Tabous, pression à la performance, pudeur: le chemin vers une sexualité masculine épanouie est encore long
Ils ont beau avoir la réputation de « ne penser qu’à ça », les hommes semblent parfois perdre leurs moyens au moment d’évoquer leur sexualité ou leur intimité. Entre blagues lourdes, gêne, peur du jugement et pression à la performance, le chemin pour se libérer est semé d’embûches. Pourtant de nombreux bénéfices sont à la clef. Enquête sous vos draps.
« L’autre jour, avec une amie, on débriefait un peu de mes derniers dates. On discutait de tout et de rien mais principalement de cul », nous confie Coline. « Et elle me racontait que justement, avec son mec, sexuellement, elle avait retrouvé la flamme. Qu’elle osait plus au lit. On parlait vraiment librement de ses fantasmes et de ce qu’ils faisaient ensemble. A un moment, son mec est passé et a entendu ce qu’on disait. Il était hyper choqué de voir qu’on parlait aussi librement de tout ça. Il disait qu’entre mecs, jamais ils ne pourraient échanger comme ça. A la limite pour parler (un peu) d’un plan cul, mais pour parler de sa copine, c’est mort. »
Ce que Coline partage, aussi anecdotique que cela puisse paraître, est pourtant révélateur d’une certaine réalité. Où les femmes parlent et écoutent, alors que les hommes se murent dans le silence. Où l’amour, et l’intime sont profondément codés comme quelque chose de féminin. Réservés aux gonzesses, relégués aux courriers du cœur et aux bavardages entre copines. Des sujets pas très sérieux, en somme.
L’amour politique
Alors que la manière dont on s’aime, dont on se touche, dont on se considère, dont on se parle et dont on se quitte revêt une importance sociétale capitale. Cette idée que l’amour est éminemment politique et que nous vivons une révolution romantique où nos armes sont nos corps et nos cœurs, Victoire Tuaillon la défend dans son podcast, le Cœur sur Table.
Celle qui se définit comme une véritable romantique revient sur cette notion d’écoute, souvent dévalorisée dans le prologue de sa série audio. « C’est comme si ces heures de conversation, tous ces efforts d’écoute, de réflexion, d’introspection, pour essayer de mieux se comprendre, de mieux comprendre l’autre, d’avoir des relations épanouissantes et harmonieuses, comme si tout ça c’était du commérage ou de la prise de tête inutile. Comme si ça n’avait aucune valeur alors que ça en a une, immense », maintient-elle.
Mais dans notre société aux genres étriqués, où les hommes sont d’un côté, les femmes de l’autre. Les uns au-dessus, les autres en-dessous. Quel espace offre-t-on aux hommes pour parler de l’intime ? Et comment parvenir à briser les tabous ?
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Un tabou enfermant
Dans un sondage réalisé en 2024 par Arcwave, une marque de sex-toys, il ressort que seulement 5% des hommes parlent très fréquemment de sexe avec leurs amis. 17% arrivent à en parler souvent, 35% évoquent le sujet parfois, 29% le font rarement et 15% n’en parlent jamais.
Pour Joëlle Smets, autrice du livre La puissance sexuelle des femmes – ouvrage plus que nécessaire invitant les femmes à reprendre le contrôle sur leur sexualité et leur jouissance, cette difficulté qu’éprouve la gent masculine à parler de sexe est tout à fait logique. « Quoi qu’on en dise, parler de sexe, c’est toujours complexe », affirme la sexologue bruxelloise. « Il y a énormément d’enjeux. D’autant plus actuellement, dans notre société ultra sexualisée où notre sexualité nous définit énormément et occupe une place importante dans notre identité. »
Et dans ce contexte, les hommes ne semblent pas en mener large. « Notre sexualité est évidemment sociétale et dictée par les normes mises en place. Elle est aussi très différente pour les femmes et pour les hommes. Actuellement, ces normes découlent du patriarcat », note notre experte. « Dans ce cadre, la sexualité masculine ne s’envisage que par la domination. Elle est active, bandante, pénétrante, orgasmante, et surtout jamais défaillante ! Les femmes sont reléguées au second plan, passives, assimilées au care ».
