Et j’avais passé trois jours à écrire, marcher et manger des sandwichs et des yaourts sur mon lit d’hôtel, ça m’avait fait un bien fou. » Pour Anne-Sophie, partir seule répond au besoin fondamental d’intimité, la fameuse « chambre à soi » de Virginia Woolf. « Ces envies sont constitutives et nécessaires à nous comme à l’autre. Je suis autant une maman louve qu’une femme qui a besoin d’espace. »
Filon marketing
Le traditionnel capitalisme américain oserait pousser le cynisme jusqu’à traduire ce besoin de solitude en produit marketing permettant de vendre des séjours pour mères épuisées?
Si chez nous, la « momcation » n’est qu’un mot encore peu usité pour décrire un simple séjour family free, aux États-Unis, le concept semble être vendeur. Hôtels et tour-opérateurs ont créé des offres spécifiques pour ces momcations, parfois à plusieurs milliers de dollars lorsqu’elles promettent une retraite sur des plages de rêve, spa et cocktails inclus. Et ça marche. Les mamans américaines – certes privilégiées – partent, souvent encouragées par leurs maris.
Mais si elles en profitent, ces desperate work/housewives ne sont pas dupes pour autant, sans doute résignées à ce que leur détresse soit lucrative. Pour les mamans comme les experts, les momcations sont en effet le symptôme d’un problème systémique de la prise en compte de la santé mentale des mères, qui doivent élever leurs enfants comme si elles n’avaient pas de travail, et travailler comme si elles n’avaient pas d’enfant.
« Pourquoi ne consacrons-nous pas notre temps et notre énergie à faire campagne pour un minimum fédéral de jours de vacances, pour tous les travailleurs, hommes et femmes, afin que chacun ait la possibilité de gérer son travail et sa famille d’une manière un peu moins insensée? » s’interroge Caitlyn Collins, professeure de sociologie à l’Université Washington de Saint Louis et autrice de Making Motherhood Work : How Women Manage, dans un article du Washington Post sur la tendance « momcation » vue des US. La sociologue pointant ainsi du doigt la forêt cachée par l’arbre.
« Ma seule exigence: un endroit sans trop d’enfants. »
Mais les envies de parenthèse en solo des mamans au bout du rouleau ne constituent pas (encore) une cible du marché dans nos contrées… « Comme d’autres niches telles que le staycation ou l’excation, la momcation est une tendance connue, mais qui reste surtout un phénomène culturel importé des pays anglo-saxons. Il se traduit moins dans des séjours effectifs qu’outre-Atlantique », nous explique Michael Dibbern, directeur de MDI consulting, cabinet conseil en tourisme, spécialiste du territoire belge. « En terme d’offre et de communication, à la différence d’autres pays, les Belges et Français auto-produisent la majeure partie de leurs séjours touristiques. C’est-à-dire qu’ils vont réserver individuellement les différents éléments qui composent un séjour (y compris dans le cadre d’une momcation), à savoir transports, hébergements et activités. »
Concrètement, cela signifie qu’à ce jour, il n’existe pas d’offre spécifique réservée aux mamans chez les professionnels du secteur sous nos latitudes. Et même – le comble – certaines plateformes de logements de vacances traduisent « momcation » par « locations de vacances adaptées aux enfants ». Malheureux!
Mais nous ne sommes pas à côté de la plaque pour autant. L’agence spécialiste du voyage organisé pour femmes Copines de Voyage, assure que, chez elle, le phénomène momcation n’est pas nouveau, et qu’elle voit passer chaque année des mères de famille parmi ses voyageuses solos, depuis sa création en 2016.
