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Les vieilles filles balaient les clichés Getty Images © Getty Images

« Vieilles filles », elles témoignent de leur quotidien solitaire mais certainement pas esseulé

Kathleen Wuyard-Jadot
Kathleen Wuyard-Jadot Journaliste

Peu de termes sont plus évocateurs que le qualificatif de «vieille fille». Et pourtant, celles à qui on l’attribue, tout comme les vieux garçons, sont le plus souvent à mille lieues des clichés qui y sont associés. Et que la journaliste Marie Kock détricote dans l’ouvrage éponyme qu’elle vient de publier.

Détricoter? La métaphore n’est pas anodine. Car chez nos voisins anglophones, on ne parle pas de vieilles filles mais bien de «spinsters», soit, littéralement, celles dont le métier est de manier le fuseau. Une référence aux ancêtres des célibataires d’un certain âge d’aujourd’hui, qui choisissaient à l’époque de se consacrer tout entières à leurs carrières et de subvenir seules à leurs besoins grâce à leur talent pour le tissage. De là à dire que la réappropriation négative du terme par une société alors pleinement patriarcale était cousue de fil blanc… «Ce n’est pas du tout tirer sur la corde, assure Marie Kock, en répondant à une expression imagée par une autre. Tant le patriarcat que l’organisation sociale au sens large poussent au mariage et à la construction d’une famille. D’ailleurs, l’image de la vieille fille est surtout destinée à la jeune fille: on va la brandir devant elle comme un épouvantail, en lui disant que peut-être qu’elle a envie de prendre son temps et de ne pas se marier tout de suite, mais que si elle attend trop longtemps, gare à la vie qui l’attend. C’est un cliché qui perpétue l’idée qu’il faut se contenter d’un mariage ou d’une famille qui ne nous épanouit pas forcément, parce que l’alternative est de devenir cette créature aigrie et seule qu’est la vieille fille.» Aigrie et seule, vraiment?

‘ Chez les hommes, avant la septantaine, on parle de célibataires endurcis, il n’y a pas cette notion de péremption.’ Marie Kock

Autrice de deux ouvrages, journaliste ayant longtemps collaboré à la rédaction du magazine branché Stylist, la Parisienne élancée à la longue chevelure brune ne correspond pas exactement à cette description. Et elle est loin d’être la seule à ne pas se reconnaître dans une étiquette que la société lui accole pourtant contre son gré.

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Ces dix dernières années, Statbel a enregistré une augmentation de 16% des célibataires en Belgique, ce qui porte leur nombre à 5 697 008 personnes, ou 54,74% de la population des plus de 18 ans. Ajoutez à cela une baisse proportionnelle de la natalité (moins 12 000 naissances chaque année entre 2010 et 2019, même si depuis, une légère hausse a été enregistrée) et on pourrait supposer que le quotidien de celles et ceux qui vivent sans partenaire ni progéniture serait devenu la norme plutôt que l’exception, ou du moins, un mode de vie qui ne pose pas question. Il n’en est toutefois rien, à commencer par les interrogations qui les préoccupent eux-mêmes.

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Un célibat ni célébré, ni subi

Si, aujourd’hui, Marie Kock veut, avec sa «proposition», laisser entrevoir que «cette situation qui est décrite comme la pire possible peut être vécue autrement, et induire un rapport intéressant au couple et à la famille, ainsi qu’à l’argent, au temps ou encore à l’espace», elle n’a pas toujours posé ce regard bienveillant et curieux sur sa situation personnelle. Confiant avoir «sauté dans l’amour à pieds joints, comme s’il s’agissait d’un simple tour de manège», la Française a vogué d’une romance à l’autre jusqu’à ses 37 ans, âge où elle s’est, de son propre aveu, «retirée du game». Pourquoi? Marie parle d’une prise de conscience «qui s’apparente non pas à une grande illumination mais plutôt à un dégrisement».

La majeure partie de ma vie s’est organisée, quelles que soient mes obligations scolaires ou professionnelles, autour de la recherche de l’autre.» Un autre illusoire, qu’elle a parfois cru trouver, pour finalement toujours revenir à la case départ et à cette solitude qu’elle a appris à apprivoiser avec les années.