Ainsi, l’homme doit tenir le plus longtemps possible, faire jouir sa partenaire. Se contrôler et dominer. Et toujours être dans la performance. Car un homme, un vrai, il bande dur et tient toute la nuit. « Et parler de son intimité, s’ouvrir en cas de problème ou non, c’est se montrer vulnérable. Soit l’exact opposé de ce qu’on permet aux hommes actuellement », pointe Joëlle Smets.
Accepter sa vulnérabilité
Le constat qu’elle pose trouve écho auprès des hommes que nous avons interrogés lors de cette enquête. Auprès de Thomas notamment, qui malgré une sexualité épanouie avoue ne pas toujours parler aussi facilement de son intimité. « En fait, je ne pense pas que la gêne vienne de moi, mais plutôt des autres », nous confie le presque trentenaire. « Je vois bien parfois quand j’évoque le sexe avec des potes que certains sont clairement mal à l’aise. J’ai appris avec le temps à filtrer les personnes avec qui j’évoquais le sujet mais je pense que beaucoup de mecs ont du mal à parler de tout ça parce que ça les rend vulnérables. C’est montrer ses failles et ce n’est pas tellement encouragé socialement. »
Cette idée de trouver une sorte de garde rapprochée, des amis avec lesquels pouvoir partager son intimité, elle résonne chez Rémi également qui admet « avoir toujours parlé super facilement de cul entre potes », mais pour qui la distinction entre potes et amis est importante. « Je n’ai jamais caché ce que je faisais au lit, mais je dirais qu’entre potes je parle de cul, et avec mes amis je parle plus de mon intimité. Avec mes meilleurs amis, on est comme les doigts d’une main, ils savent tout de moi, on a déjà chialé dans les bras les uns des autres et ça fait tellement de bien. »
Ne serait-ce pas une question de pudeur également ? « je pense qu’il y a une question d’éducation ou de sensibilité qui joue également » répond Thomas. « J’ai des amis qui ont une sexualité épanouie mais qui ne ressentent pas le besoin d’en parler. Et c’est ok, ce n’est pas obligatoire de parler de sexe », souligne-t-il avant de renchérir. « Je pense aussi qu’il faut distinguer les plans culs d’une relation plus longue. Pour les premiers, il y a moins d’enjeux, et généralement tes potes ne connaissent pas la fille, donc la parole est plus libérée », nuance-t-il. « Mais quand tu es en couple, ce n’est plus juste ton intimité à toi, mais celle du couple. Ce que tu dis engage aussi quelqu’un d’autre, que tes potes connaissent. Ça rend du coup la discussion quand même plus complexe. »
Faire baisser la pression
Le problème, c’est que ces espaces où la parole est libérée restent peu nombreux. Et que face à cette sexualité masculine omnipotente, les hommes n’en mènent pas toujours large. « On a construit cette vision de l’homme à la sexualité puissante, mais ça entraine souvent une série d’effets négatifs. Comme du stress lié à la performance sexuelle », souligne Joëlle Smets. « Dans une enquête dédiée, pas moins de 68 % des 1.000 Français interrogés avouent ressentir de la pression pendant un rapport sexuel ! Ils ont peur de décevoir leur partenaire puisque 54% des personnes interrogées pensent qu’il est très important de faire atteindre l’orgasme à leur partenaire pour réussir un rapport sexuel alors que seulement 3% pensent que ce n’est pas important. »
« Jouir était devenu une délivrance, je me disais ‘c’est bon, c’est fini’. Là, je me suis dit qu’il y avait un problème. »
Cette pression à la performance, Rémi la connait plus que bien. « De manière graduelle, pour flatter mon égo, je me suis un peu perdu dans le sexe. Et dans la pression constante de plaire et de surtout être un bon coup », nous confie-t-il. « C’est devenu tel qu’à un moment, jouir était une véritable délivrance. Un peu en mode ‘c’est bon, c’est fini’. Et là je me suis dit qu’il y avait un problème. »
Après avoir consulté une sexologue, Rémi a pu se libérer de cette pression et aborder le sexe de manière plus sereine. « Cela m’a fait un bien fou d’en parler à quelqu’un. Et de pouvoir démarrer un travail sur moi-même. Renouer au sexe de manière plus saine et apaisée. Sans pression et sans stress. »
Pour Anthony, 25 ans et en couple, qui admet qu’il n’est pas toujours aisé de naviguer les méandres boueux des discussions de cul entre hommes, il est pourtant capital de parvenir à relâcher la pression. « C’est clair qu’entre mecs, on parle un peu de cul. Mais c’est toujours un peu gras. Et on a tôt fait de se comparer. Mais entre les on-dits, bien souvent extrapolés, et la réalité, il y a souvent un monde », ironise-t-il. « J’avoue ne jamais avoir réellement senti de pression autour de tout ça. Ou plutôt j’ai su m’en libérer grâce à mes partenaires. Ce sont les meilleurs indicateurs possibles en fait. Si elles sont contentes, c’est que je fais mon job correctement, pas besoin de me stresser pour rien », conclut-il le sourire en coin.
