Diagnostiquée d’un TDAH à l’âge adulte, Alice Gendron démonte les idées reçues et explique comment « vivre avec »
Diagnostiquée à l’âge adulte, Alice Gendron – @La Mini Coach TDAH, sur Instagram – signe un salutaire Petit guide illustré du TDAH. Elle se confie sur son trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, et prodigue des conseils pour « vivre avec ».
Ponctuelle, amène, visage jovial, sourire solaire… A première vue, rien ne laisse deviner l’ambiance baroque et rock’n’roll qui rythme le quotidien d’Alice Gendron : phobie administrative, affaires égarées, difficultés de concentration, retards récurrents aux rendez-vous, etc. Et surtout, des doutes et des tribulations, comme lorsqu’il a fallu arrêter un choix sur ses études. Académie des beaux-arts, école de cuisine, fac de langue, avant d’atterrir, avec brio, dans une école de communication. Diagnostiquée à 29 ans d’un trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), cette autrice aux heures ouvrables et créatrice de contenu sur les réseaux sociaux à la tombée du jour (@La Mini Coach TDAH, sur Instagram) publie un salutaire Petit guide illustré du TDAH.
« Je pense que cette souffrance et cette culpabilité ne peuvent être allégées que par l’humour et la bienveillance. »
A la genèse de ce guide pratique, didactique, étonnamment joyeux et teinté d’humour et d’autodérision, une myriade de questions épineuses : « Pourquoi personne n’avait rien vu ? Comment j’ai pu passer des années à décrire mes symptômes à des psychologues et des psychiatres sans qu’aucun ne m’apporte une réponse ? Pourquoi était-ce à moi d’aller éplucher les critères diagnostiques des manuels professionnels pour enfin me comprendre ? Pourquoi ai-je dû passer des mois à douter, à culpabiliser de même oser me poser la question du TDAH ? », nous énumère-t-elle. Au fil de son ouvrage, cette jeune maman de 33 ans s’emploie à faire éviter le supplice de ces douloureuses interrogations aux personnes atteintes de ce trouble et à déconstruire les stéréotypes et clichés qui pèsent sur leur quotidien. Entretien.
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Vous avez été diagnostiquée du TDAH à l’âge adulte. Pourtant, vous en souffrez depuis votre enfance. Comment avez-vous vécu la période avant le diagnostic ?
Comme tous les gens qui ont un TDAH, mon cerveau a toujours été différent. Depuis que je suis enfant, j’ai toujours vécu les mêmes difficultés, mais elles ont évolué avec le temps. J’ai aussi appris à m’adapter, ou à les masquer. Par exemple, à l’école et au collège, j’ai eu beaucoup de remarques des professeurs sur mon comportement. J’étais très enthousiaste, ce qui pouvait perturber le calme de la classe. Mon impulsivité était souvent prise pour de l’insolence ou un manque de respect. L’expression spontanée de mes émotions et de mes opinions déroutait les adultes qui m’encadraient. Mais en grandissant, j’ai compris que je devais adapter mon comportement pour limiter les conséquences négatives. De petite fille bavarde et sautillante, je suis devenue une jeune fille rêveuse et réservée qui passait tout son temps à dessiner pendant les cours.
Vous culpabilisiez de votre comportement ?
Oui bien sûr. Quand vous avez 12 ans et qu’un adulte vous dit que vous êtes mal élevée parce que vous coupez la parole, ou quand au lycée vous n’arrivez pas à produire les devoirs qui vous sont demandés, la honte s’installe. Les autres, eux, n’ont pas l’air de rencontrer les mêmes problèmes. Les mêmes remarques et critiques sont faites par les professeurs et les adultes mais aucune explication n’est recherchée et aucune solution n’est proposée. On en arrive très rapidement à se demander ce qui ne va pas chez nous.
Vous mettez en garde contre le flux d’émotions qu’il faut gérer après le diagnostic. Comment l’avez-vous vécu ?
Après avoir passé des années sans comprendre pourquoi j’avais ces difficultés, je pensais que le diagnostic m’apporterait un soulagement. Et ce fut le cas pendant les heures qui ont suivi l’annonce. Mais très rapidement, un déluge d’émotions s’est abattu sur moi, me prenant complètement par surprise. D’abord une tristesse foudroyante. Je me demandais si je devais abandonner mes rêves et mes ambitions. Puis une colère terrible. Pourquoi personne n’avait rien vu ? Ce chemin est malheureusement celui de nombreuses personnes qui sont diagnostiquées tardivement. Personne ne m’a avertie de cela, alors j’essaye de le dire à ceux qui entament cette démarche : le diagnostic apporte un soulagement mais peut être suivi d’une période de détresse psychologique.
