Pourquoi le tricot est aussi bon pour la santé que le yoga

Le tricot, aussi sain que le yoga? © Illustration réalisée grâce à l'IA (Midjourney ®) – credit: Roularta Media Group
Le tricot, aussi sain que le yoga? © Illustration réalisée grâce à l'IA (Midjourney ®) – credit: Roularta Media Group
Nathalie Le Blanc Journaliste

Si bouger, se faire des amis et développer sa pleine conscience sont autant de conseils pour atteindre le nirvana du bien-être mental, se trouver un loisir atterrit rarement sur la liste des recommandations. Or, il semblerait qu’il n’y ait rien de tel que la création pour se nettoyer l’esprit.

«Ma table à dessin est mon havre de paix. Je dessine presque tous les jours, parfois avant de commencer à travailler, parfois pendant ma pause déjeuner, mais le plus souvent avant de m’endormir, nous confie Mona (47 ans), médecin généraliste. J’ai un travail stressant et émotionnellement exigeant. J’ai essayé le sport et la méditation pour gérer mon stress, mais je suis trop compétitive pour faire du sport de manière détendue, et la méditation n’a pas fonctionné. Un professeur de yoga m’a suggéré le dessin, et j’ai trouvé ma voie. Parfois, en consultation, je me dis: «J’aimerais bien dessiner ce visage ou ces pieds», mais la plupart du temps, l’objet de mes croquis est un paysage ou des animaux. C’est comme un quart d’heure de vacances dans mon quotidien.»

Nous sommes de plus en plus nombreux à occuper notre temps libre avec des activités diverses: poterie, réparation de vélos, tango, puzzles, patchwork ou construction de Lego. Chez les stars aussi, les hobbys se sont frayé un chemin. L’actrice Judi Dench brode des coussins, le plongeur olympique Tom Daley tricote et l’acteur Matthias Schoenaerts jardine. Ce succès s’expliquerait notamment par l’effet positif qu’a un hobby sur le mental. Une étude réalisée en 2022 auprès de personnes âgées de plus de 65 ans originaires de 16 pays différents dans le cadre de cinq études à long terme l’a mis en évidence.

«Un loisir entraîne moins de symptômes dépressifs et un bien-être plus élevé, plus de sentiments de bonheur et de satisfaction à l’égard de la vie, avance Jacques Wels, cochercheur et professeur d’épidémiologie sociale à l’ULB. Dans ces recherches, notre définition des loisirs était très large: chacun était libre de choisir ce qu’il considérait comme tel, du jardinage aux cartes, du bénévolat au sport. En Belgique, 89% des personnes interrogées ont déclaré avoir un hobby.»

Selon les chercheurs, l’explication réside dans le fait que de nombreux passe-temps font appel à l’imagination, à la créativité, à l’expression de soi, à la relaxation, à l’effort cognitif et sollicitent nos sens.

Le fait d’avoir l’impression d’être maître de son corps et de son esprit s’est avéré être un facteur important, tout comme celui de se sentir capable de construire quelque chose. Autre avantage de ces activités: on peut continuer à les pratiquer lorsqu’on vieillit et que notre santé n’est plus optimale. Une enquête menée auprès de retraités a montré que pour un grand nombre d’entre eux, avoir un loisir donne un sens à leur vie et les motive à se lever le matin. De nombreux hobbys ont également un aspect social: il faut sortir de chez soi pour les pratiquer et ils permettent de se créer un réseau. Jacques Wels les recommande donc vivement, et va même plus loin: «La sphère politique devrait encourager et aider activement les citoyens à trouver des occupations qui ont un sens pour eux. Il n’y a pas meilleur investissement dans la santé publique.»

Tout oublier

Lorsque Julia F. Christensen a dû ranger ses chaussons à la suite d’une blessure, elle a eu peur de perdre l’aspect artistique que ses études de danse lui offraient. Devenue neuroscientifique, elle a étudié le lien entre l’art, la créativité et notre cerveau à l’Institut Max Planck de Francfort, et a écrit The Pathway to Flow, un ouvrage sur les bienfaits des activités créatives.