Une question de taille
Comme le rappelle notre sexologue, « il ne faut pas oublier que socialement, avec le patriarcat qui finalement enferme autant la gent masculine que les femmes, les hommes se construisent dans la confrontation, la comparaison et la compétition ». Et à ce petit jeu-là, une question taraude ces messieurs : celle de la taille de leur engin.
Matrixés par une industrie pornographique aux dimensions démesurées, pourtant normalisées, le sens des proportions des engins des hommes semble varier. « J’avoue que j’ai toujours été rassuré de savoir que j’étais au-dessus de la moyenne », admet Thomas. « C’est sûr que la taille ne fait clairement pas tout. Mais elle peut t’handicaper aussi, même si tu t’en sers comme un pro. Parce que oui, ça peut être trop petit. »
Pour Anthony, « la taille on s’en fout complétement… Mais j’admets ne jamais avoir dû me poser la question, n’étant pas concerné par un micropénis. Je n’ai jamais reçu de commentaire là-dessus, donc je me dis que tout doit être en ordre ».
« C’est sûr que la taille ne fait clairement pas tout. Mais elle peut t’handicaper aussi, même si tu t’en sers comme un pro. Parce que oui, ça peut être trop petit. »
Cette question de taille, elle ne surprend guère Joëlle Smets. « Évidemment que la taille ne compte pas. Mais à nouveau, dans cette idée de sexualité triomphante, puissante, le pénis doit être imposant. Et sa taille est directement liée à la virilité, à la valeur de son propriétaire », rappelle-t-elle, avant de rajouter que le porno n’aide pas.
« Cependant, je ne pense pas qu’il faille diaboliser le porno » note-t-elle. « C’est clair que cela peut poser des problèmes. Surtout auprès des plus jeunes qui découvrent leur sexualité à travers ces vidéos. Mais on ne peut pas l’interdire. En revanche on peut l’encadrer. Rappeler que ce n’est pas la réalité. Et aussi rediriger vers des pornos alternatifs, féministes et éthiques »,
Oser lâcher prise
Finalement, l’envie d’ouvrir la sphère de l’intime ne semble pas manquer. Et pour les hommes que nous avons interrogés, être parvenu à ouvrir la boite de Pandore et parler ouvertement de sexe semble avoir été plus que libérateur.
Mais comme le rappelle Joëlle Smets, la parole restera enfermée dans des carcans trop étriqués tant que les normes sociétales resteront inchangées. « Le sexe et l’intime sont éminemment politiques. Vous voulez savoir comment aider les hommes à briser le tabou autour du sexe ? La réponse est simple, il faut sortir du patriarcat et en même temps encourager les femmes à prendre le contrôle de leur sexualité et de leur jouissance. Déconstruire les normes, sortir de ces pressions et de ces rapports contraignants », conclut-elle. Et réinventer de nouvelles masculinités. Libérées et heureuses. Oser tout du moins.