Petits et grands espaces
En somme, chez nous, on se débrouille, et nul besoin de packs all inclusive alléchants pour déconnecter loin de son foyer. « Mon rêve absolu? Une chambre d’hôtel avec télé », continue Olivia, listant tout ce qu’elle pourrait faire sans les contraintes imposées par la vie de famille comme un champ des possibles infini. « Peut-être que j’aurai envie de marcher, d’aller au cinéma ou de faire les boutiques seule, ou peut-être que je resterai au lit toute la journée à dormir et mater la télé en mangeant… » Pour son anniversaire, son compagnon lui a offert deux nuits dans un hôtel en périphérie de Bruxelles, au vert, à trente minutes en voiture de chez eux. « C’est parfait! Je n’aurai pas besoin de faire des heures de trajet. Ma seule exigence: un endroit sans trop d’enfants. »
Car les mamans débordées ont tous sauf envie de s’entasser sur une plage avec les enfants des autres. Le projet de Morgane, maman d’une petite fille de bientôt deux ans et enceinte de la deuxième, est ainsi de partir… dans le désert. « Une collègue mère de jeunes adultes m’a raconté son trek dans le désert. je me suis dit ‘mais c’est ça que je veux faire, partir toute seule, marcher dans le désert, avec une grande étendue de sable' ». Le beau projet de Morgane est en négociation avec le papa, mais son idée, c’est de partir quand elle aura fini d’allaiter sa deuxième… « Tout laisser pendant une semaine, couper pour me recentrer. Faire des choses comme avant d’être mère et même en couple. Partir à l’aventure, guidée certes, mais pour s’évader vraiment. »
« Je trouve ça très sain comme projet, de s’évader. »
Des grands espaces, c’était aussi l’envie d’Aurélia, partie en Islande en solo, en mai 2023. Maman de trois enfants dont deux jeunes adultes, elle n’a eu l’occasion de partir sans mari ni enfant… que lors de visites à ses grands. « On ne peut pas dire que c’était des vacances sans enfants! » Sourit-elle. Alors à l’automne 2022, elle a pris des billets pour l’Islande, pays dans lequel elle s’était déjà rendu à deux reprises. « J’avais besoin de me projeter dans quelque chose d’agréable. Mon quotidien avec un enfant avec un tdah (trouble de l’attention avec hyperactivité) était bien prenant, et on n’avait pas pris de vacances depuis longtemps. Alors acheter un billet d’avion, un guide, puis effectuer les réservations sur Airbnb, ça m’a fait autant de bien que les vacances en elle-même. Ce qui était important, outre le fait d’être seule: se reposer vraiment, se sentir libre de manger à l’heure qu’on veut, de manger ce qu’on veut, de visiter le musée qu’on veut. »
(Dé)culpabiliser
Libérées, délivrées de leurs obligations maternelles et familiales, les mères peuvent toutefois appréhender différemment la décision de partir seules. De nombreux facteurs entrent en jeu: le soutien du (ou de la) partenaire, l’aide potentielle apportée à ce dernier, l’âge des enfants, la durée du séjour.
Pour Olivia, appréhension et culpabilité se glissent toujours dans ses bagages. Est-ce que papa va se réveiller si son petit deuxième fait un cauchemar en pleine nuit? Est-ce qu’il ne va pas trop galérer tout seul avec les deux? Le matin, c’est toujours la course! « C’est plus fort que moi, à chaque fois que je pars, même si c’est deux jours pour le boulot par exemple, je culpabilise. Une fois que je suis sur place, cette culpabilité est heureusement bien moins présente voire disparaît complètement, je constate qu’ils s’en sortent très bien sans moi. Mais au moment de partir… »
La culpabilité n’est pas de la partie pour Morgane. « Je culpabilise quand je laisse ma fille de longues journées chez la nounou. Mais je ne culpabilise pas d’avoir besoin de moments pour moi. » En tant que psychologue, la jeune maman est d’ailleurs rompue à l’écoute de ce tiraillement maternel. « J’ai tellement entendu des mamans ambivalentes que je suis moi-même tranquille avec mon ambivalence. Je trouve ça très sain comme projet, de s’évader. » Aurélia ne peut que confirmer, elle qui pense que c’est aussi très chouette pour les enfants de ne pas avoir toujours leur maman sur le dos.
Mais attention, il ne s’agit pas non plus de claquer la porte sur un coup de tête, encore faut-il organiser son départ… Pour mieux revenir? « Bien sûr, ça demande aussi de considérer l’autre, précise Aurélia. j’ai pris soin de demander à mon mari quelle période de l’année il valait mieux éviter. Et je m’étais organisée avec sa mère pour qu’elle vienne passer la semaine chez nous. C’était évidemment plus confortable pour tout le monde. »
Est-ce à dire qu’une mère ne peut décemment pas partir une semaine sans appeler belle-maman à la rescousse? Et risquer de rentrer chez elle avec autant de jours de corvées restées en rade, et perdre ainsi tout le bénéfice de sa parenthèse enchantée? Ou de retrouver un compagnon qui lui renverrait son voyage à la figure à la moindre occasion, créant des tensions dans le couple? Pour nos mamans témoins qui ont déjà tenté l’expérience, rien de tout ça. Belle-maman dans les parages ou pas. Ouf.
« Je pense que l’idéal, c’est que chacun des parents s’octroie ce petit luxe, à la même fréquence », affirme OIivia, qui avoue souffrir du manque de (vraie) pause dans sa vie de working mom. « Si j’ai l’impression que mon compagnon ressent bien moins le besoin de partir seul que moi, je lui ai quand même proposé de prendre un week-end en solo à son tour. On pourrait s’offrir ce moment suspendu chacun de notre côté une ou deux fois par an. »
Et la jeune femme de conclure en riant: « De toute façon, maman ou papa, on sait comment ça se termine: le soir, seul.e devant cette série tant attendue, dans notre chambre d’hôtel avec nos sushis, on finit par scroller notre smartphone pour regarder des photos… de nos marmots. »
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