Les vacances, source de fatigue supplémentaire pour les personnes chargées de les organiser

Les congés ne sont pas des vacances pour ceux qui les organisent - Getty Images
Les congés ne sont pas des vacances pour ceux qui les organisent - Getty Images
Kathleen Wuyard
Kathleen Wuyard Journaliste & Coordinatrice web

Choisir la destination, dénicher l’hôtel, planifier les activités sur place, faire la valise, vérifier que les passeports sont en ordre… Pas de vacances pour la charge mentale, surtout pour celle des personnes en charge des aspects organisationnels des congés.

Une responsabilité qui croît au rythme de la famille, et peut parfois prendre des allures de supplice de Sisyphe quand il s’agit de gérer à la fois les incompressibles professionnels à régler avant les congés, les éventuelles démarches liées à ces derniers mais aussi le remplissage de la valise et les crises de dernière minute type « Maman, je ne retrouve pas mon maillot » ou « Chérie, tu sais où on a rangé les passeports? ».

Et si ces requêtes sont déclinées au féminin, ce n’est pas par sexisme mais bien par dépit: à l’été 2022, une étude de l’Ifop consacrée à la répartition des tâches ménagères et domestiques rappelait à quel point celle-ci est inégale et injuste pour les femmes. 66 % d’entre elles révélaient ainsi devoir en faire plus que leur partenaire pendant les vacances d’été, tandis que 43 % d’entre elles estimaient carrément devoir en faire “beaucoup plus” que leur moitié. Beaucoup plus, c’est à dire?

 D’après les chiffres compilés par l’Ifop, la gestion du budget des vacances reposerait à 49 % sur les femmes, qui sont également 34% à être chargées de l’organisation des activités, contre 17% seulement chez les hommes. Les courses et à la préparation des repas reposent quant à elles à 50 % sur les femmes, contre 24 % chez les hommes.

Un déséquilibre qui alourdit la charge mentale, et fait des vacances une période tout sauf reposante pour les personnes qui se voient ainsi désignées GO, agent·e de voyages et majordome par leurs proches, sans aucun des avantages mais avec la panoplie complète des désagréments que ces activités engagent.

Le grand bain (affectif)

C’est ainsi que Françoise, la soixantaine, a passé la plupart des vacances familiales à… se faire houspiller. Rendez-vous compte, alors qu’elle était « en charge » des réservations et des valises, il arrivait toujours bien qu’elle égare un papier ou oublie de prendre suffisamment les lunettes de piscine de l’un ou la robe préférée de l’autre. L’audace! Et celle qui a fini par pousser une gueulante et décréter que désormais, chacun se gérait ou bien elle partait seule de son côté, de se souvenir, toujours un peu sous le choc, de la fois où son mari lui a battu le froid parce qu’elle avait « oublié de lui prendre des sous-vêtements ».

« On parle d’un adulte qui approchait de la cinquantaine à l’époque, était parfaitement fonctionnel, menait une carrière de haut niveau… Et trouvait ça normal que j’empaquette ses affaires comme s’il était un enfant, tout en boudant aussi comme un enfant si j’oubliais quoi que ce soit ».

Françoise

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Mais dès l’instant où Françoise n’a certainement pas bataillé pour décrocher le job de préposée vacances de sa smala, et où cette responsabilité lui faisait plutôt l’effet d’une cage saisonnière dont elle ne parvenait pas à se libérer, comment expliquer que pour toute la famille, elle compris, il soit tout de même entendu que c’était à elle de s’en charger? Pour la psychologue liégeoise Jennifer Moers, plusieurs facteurs permettent de l’expliquer, à commencer par le bain affectif dans lequel la personne a été immergée, c’est à dire « ce qu’elle a appris et observé au sein de sa famille en grandissant ».

Peur de l’inconnu

Et la psychologue de souligner qu’il existe « plusieurs cas de figure où les interactions avec les parents vont engendrer des croyances et vont venir appuyer la propension à prendre une charge mentale importante », citant en exemple un enfant qui grandit dans une famille où, lorsqu’il range sa chambre et s’occupe de son petit frère, il reçoit un grand nombre de louanges, ou bien le cas de figure de celui ou celle qui grandit avec un parent absent, « que ce soit physiquement car beaucoup de travail ou psychiquement car maladie mentale, ce qui peut aussi accentuer la propension à beaucoup prendre sur soi à l’âge adulte. En effet, l’enfant qui constate que son parent, par sa non présence, ne répond pas à ses besoins, apprend qu’il ne peut compter que sur lui-même et apprend à faire tout, tout seul ». Et de pointer que « les profils ayant un tempérament anxieux vont également être plus susceptibles d’expérimenter une plus grande charge mentale ».

« Les grandes lignes de l’anxiété sont la peur de l’inconnu, une faible croyance en ses ressources et une tendance accrue à penser que les choses vont mal se dérouler. Afin de pallier à cela, les personnes anxieuses vont avoir tendance à beaucoup plus anticiper que nécessaire pour éviter les désagréments et l’inconnu ».

Jennifer Moers

Une tâche qu’il ne s’agit de déléguer sous aucun prétexte, d’autant qu’ainsi que le rappelle notre experte, « la sensation de charge mentale s’observe avant tout au quotidien. Elle est souvent la résultante d’une mécanique profondément ancrée dans le fonctionnement de la personne et ce, depuis parfois des années. Bien que il y ait une injonction implicite à devoir lâcher prise en vacances, il semble peu réaliste, voire illusoire, d’espérer que le cerveau se mette instantanément sur off. Il ne peut tout simplement pas supprimer des mécanismes opérants depuis longtemps par la simple volonté de souffler ».  