« On fait l’amour à deux, c’est un peu comme un travail d’équipe »
Dans cette idée, Anthony en est persuadé, le sexe doit rester un terrain de jeu. « Aujourd’hui, je suis le fruit de toutes mes explorations. En solo ou en couple », nous révèle-t-il, visiblement bien dans ses bottes et à l’aise dans sa sexualité. « Je vois un peu ça comme un socle, une base solide. J’ai pu me construire un rapport à la sexualité sain et épanoui. Mais du coup, maintenant que la base est là, je peux vraiment m’autoriser à explorer. Que ce soit avec des objets ou dans des pratiques, le champ des possibles est vaste. Et je pense que c’est important de pouvoir s’autoriser à expérimenter. »
De son côté Thomas rappelle l’importance de la communication aussi. « On fait l’amour à deux, et c’est un peu comme un travail d’équipe. L’homme doit bien bouger mais aussi pouvoir questionner sa partenaire sur ce qu’elle aime, ce qu’elle veut. Et pour ça, la femme doit se connaitre aussi et pouvoir le guider. »
Pour Arnaud, dont la sexualité (pourtant tout à fait normale) sort des codes, parvenir à trouver une safe place a aussi été libérateur. « J’ai très vite su que je n’étais pas tout à fait hétéro », nous confie-t-il. « Et j’avais du mal à me retrouver dans les codes de la sexualité plus classique. Pendant longtemps c’était difficile pour moi de parler de tout ça. Très vite ça tombait dans du beauf et je sentais bien que je ne pouvais pas vraiment exprimer ce que je ressentais. »
C’est à la suite d’une rupture que le jeune homme s’est autorisé à enfin s’explorer. « J’étais au fond du trou et je n’avais plus rien à perdre. Donc j’ai décidé de me libérer du regard des autres et d’assumer », nous raconte Arnaud. « J’ai enfin osé m’écouter et j’ai exploré mes désirs. C’est comme ça que je suis entré dans la communauté du SM. Là, j’ai vraiment trouvé un espace libre de tout jugement qui m’a permis de relâcher la pression et de pouvoir enfin m’assumer et mener ma sexualité comme je l’entendais. Je n’ai jamais été aussi épanoui depuis. »
Envie d’aller plus loin ?
Parce que la déconstruction de soi (et de sa sexualité) nécessite parfois quelques ressources voici quelques pistes de réflexions ou d’ouvrages qui permettent de se questionner et d’avancer.
- L’homme pénétré (2023), ce roman graphique écrit par Martin Py et dessiné par Zoé Redondo aborde sans tabou la pénétration anale masculine. Plaisir interdit dont le tabou persiste, cette bande dessinée confronte les points de vue de quatre personnages aux profils variés qui au fil des pages livrent leurs avis sur la pratique tout en abordant les questions de sexualité et de genre qui en découlent.
En s’interrogeant sur les origines de ce plaisir transgressif, Johakim, Gaëtan, Alissa et Merwan vont petit à petit déconstruire leurs préjugés (et nos barrières) en interrogeant les notions de virilité, de féminité et puis du respect du corps. - Pénis de table (2021), « Le sexe est un mystère. On en parle peu. En tout cas pas en détail. Et surtout pas nous, les hommes. » C’est sur ce constat que s’ouvre la bande dessinée Pénis de Table créée par Cookie Kalkaire. Ainsi, Pénis de Table se veut comme une conversation à cœur ouvert, sans jugements ni tabous. Masturbation, orgasme, performance, sentiments, fantasmes, 7 hommes aux sexualités diverses partagent leur intimité.
Avec humour et sans sombrer dans le salace (bien qu’un peu cru par endroit) Pénis de table dessine les contours d’une sexualité masculine libérée et épanouie. Et ça fait du bien !
- On the Verge, depuis 2019, ce podcast animé par Anne-Laure Parmentier fait rimer sexualité au masculin. Ainsi derrière le micro du podcast, des hommes défilent pour parler sexe sans aucun tabou.
Chaque épisode est rythme en 3 parties. La première s’intéresse aux prémices de la sexualité de l’interviewé. Ses premiers souvenirs, ses premiers émois, sa première fois… La seconde partie s’ancre dans le présent, tourne autour de la sexualité actuelle de l’interviewé. Sa libido, ses envies, ses éventuels blocages. La dernière partie se porte sur l’après, comment envisage-t-il la suite ?
Polyamour, impuissance, libido, BDSM, ou relations queer : aucun sujet n’est laissé de côté dans cette série audio qui dresse un panorama, au travers de ces échanges, de la sexualité masculine actuelle.
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