«Nous ne pouvons pas arrêter de penser, mais nous pouvons calmer notre esprit et changer nos sentiments grâce à ce que nous faisons. Notre cerveau n’est jamais vide. Nos sens nous transmettent en permanence des informations et nos systèmes cérébraux sont sans cesse activés. Ne plus penser est tout simplement impossible. Mais parfois, nos pensées et nos sentiments nous tourmentent, perturbant notre tranquillité d’esprit et notre sommeil. Ils engendrent du stress, de la rumination, des émotions douloureuses… Pour notre bien-être, il est alors utile d’influencer ce qui se passe dans notre tête, et c’est tout à fait faisable. Notre cerveau est connecté à nos muscles, à nos organes et à notre système hormonal grâce à des systèmes neurologiques, ce qui nous donne la possibilité d’utiliser notre corps pour influencer notre cerveau, et inversement.»

Découvrir son flow

Lorsqu’il s’agit de bouger, tout le monde pense immédiatement au sport. «L’Organisation mondiale de la santé recommande entre 150 et 180 minutes d’exercice par semaine, ce qui est absolument indispensable, explique Julia F. Christensen. Notre corps est conçu pour bouger et peut développer des pathologies s’il reste trop longtemps immobile. Les mouvements répétitifs que nous effectuons en faisant du vélo, en marchant ou en nageant maintiennent notre corps souple et, pour certains, ils contribuent également à apaiser leur esprit. Mais beaucoup de personnes ont l’impression de surcharger encore davantage leur cerveau avec de simples mouvements comme ceux-là. C’est pourquoi les passe-temps et les activités créatives sont cruciaux. Ils permettent de bouger, mais aussi de faire appel à différents sens.»

Des sports comme le ski, l’alpinisme et la danse, ainsi que des activités comme la cuisine, la couture, le dessin, l’écriture, les échecs et la photographie peuvent vous faire ressentir le «flow», un concept décrit par Mihály Csíkszentmihályi. Ce psychologue américain l’a découvert lors d’une recherche sur les manifestations du bonheur. Lorsqu’il a interrogé des participants sur les meilleurs moments de leur vie, il s’est avéré qu’il ne s’agissait pas de moments passifs et relaxants, mais plutôt de moments où ils voulaient accomplir quelque chose de difficile et d’utile, une tâche qui exigeait quelque chose de leur corps et de leur esprit. Des activités sociales ou sportives, qui impliquaient souvent le sentiment de «réussir». Il était surtout question de moments où l’on est tellement impliqué dans l’action que l’on oublie momentanément tout ce qui se passe autour de soi.

«C’est ce que ressent le marin lorsqu’il navigue sur les flots, le peintre lorsqu’il voit une nouvelle toile naître sous ses yeux, ou encore un parent lorsque son enfant répond à son sourire pour la première fois», écrit-il dans son livre Flow.

«Lorsque vous devez tout mettre en œuvre pour relever un défi, celui-ci occupe entièrement votre attention, écrit le psychologue. Vous ne pouvez pas consacrer d’énergie mentale à autre chose que l’activité du moment.» Et c’est justement cela qui est relaxant. Votre tête n’est pas vide, vous n’arrêtez pas de penser, mais parce que votre concentration est si intense, il n’y a pas de place pour les ruminations.

Plus qu’un simple plaisir

«Si je dois coudre un bouton ou faire un ourlet, la couture ne me calme pas, explique Marie (29 ans), mais placer une fermeture Eclair demande déjà plus de concentration, et assembler un vêtement de A à Z m’apporte un vrai sentiment de bonheur. Même si la tâche est ardue.»

Trouver l’activité parfaite qui calme en toutes circonstances ne se fait pas du jour au lendemain.

Mihály Csíkszentmihályi a défini un certain nombre d’aspects qui favorisent la découverte de son flow. Il s’agit de tâches que l’on peut mener à bien et sur lesquelles on peut se concentrer pleinement, avec un objectif clair et un feedback immédiat, un engagement intense mais sans effort qui signifie que l’on n’est pas facilement distrait, que l’on a l’impression d’avoir tout sous contrôle parce que la tâche n’est pas irréalisable mais pas trop facile non plus, que l’on oublie nos tracas, que l’on perd la notion du temps et que l’on sort de la spirale infernale de la rumination.

Le tricot, aussi sain que le yoga? © Illustration réalisée grâce à l’IA (Midjourney ®) – credit: Roularta Media Group

Le Dr Christensen ajoute qu’il est essentiel de toujours se mettre au défi.