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« Un luxe en pleine conscience »

Mais la planification des vacances est-elle forcément source de souffrance? Tout dépend à qui on demande. Pour Clément, trentenaire qui voyage avec sa femme (et leur chien quand la destination le permet), « planifier les vacances, c’est vrai que c’est du boulot, surtout si on essaie de faire tenir le tout dans une enveloppe raisonnable. Mais avec un peu de jugeote, du flair et une bonne connexion internet, il est vraiment possible de construire, à distance, des itinéraires fouillés, et même trouver des pépites. Le tout, c’est de savoir ce qu’on cherche, tout en restant flexible » assure celui qui s’en occupe chaque année.

« Trouver les destinations, réserver les billets, choisir les horaires, le roadbook,… C’est quelque chose que je fais avec beaucoup de plaisir, parce que planifier ses vacances, c’est déjà un peu partir. Sur place, c’est pareil, je suis un peu le GO en mode « Tout le monde a son billet ? Par ici, suivez-moi ». C’est mon côté daron avant l’heure. Puis faut avouer que j’aime bien. Sans être psycho-rigide, ça me permet de récupérer un peu de contrôle sur ma vie »

Clément

« Au quotidien, on doit composer avec tellement de facteurs extérieurs, que planifier la moindre chose demande de jouer les équilibristes, comme quand déplacer la femme de ménage nécessite trois réarrangements en cascade, poursuit-il. En vacances, je profite d’être « seul au monde avec ma femme ». On fait donc exactement ce qu’on veut, quand on veut, comme on veut. C’est un luxe en pleine conscience que je savoure allègrement ».

Et si, pour Clément, cette « charge » est tout sauf un poids, de manière générale, Jennifer Moers invite à se poser les bonnes questions: « il est important pour la personne de prendre conscience qu’elle a une responsabilité dans l’entretien de cette charge mentale. Attention, responsabilité ne signifie pas faute, cela veut simplement dire qu’elle y joue un rôle ».

Un peu comme Françoise, qui n’a jamais remis en question l’ordre établi dans la famille, ni même invité ses enfants et son mari à se responsabiliser, jusqu’au jour où elle a explosé et décrété que c’en était fini pour elle de gérer le moindre détail de chaque escapade.

Lâcher prise

« Dans ce type de configurations, je pousse mes patients à apprendre à laisser de la place aux autres membres de la famille progressivement en s’exposant à des situations un peu challengeantes » confie Jennifer Moers. Autrement dit: peut-être que la valise ne sera pas parfaitement faite si vous laissez Pupuce et Junior se charger de leur partie, mais au moins, vous ne devrez pas courir partout et sortir le fer à repasser à 23h la veille du départ si vous parvenez à déléguer.

« Il est très important de travailler sur la souplesse du processus, accepter de faire les choses avec plus de flexibilité pour gagner de l’énergie, du temps et quand même avoir un résultat qui est tout à fait satisfaisant ».

Jennifer Moers
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Qui explique recentrer également ses patients « au niveau de leur dialogue intérieur et sur le sens de leur démarche. Il est important de les aider à revenir dans la dimension de l’être et non de la performance. Ce qui compte est de passer des moments ensemble, de partager et de ressentir. Et pour cela, il y a une infinité de moyens parfois bien plus légers que les processus que les patients s’imposent. Souvent, ils finissent par constater que les histoires qu’ils se racontent ne sont pas toujours aussi catégoriques que cela. ».

Pas de vacances pour la charge mentale?

Mais quid de celles et ceux dont le récit n’est pas tant celui d’une course folle avant le départ en vacances que celui d’une forme de blues post-retour? « Beaucoup de patients me rapportent être déçus de ne pas avoir su déconnecter, ils ont l’impression d’avoir loupé l’occasion de se ressourcer et parfois il y a un vrai découragement de devoir reprendre la vie quotidienne sans avoir pu se reposer » partage Jennifer Moers. Pour qui, dans ce cas de figure, il est important dans un premier temps de remettre de la douceur et de la compréhension sur leur fonctionnement, afin de les amener à plus de bienveillance envers eux-mêmes. « Il s’agit de comprendre que si ils n’ont pas su « lâcher prise » comme ils le souhaitaient, c’est parce qu’il y a quelque chose de très enraciné dans leur fonctionnement et qu’ils ont fait ce qu’ils pouvaient, ce qui est déjà très bien ».

« Ensuite, puisqu’il y a une souffrance observée, il est primordial de passer à l’identification des insécurités et des mécanismes afin de pouvoir lever progressivement ceux-ci et faire en sorte que les choses puissent évoluer ».

Jennifer Moers

Et que la prochaine période de congés puisse être des vacances, dans tous les sens du terme. « Il ne faut pas oublier que des dynamiques, même très ancrées, sont par définition mouvantes. Elles peuvent donc évoluer pour peu qu’on se donne les moyens d’essayer de nouvelles manières de procéder » rappelle encore la psychologue liégeoise, pour qui la charge mentale n’est pas un poids incompressible dans les valises. Reste à accepter que les vêtements arrivent froissés si c’est quelqu’un d’autre qui les y empile…

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