Les enfants, clientèle chouchoutée du tourisme de luxe

Le nouveau kids club du Soneva Jani aux Maldives.
Fanny Bouvry
Fanny Bouvry Journaliste

Les hôtels de luxe visent une nouvelle clientèle, haute comme trois pommes. L’agence belge Little Guest a senti la tendance venir et, depuis 2018, labellise les plus beaux établissements kids friendly de la planète. Rencontre avec son fondateur, Jérôme Stefanski.

Pour accéder à The Den, le nouveau kids club construit sur l’île privée de l’hôtel Soneva Jani, aux Maldives, on peut choisir la taille de sa porte – minuscule pour les mômes, moyenne pour les ados, grande pour les parents. Un détail, mais qui annonce dès le départ qu’ici, tout le monde est le bienvenu. On traverse ensuite un couloir dont les touches de piano encastrées dans le plancher déclenchent des compositions musicales, avant d’arriver dans un petit coin de paradis à ciel ouvert: piscine, tyrolienne, bateau pirate, cascades, et même bar à smoothies dans une grotte, rien n’a été oublié.

Autour de cette oasis qui séduit même les adultes, on trouve des salles de cinéma, de bricolage, de cuisine, de musique et, à l’étage, une table de ping-pong les pieds dans l’eau, un babyfoot ou un flipper pour les teens. Un cocon de 1500 m2 aux couleurs pop, en pleine nature luxuriante, pour combler les petits privilégiés qui séjournent dans cet établissement très haut de gamme, équipé d’une cinquantaine de villas sur pilotis avec toboggan vers la mer.

A partir de 5 ans, dans une famille sur deux, l’enfant est influenceur en ce qui concerne les vacances.

Prisé des stars qui y recherchent la discrétion et la quiétude, ce palace de l’océan Indien fait partie de la collection de Little Guest, une agence de voyages belge en ligne qui répertorie la crème des établissements kids friendly à travers le monde. La société ne se contente pas de labelliser les enseignes les plus accueillantes pour les familles. Elle offre aussi «les meilleurs prix du marché» dans les hôtels partenaires et le service d’un Little Concierge qui prépare l’escapade et épaule les vacanciers au moindre problème sur place.

Le kids club du Soneva Jani. Photo : SDP

«Le Soneva Jani fait clairement partie des destinations les plus magiques, mais aussi les plus chères, que nous suggérons à notre clientèle. Il y a des choses bien plus abordables, on tourne autour des 5 000 euros par famille, hors vol, en moyenne. Cela dit, la philosophie de cet hôtel illustre bien cette évolution du tourisme du luxe qui porte toujours plus d’attention aux enfants», nous explique Jérôme Stefanski, qui a fondé Little Guest en 2018, après avoir travaillé dans l’édition puis lancé les Cuberdons Léopold.

Des chiffres éloquents

Si des grands groupes comme Club Med – dont plusieurs implantations figurent au catalogue de Little Guest – planchent depuis toujours sur ce service au top pour tous, marmaille comprise, le phénomène touche désormais des adresses et chaînes plus exclusives encore.

Comme Four Seasons qui a mis au point des soins dédiés aux têtes blondes dans certains spas. Ou Ritz-Carlton qui a lancé Ritz Kids, une programmation axée sur l’océan conçue par l’environnementaliste Jean-Michel Cousteau. Sans oublier les très sélects Aman, qui affichent aujourd’hui des formules «family adventure» avec des activités pour tous les âges, de la préparation de pizzas au pique-nique dans le désert en passant par la visite d’un sanctuaire d’éléphants…

En 2018 déjà, les voyages en familles représentaient un secteur d’activité évalué à 500 milliards de dollars… et la crise n’a pas freiné la progression. Selon la compagnie américaine de voyages de luxe Abercrombie & Kent, les réservations pour 5 personnes et plus ont augmenté de 26% entre 2019 et 2022. Cela concerne bien sûr les trips entre amis, mais aussi et surtout ceux en famille… élargie.

«Les destinations qui permettent d’accueillir de grandes familles multigénérationnelles, comme celles qui disposent de nombreuses grandes villas − notamment les Caraïbes, le Mexique et les Maldives − enregistrent une hausse des réservations», confirme de son côté Mark Hoenig, cofondateur de la compagnie de voyage VIP Traveler, sur cnbc.com.

Jérôme Stefanski et son fils Achille.
Jérôme Stefanski et son fils Achille. © National

Jérôme Stefanski, lui, se réjouit d’avoir créé Little Guest à «un moment charnière». L’entrepreneur a ainsi vu son chiffre d’affaires multiplié par 2,5 entre 2019 et 2021, malgré la crise Covid, et sa société génère désormais plus d’un million d’euros de ventes mensuelles. Le trentenaire − qui a ouvert cette boîte à la naissance de son fils Achille, se rendant compte de la difficulté de trouver des lieux bien adaptés à ses besoins − porte pour nous un regard sur ce marché en plein boom.

Le tourisme du luxe s’intéresse aujourd’hui aux enfants. Pourquoi?