Un processus qu’a vécu aussi Catherine, 57 ans, qui dit de son célibat qu’il n’est «ni célébré ni subi»: «Je l’aime bien, la plupart du temps. Et en tout cas, je l’assume à 100%.» Vieille fille, elle? «Pour moi, cette expression est très désuète, et péjorative. Je ne me considère pas du tout comme ça: je dirais plutôt que je suis une fille, plus toute jeune, certes, mais libre. Je ne ressens pas de frustration ou d’injonction à me remettre en couple: je suis consciente de sortir de la norme, en étant célibataire et sans regrets de ne pas avoir eu d’enfants, mais c’est mon petit côté punk.» Et pourtant, ainsi qu’elle le reconnaît, la première fois où, après «plusieurs vies de couple stables et plutôt sympas», elle a décidé de vivre en solo, ça a été pour elle «la panique totale».

Pas d’un point de vue sentimental, mais bien parce que j’étais terrorisée par toutes les choses pratiques du quotidien. Je n’avais jamais dû changer une ampoule moi-même, et il m’a fallu longtemps avant d’oser sortir seule à un concert ou une soirée.» C’est que dans nos sociétés qui envisagent les humains par paires ou bien en multiples de la famille, celles et ceux qui agissent seuls restent uniques dans l’imaginaire collectif.

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Un réveil nécessaire

«Cela fait plusieurs siècles que le mariage est vu comme le garant d’une forme d’ordre social stable, donc le célibat pose question, pointe Marie Kock. Moi-même, j’ai passé beaucoup de temps à pleurer et à attendre le grand amour ou, du moins, le potentiel géniteur de mes potentiels enfants. C’est dommage, parce que je pense qu’il y a eu toute une période où ma vie était très chouette, mais je ne l’ai pas compris sur le moment, et j’ai perdu beaucoup de temps avant de le réaliser. Il y a des jeunes filles qui savent dès la vingtaine qu’elles veulent vivre une vie de célibat, mais ce n’était pas du tout mon cas, et c’est loin d’être celui de tout le monde.»

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Carole, la petite quarantaine et médecin spécialiste, réfute «l’image d’Epinal de la vieille fille, une caricature obsolète qui renvoie à une vieille dame acariâtre avec trois poils au menton. Ou bien une trentenaire qui vit toujours chez ses parents et aurait pu rentrer dans les ordres». Deux descriptions qui ne collent pas à celle qui «vit une vie à 1 000 à l’heure, avec un agenda bien rempli et rarement le temps de (s’)ennuyer». Et tient à apporter une nuance importante: «Etre célibataire, ce n’est pas être seule. Il ne faut pas oublier la famille, les amis, les collègues… Et puis d’un point de vue intime, cela n’implique pas non plus de ne faire aucune rencontre. Mais chercher une relation à tout prix, ce n’est pas comme ça que j’envisage l’avenir.»

Un point de vue que partage Nathan, confrère de Carole et lui aussi célibataire de longue durée, ou plutôt «vieux jeune homme», comme le veut l’expression consacrée. Un qualificatif qui le fait plutôt rire: «Mon célibat est voulu et réfléchi. J’ai une vie professionnelle extrêmement prenante et une vie sociale tout aussi remplie. Sur les sept soirs de la semaine, c’est rare que j’en passe plus d’un ou deux chez moi: quand je ne suis pas de garde, je suis chez des amis ou à un concert. Bien que «seul» aux yeux de la société, je suis tout sauf esseulé, et mon célibat m’offre la liberté de pouvoir voir qui je veux, où je veux, quand je veux, sans avoir de comptes à rendre à personne.»