«Je conseille de trouver une activité ni trop simple, ni trop complexe. C’est pourquoi la marche n’est pas toujours efficace pour calmer l’esprit, par exemple. Elle ne demande pas assez d’efforts, et ne fonctionne que si elle est pratiquée dans un environnement qui vous stimule. L’engagement est également important. Pour atteindre le flow, il est préférable de faire des choses à la fois amusantes et porteuses de sens. Des activités qui activent non seulement votre système de récompense, mais aussi d’autres parties de votre cerveau. Votre mémoire, votre conscience, votre planification à long terme… En outre, les recherches montrent que les tâches les plus bénéfiques sont celles qui demandent de s’exprimer. Nous appelons ces activités «pleasure plus», car elles apportent plus qu’un simple plaisir. On les pratique non pas pour le résultat final – une robe, un dessin, un livre lu – mais pour le processus de création. Elles nous permettent d’être vraiment dans l’instant présent.»

«Cela ne fonctionne cependant que si vous possédez les compétences de base et que vous êtes capable d’accomplir la tâche, affirme le Dr. Christensen. Autrement dit, vous devez avoir l’impression de maîtriser votre activité. L’apprentissage et l’acquisition de compétences sont des éléments importants du flow. C’est pourquoi les occupations dont la difficulté peut augmenter ou qui permettent de découvrir d’autres variantes sont très utiles. De nombreuses activités créatives offrent des possibilités infinies de s’améliorer. L’apprentissage est donc sans limites.»

Les recherches sur les effets du flow n’en sont qu’à leurs débuts, mais il est déjà évident que les activités «pleasure plus» et le flow ont un effet sur notre cerveau, affirme Julia K. Christensen.

«Si, au cours d’une activité, nous ne nous préoccupons que de l’objectif final, notre corps produit de la dopamine, qui génère de l’ambition et du stress: nous voulons atteindre notre objectif. Si nous apprécions l’activité et sommes engagés dans le moment présent, notre corps produit des endocannabinoïdes et des opioïdes endogènes. Nous sommes alors calmes et heureux. Il est donc important de faire une activité dont on apprécie le processus, sans attendre d’en voir le résultat. Cette distinction entre le plaisir immédiat et l’attente du résultat est importante. C’est pourquoi la maîtrise et le feedback sont indispensables. Vous vous lancez dans un passe-temps, vous faites des progrès, et cette confirmation augmente vos chances d’atteindre le flow.»

Du tricot au dessin, il y en a pour tous les goûts

Si les hobbys plus ou moins créatifs sont si bons pour nous, pourquoi ne sont-ils pas plus répandus? Par manque de créativité, patience ou habilité, selon les non-convaincus que nous avons interrogés. Parce qu’ils n’ont pas les connaissances ou les compétences nécessaires ou qu’ils n’aiment tout simplement pas ce genre de pratiques.

Un jeune vingtenaire nous explique que pour lui, les hobbys sont une affaire de vieux ou de bonne femme. D’autres nous avouent ne pas en voir l’intérêt.

Julia K. Christensen balaie d’un revers de main l’idée qu’il faut avoir du talent ou des connaissances. «Tout le monde n’a pas la même créativité ou le même talent, mais chacun peut trouver une activité créative qui lui plaît. Qu’aimiez-vous faire lorsque vous étiez enfant? Qu’aimez-vous regarder les autres faire? A quoi pensez-vous lorsque vous entrez dans un magasin ou que vous feuilletez un livre?»

Un loisir doit le rester

«J’ai fait de mon hobby mon métier, explique Maya (35 ans). J’ai réalisé mon rêve en ouvrant mon studio de yoga. Mais je me suis vite aperçue que cette pratique ne me détendait plus vraiment, parce que maintenant c’est aussi du travail, avec des factures, des corvées et parfois des clients pénibles. J’avais donc besoin d’autre chose pour trouver la paix, et je me suis tournée vers le jardin de ma maman. Elle ne peut plus l’entretenir seule. Je vais donc désormais chez elle chaque semaine et pendant qu’elle surveille mes enfants, je nettoie, cueille et plante jusqu’à ce que je tombe de fatigue. Au moins une fois par jour, elle m’envoie une photo de ce qui fleurit ou change, et je me surprends à chercher des idées de plantes, de méthodes de culture et de modèles sur Google à mes moments perdus. Mon mari a récemment ri en me disant que je pourrais devenir paysagiste, mais justement, jardiner est mon nouveau hobby, et je ne veux pas lui réserver le même sort qu’au yoga.»