Ces vingt dernières années, il n’y avait pas vraiment de place pour eux dans ce secteur. A la limite, s’ils ne venaient pas, les parents étaient contents. Avec l’évolution de la place de l’enfant dans la société, mais aussi avec le terrorisme et la pandémie, beaucoup de gens ont compris qu’ils ne vivaient qu’une fois et ont eu envie de plus en profiter ensemble. La génération des Millennials (NDLR: née entre le début des années 80 et la fin des années 90) vient par ailleurs de dépasser les baby-boomers en termes de consommation de voyage. Ces jeunes parents voyagent avec des poussettes et sont influencés par Instagram, et des filles comme Kim Kardashian, qui emmènent leurs mômes partout. Sans compter que tous ces consommateurs font leurs enfants plus tard, sont déjà installés dans leur vie et leur job et ont donc les moyens de payer plus pour leurs séjours.

Désormais, on part donc aux Maldives ou à Ibiza en famille… C’est un changement!

Ces deux destinations symbolisent en effet ce tournant. Il y a dix ans, on allait aux Maldives en amoureux, en voyage de noces. Désormais, dans notre collection, on retrouve là-bas une dizaine d’hôtels, comme les Soneva Jani et Fushi, qui ont des kids clubs de fou. Ibiza, c’est la même chose. Avant, c’était une destination de fêtes. Désormais, les parents qui ont fait la fiesta sur l’île étant jeunes veulent y revenir, mais de façon plus sereine, pour voir avec les mômes les plages protégées par l’Unesco, les forêts de pins au nord de l’île. L’offre hôtelière a dû s’adapter.

Le Sonava Fushi aux Maldives. Photo: SDP

C’est-à-dire?

Little Guest propose une collection de 350 hôtels qui répondent à plus de 200 critères prouvant qu’ils ont réfléchi à la manière d’accueillir les familles. Cela comprend aussi bien la possibilité de récupérer des biberons à la réception, de se réapprovisionner en langes, de disposer de piscines sécurisées ou d’un siège auto pour les transferts, de trouver un menu enfants qui ne se limite pas aux nuggets-frites… Sans oublier tout le volet entertainment. Les établissements de luxe proposent aujourd’hui des choses vraiment dingues. Par exemple, au Ashford Castle en Irlande, un butler peut apporter sous cloche d’argent une représentation en Lego du château dans la chambre… Mais le but ne doit pas être non plus d’en faire des enfants rois!

Et comment, selon vous, peut-on éviter ça?

Je pense que le plus important est de permettre aux enfants de vivre des expériences. A Corfou, par exemple, nous somme consultants pour la construction du kids club de l’Ikos. Et nous avons imaginé un concept autour du héros de la Grèce antique. On propose à l’enfant d’obtenir une faculté pendant ses vacances – devenir astronome, supersportif, jardinier… Et tout un programme lui permet d’atteindre ce but durant le séjour. Il doit s’impliquer.

Les hôtels doivent aussi adapter leur offre de chambres…

Il y a eu une énorme évolution au niveau de la structure de l’hébergement, ce qui coûte d’ailleurs très cher aux hôtels en termes de transformation. C’est aberrant d’avoir un grand salon et de ne pas savoir placer un lit d’appoint de façon confortable. Désormais, on trouve plus de chambres communicantes et de suites familiales. Certains hôtels de luxe proposent aussi maintenant des lits superposés, comme le Cretan Malia Park en Grèce. Des modèles canons en mode cabane mais qui ne prennent pas de place. A se demander pourquoi le lit superposé n’est pas encore un standard de l’hôtellerie de luxe familiale…

Tyrolienne au Soneva Jani. Photo: SDP

L’enfant est-il désormais prescripteur en matière de voyage?

En effet, une étude que nous avons faite confirme qu’à partir de 5 ans, dans une famille sur deux, l’enfant est influenceur en ce qui concerne les vacances. Un exemple parmi tant d’autres: pour ses 10 ans, une fillette fan de Harry Potter voulait aller à Londres. Sa mère a choisi un hôtel dans notre collection et demandé qu’on lui livre des cookies à l’effigie des personnages du film, ce que notre conciergerie a organisé. Ici, l’enfant était clairement prescripteur de la destination. On vit aussi cela avec les hôtels Ikos. Le Sani Resort, en Grèce, a mis sur pied une académie Nadal. Un proche du joueur de tennis est présent durant l’été et peut donner des conseils aux gamins passionnés de tennis. Ils ont aussi une Chelsea Academie sur le même principe. C’est clairement un élément de décision.

Et les ados, comment l’hôtellerie de luxe peut-elle les séduire?

C’est un âge difficile. On suggère par exemple aux hôtels qui nous consultent d’implanter le club ado à l’opposé du club enfants car ils ne veulent pas être assimilés aux plus petits. Le choix de l’animateur-ami est aussi crucial. Il faut un mec tatoué, hyperconnecté, auquel l’ado peut s’identifier. Leur apprendre à faire des mocktails, c’est bien, mais il faut aller plus loin… Par exemple inviter une instagrammeuse à donner des cours pour faire des photos pour les réseaux. Peindre un mur en blanc chaque soir et les laisser le taguer durant la journée. On travaille également avec des DJ assez connus pour donner des cours de DJing.

Ping-pong sur le toit du kids club, au Soneva Jani. Photo: SDP

Et les grands-parents dans tout ça?

On vend en effet un certain nombre de voyages intergénérationnels. Les seniors sont une bonne cible du voyage de luxe avec enfants, parce que ce sont eux qui régalent. L’important, c’est que chaque membre de la famille puisse s’y retrouver. Les grands-parents chillent dans leur villa tandis que les parents s’occupent de leur corps et d’eux-mêmes et que les enfants profitent des activités. Il ne faut pas qu’il y ait de compromis entre les membres de la famille. C’est la base pour une hôtellerie de luxe bien pensée.

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