‘ Je trouve mon statut plutôt enviable. La plupart du temps, mon mode de vie a un côté plus hédoniste.’ Catherine

Une approche facilitée par son genre? «La vieille fille est vue comme une femme qui n’a pas été choisie, ou bien qui a fait la difficile et l’a payé, alors que le vieux garçon est quelqu’un qui n’a pas trouvé chaussure à son pied. La condamnation est moins forte, fait remarquer Marie Kock. D’ailleurs, l’injustice biologique se poursuit dans la différence des termes: une femme sera estampillée vieille fille à 35-40 ans, quand sa fertilité commencera à décliner, tandis que vu que les hommes peuvent faire des enfants jusque très tard, ils ne seront taxés de vieux garçons que vers la septantaine. Avant ça, on parlera de célibataires endurcis, il n’y a pas cette notion de péremption.»

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Le plaisir de l’aléatoire

Ce qui ne veut pas dire que leur statut soit forcément plus facile à vivre pour autant. Sur la plate-forme Au Féminin, le forum Amour, Couple déborde de témoignages de vieux garçons désireux de mettre des mots sur les maux qui les accablent. Solitude, honte, regrets, jalousie… Ici, l’un décrit sa «situation inconfortable. Je sors très peu, je ne me trouve pas forcément attirant, je manque terriblement de confiance en moi». Là, un autre confie être plein de bonne volonté, mais ne plus voir d’intérêt à faire les efforts nécessaires pour changer son statut relationnel. Bouffée d’air frais parmi ces témoignages, celui d’Edouard Moradpour, auteur de Moi, Edouard, vieux garçon, maniaque et fier de l’être, une comptabilisation humoristique de ses «33 tics et tocs les plus toqués», malgré lesquels sa vie est «tout sauf un enfer». Précisément parce qu’il a réussi à se réapproprier le quolibet et à lui enlever de ce fait sa capacité à blesser? «C’est ça qui est magique, sourit Marie Kock. Bien sûr, je suis célibataire, mais le terme «vieille fille» ne définit pas ma vie».

C’est comme si on disait de moi que je suis employée, ça ne dit rien de ce sur quoi je travaille, et c’est une libération de réaliser que les catégories dans lesquelles on nous met ne nous enferment pas.»

D’autant qu’au fond, elles n’ont rien de la prison: «Je trouve mon statut plutôt enviable, la plupart du temps, mon mode de vie a sans doute un côté plus hédoniste. L’aventure, l’imprévu, le plaisir de l’aléatoire et de décider au dernier moment d’aller voir un concert en ville… Ou de rester seule avec moi-même et un bouquin. Goûter aux joies de la paresse sans culpabilité ni jugement», égrène Catherine au sujet des joies de son célibat.

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Carole, elle, ajoute «la possibilité de changer de vie, de ville voire même de pays sans trop se poser de questions». «C’est sûr que notre situation représente un affranchissement, mais de là à affirmer que c’est une forme de liberté, c’est plus compliqué», nuance Marie Kock. Qui préfère parler de «pari sur l’autonomie et la gratuité des relations»: «Ce que je trouve intéressant, dans le parcours de vieille fille, c’est qu’on vit un amour plus libre, parce qu’il y a moins de cases à remplir. Quand on arrête de chercher absolument des relations qui doivent s’inscrire dans le temps et être inconditionnelles, comme le mariage ou la parentalité, et qu’on accepte des relations plus fluctuantes, moins stables, cela déploie les capacités d’amour. Et une fois qu’on en prend conscience, on réalise qu’on est à l’opposé de l’idée de la vieille fille égoïste et sèche qui n’aime personne.»

Et l’autrice de confier espérer partager ce message par le biais de son livre, que ce soit auprès de personnes célibataires ou non: «J’aimerais que les gens réalisent à quel point leur vie pourrait s’enrichir s’ils ne s’obstinaient pas à mettre tous leurs œufs dans le même panier. Il peut y avoir des solitudes incroyables au sein des familles nucléaires: pourquoi juge-t-on les vieilles filles mais pas les couples qui vivent en repli sur eux-mêmes et n’ont pas d’amis? Moi, ce sont eux que je ne comprends pas. Si on part du principe que les vieilles filles sont des anomalies, et qu’on voit l’anomalie comme une manière de ne pas avoir à répondre aux contraintes du système, alors ça me va d’en être une.»

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Vieille fille: Une proposition, par Marie Kock, 220 pages, Editions de la Découverte.

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