Une bonne idée, selon le Dr Christensen. «Les résultats de recherches menées auprès de danseurs étaient flous. Parfois, la danse faisait baisser leur taux de cortisol – l’hormone du stress – et parfois elle l’augmentait. L’explication s’est avérée simple et tient en un mot: la compétition. Si les gens dansent uniquement pour le plaisir, ils sont détendus; s’ils le font dans un contexte compétitif ou se produisent en public, ils sont stressés. Les amateurs tirent donc plus de bénéfices de leur activité pour leur bien-être mental.»

Le quotidien est parfois difficile à supporter. Et nous n’avons aucun contrôle sur des pans entiers de notre existence. Les loisirs peuvent nous aider dans ce domaine, selon Julia K. Christensen.

«Il n’est pas toujours possible d’inverser le cours de sa vie, et ce n’est d’ailleurs pas souvent souhaitable. Mais les activités artistiques et créatives peuvent être de petites bulles de contrôle, elles vous donnent de l’autonomie, même si ce n’est que derrière votre table de dessin ou à votre cours de danse.» Supposons que vous commenciez à crocheter un nouveau modèle. Vous connaissez les points, vous partez confiant. Maille après maille, votre œuvre prend vie, mais vous aussi, affirme Julia K. Christensen. «De nouvelles connexions se créent dans votre cerveau, la soupe de neurotransmetteurs se met à bouillir, vous apprenez, vous vous sentez maître de la situation et vous constatez votre progrès. Le fait de contrôler ne serait-ce qu’une petite partie de votre vie, quelque chose qui vous procure du plaisir et qui est important pour vous, vous permet de vous sentir mieux et d’avoir confiance en vous. C’est pourquoi je préconise avec tant de ferveur les habitudes liées au flow. Avec ces activités dans votre boîte à outils, vous pouvez mieux faire face à l’existence. Elles peuvent changer votre humeur, mettre fin aux idées noires et renforcer votre image de vous. Les passe-temps et les activités créatives, et en particulier les mouvements répétitifs qu’ils impliquent, nettoient l’esprit. Pour ma part, j’aime beaucoup dessiner et rien qu’en voyant mon sac à dessin avec mes crayons et mes cahiers, je ressens un peu de bonheur.»

Selon la chercheuse, nos ancêtres avaient déjà fait ce constat il y a des millénaires. «Pour moi, ces stratégies existent depuis l’émergence de notre espèce. La survie était une lutte quotidienne, et pourtant, nos ancêtres ont pris le temps de peindre la roche et les cavernes. C’était probablement important pour les rituels, mais peut-être qu’ils aimaient simplement le faire et que cela leur permettait de se sentir mieux.» ‘Pour de nombreux retraités, avoir un loisir donne un sens à leur vie et les motive à se lever le matin.’

Mieux que la pleine conscience ?

«Il est toujours utile de découvrir des activités pour lesquelles nous devons nous challenger» Puisque de nombreuses personnes avec qui nous nous sommes entretenus considèrent leur hobby comme une forme de méditation, nous avons souhaité demander l’avis du Dr Edel Maex, spécialiste de la pleine conscience. «L’attention portée à des actions simples, voire monotones, peut nous rendre plus calmes. Par exemple, dans les formations à la pleine conscience, je vois souvent des gens qui trouvent la paix et le plaisir dans le jardinage.

Mais un autre aspect est important. Il y a environ sept ans, j’ai dit en plaisantant à ma femme que je voulais une guitare basse pour mon anniversaire, et elle m’a répondu que je ferais mieux de prendre des cours. Aujourd’hui, je joue de la musique. De la contrebasse. Apprendre un art plus tard dans la vie est à la fois merveilleux et frustrant. Cela m’a confronté à mes lacunes, et c’est une bonne chose. L’un des risques de l’âge, c’est de se recroqueviller sur soi-même. Nous commençons notre existence comme une cellule qui a encore tout à apprendre, et qui est ouverte à tout ce qui est nouveau. Nous apprenons beaucoup en grandissant, mais nous nous enfermons aussi dans des schémas.

A un certain moment, nous pensons que nous n’avons plus rien à apprendre et nous nous agaçons contre les générations plus jeunes qui nous confrontent à la nouveauté. C’est dommage, cela n’apporte rien de bon. Voyager, essayer de nouvelles choses… Tout cela nous permet de ralentir notre processus de vieillissement et la stagnation qui semble l’accompagner.»

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