Arrive ensuite l’étape d’aborder le sujet avec ses proches…
J’ai eu beaucoup de chance de ce point de vue. Ma famille est bienveillante sur les questions de santé mentale. Mais ce n’est pas le cas pour tout le monde. Je reçois chaque jour des messages de gens qui ont essayé d’aborder le sujet avec leurs proches et qui ont été moqués, méprisés, voire insultés. Comme le TDAH a une dimension génétique, parfois les proches ont eux-mêmes ce trouble sans le savoir. Dans ce cas, ils peuvent minimiser la souffrance de celui qui annonce son diagnostic. Inversement, il est souvent difficile pour ceux qui ne souffrent pas de TDAH de saisir que des comportements communs, tels que perdre ses affaires ou éprouver des difficultés d’organisation, sont expérimentés avec une intensité et une fréquence bien plus élevées par les personnes atteintes. Si j’ai choisi de créer du contenu et de faire ce livre, c’est aussi pour que les proches des gens qui ont un TDAH puissent mieux les comprendre.
Vous désiriez briser un tabou et déconstruire les stéréotypes…
Après mon diagnostic, j’avais la sensation d’avoir perdu énormément de temps à faire mes propres recherches – en anglais car les ressources francophones étaient presque inexistantes – et d’avoir traversé cette étape de ma vie avec un grand sentiment de solitude. J’ai décidé d’en parler ouvertement en me disant que si je faisais gagner quelques années d’errance psychiatrique à au moins une personne, alors mon propre parcours n’aurait pas servi à rien.
Et pourquoi avez-vous choisi précisément la forme d’un livre illustré ?
J’ai toujours préféré m’exprimer par le dessin. C’est plus facile pour moi de partager mes idées et émotions ainsi, et j’ai remarqué que les personnes avec un TDAH comprennent et apprennent mieux avec des images. Beaucoup de livres sur le sujet sont intéressants, mais ils manquent souvent d’éléments visuels qui pourraient vraiment aider ceux qui sont directement concernés.
De nombreux mythes entourent le TDAH. Quels sont ceux qui pèsent le plus sur la vie des personnes atteintes ?
Le premier stéréotype problématique est certainement que le TDAH « se voit ». Bien que ça puisse être le cas pour certaines personnes avec une grande hyperactivité physique, pour la majorité d’entre nous, le TDAH n’est pas évident au premier abord car notre hyperactivité peut être interne ou masquée. Cette fausse idée peut semer le doute chez ceux qui nous entourent, y compris les professionnels de la santé. Et même en nous, ce qui remet en question notre propre diagnostic. De nombreuses personnes pensent également à tort que quelqu’un avec un TDAH n’est capable de se concentrer sur rien. Nous ne sommes pas dépourvus de capacités de concentration, ces capacités sont simplement plus difficiles à canaliser. Par exemple, de nombreux enfants avec un TDAH peuvent se concentrer des heures sur des jeux vidéo ou leurs loisirs. Quand ces activités apportent de la dopamine à notre cerveau, il est même difficile pour nous de prêter attention au monde qui nous entoure et de veiller à satisfaire nos besoins de base comme boire ou manger.
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Vous parlez de « taxe TDAH ». De quoi s’agit-il ?
La « taxe TDAH » est un terme utilisé dans notre communauté pour décrire les coûts financiers liés à nos symptômes. C’est certainement une des choses les plus difficiles à vivre au quotidien car elle est souvent porteuse de beaucoup de culpabilité. Cela peut être oublier de résilier un abonnement pour un service que l’on n’utilise plus – et que l’on a souscrit de manière un peu trop impulsive –, avoir du mal à gérer les dates de péremption des aliments dans notre frigo et finir par jeter une partie de nos courses, payer des factures et des taxes en retard avec des pénalités, ou simplement acheter des sacs réutilisables à chaque sortie au supermarché malgré les dizaines que nous avons déjà à la maison, parce qu’on oublie de les prendre avec nous. La « taxe TDAH » peut être des petites choses qui compliquent le quotidien, mais elle peut aussi prendre des proportions plus graves.
Vous évoquez les nombreuses difficultés auxquelles vous êtes confrontée dans votre quotidien : égarer ses affaires, être souvent en retard, des problèmes d’hygiène corporelle, une phobie administrative, etc. Qu’est-ce qui est pour vous le plus pénalisant ?
Dans mon cas, c’est de réussir à garder la tête hors de l’eau en termes d’organisation. La gestion du foyer, faire les courses, préparer les repas, payer les factures, planifier des vacances, répondre aux sollicitations de la famille, maintenir une vie sociale, gérer ses obligations professionnelles, s’occuper d’un ou de plusieurs enfants… Les symptômes vont complexifier toutes ces choses. Par exemple, c’est difficile pour moi de planifier les choses longtemps à l’avance. Nous avons tendance à voir les choses en deux catégories : maintenant ou jamais. Je m’y prends donc souvent au dernier moment pour réserver des billets de train ou d’avion. Ça pèse sur le budget. Je prends souvent l’exemple du jongleur pour visualiser ces difficultés. Là où une personne sans TDAH devra jongler avec cinq ou six balles, ce qui n’est déjà pas évident, quand on a un TDAH, on a l’impression de jongler avec quinze balles en même temps. Et si on s’arrête, tout s’écroule.
« Les difficultés ne sont prises au sérieux que lorsqu’elles mènent à des problèmes visibles. »
Malgré toutes les difficultés, n’y a-t-il pas toutefois un goût de plaisir de se sentir différent dans un monde de plus en plus conformiste ?
J’aimerais que ce soit aussi simple ! Mais les conséquences de ces différences sont principalement négatives pour la plupart d’entre nous. Statistiquement, nous sommes plus à risque de développer de l’anxiété, de faire des dépressions et des burn out, de vivre des échecs dans nos relations sentimentales, ainsi que d’avoir des problèmes d’addiction. Cela étant dit, lorsque nous apprenons à nous comprendre et que nous nous entourons de gens qui respectent notre façon de fonctionner, nous sommes capables d’aller puiser dans nos forces personnelles et de dépasser ces difficultés.
Au travers de votre livre, vous intégrez l’humour à ce sujet lourd. Est-ce une manière de dédramatiser ?
Bien sûr ! La plupart des gens qui ont un TDAH ressentent une honte profonde. Toute leur vie, ils ont reçu des critiques sur leur façon d’être, leurs difficultés et leurs échecs. Je pense que cette souffrance et cette culpabilité ne peut être allégée que par l’humour et la bienveillance. Dans mes dessins, j’essaye de me moquer gentiment de mes propres bizarreries pour les rendre plus faciles à porter. Quand je lis les commentaires de ma communauté et qu’ils me racontent leurs anecdotes à leur tour, on se sent tous moins seuls. Une fois l’abcès crevé grâce à l’autodérision, on comprend que faire preuve de vulnérabilité en partageant nos difficultés allège bien souvent notre sentiment de culpabilité.
Vous animez le compte Instagram @La Mini Coach TDAH. Comment expliquez-vous le succès qu’il rencontre ?
J’ai commencé à partager mon expérience de vie avec le TDAH à travers mes dessins juste après mon diagnostic en 2020. J’ai d’abord créé une page en anglais, « The Mini ADHD Coach », car les communautés françaises sur le TDAH n’existaient pratiquement pas sur les réseaux sociaux à cette époque. Mon compte a très rapidement gagné beaucoup d’abonnés qui y trouvaient de l’information vulgarisée racontée à travers mes yeux, ceux d’une personne qui vit chaque jour avec ce trouble. De nombreux francophones suivaient mon compte; j’ai donc traduit mes publications pour offrir du contenu accessible en français. Heureusement, de plus en plus de personnes ayant un TDAH prennent la parole en français aujourd’hui. C’est réjouissant.
Quels sont, selon vous, les facteurs qui empêchent encore certains adultes d’être diagnostiqués ou d’en parler ouvertement ?
Je reçois chaque jour des messages de personnes qui me disent qu’elles n’ont aucune idée de comment se faire évaluer, et que les psychiatres autour d’elles n’ont pas de disponibilités, ou qu’elles ont essayé d’en parler à un professionnel de santé et que leur demande a été balayée d’un revers de la main. La plupart du temps, ce sont des gens qui ne correspondent pas au stéréotype du TDAH. Ce sont des adultes qui ont réussi à faire des études, à avoir un travail, une famille. Sur le papier, leurs difficultés ne sautent pas aux yeux. Mais quand on parle avec eux, quand on prend le temps de les écouter, on découvre des personnes qui ont l’impression de passer leur vie à nager à contre-courant. Malheureusement, leurs difficultés ne sont souvent prises au sérieux que lorsqu’elles mènent à des problèmes visibles, tels qu’un burn out, un divorce, une dépression ou un licenciement.
Pour conclure, quels conseils donneriez-vous aux personnes diagnostiquées ou possiblement atteintes du TDAH ?
Apprenez à vous connaître, à comprendre vos limites et vos forces. Une fois que vous vous comprendrez mieux, allez dans votre sens. Ne vous rendez pas la vie plus difficile qu’elle ne l’est déjà en essayant de vous conformer ou en faisant les choses « comme les autres ».
‘Les difficultés ne sont prises au sérieux que lorsqu’elles mènent à des problèmes visibles.’
Le TDHA, c’est quoi?
Le TDAH (Trouble Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité) est un trouble du neurodéveloppement qui affecte le développement du cerveau et du système nerveux. Le cerveau des personnes qui ont un TDAH fonctionne différemment de celui des autres. Elles sont nées avec et le garderont toute leur vie. L’explication de ses causes ne fait pas l’unanimité parmi les médecins, mais certains spécialistes évoquent une piste génétique. En Belgique, entre 3 et 12 % des enfants et 1 à 6 % des adultes sont atteints de TDAH. En France, 2,5% de la population adulte en souffre.
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