Pourquoi les marques de luxe ne jurent que par la Kustlaan à Knokke

Vue de la Kustlaan, à Knokke © Anneke D'Hollander
Vue de la Kustlaan, à Knokke © Anneke D'Hollander
Katrien Huysentruyt Journaliste

Il semblerait que ce n’est pas le littoral mais bien la Kustlaan qui attire les foules à Knokke-Heist. Elles y déferlent pour s’arracher une pièce de la collection Métiers d’art de Chanel, un sac Neverfull Knokke 2025 de Louis Vuitton ou encore découvrir l’un ou l’autre pop-up branché. Ce qui pousse toutes ces marques vers la station balnéaire ? « En Belgique, c’est l’endroit où l’on peut réaliser le meilleur chiffre d’affaires ».

L’offre commerciale de Knokke-Heist, en particulier sur et autour de la Kustlaan, surpasse celle de n’importe quelle autre station balnéaire. Ici, pas de glaces fondantes ni de crocodiles gonflables, mais des sacs à main presque trop beaux pour être arborés à la plage et des montres assorties d’un chic assumé. De la boutique estivale de Chanel à la villa Vuitton, chaque marque de luxe qui se respecte veut y être, surtout en haute saison.

En effet, « pour beaucoup de maisons, c’est aussi stratégique qu’une présence à Bruxelles ou Anvers », explique Bert De Brabandere, échevin à Knokke-Heist. « La ville attire un public aisé – aussi bien belge qu’international. Les propriétaires de résidences secondaires et les adeptes du shopping y dépensent bien plus que la moyenne. C’est l’environnement idéal pour les marques de luxe: une clientèle réceptive aux produits haut de gamme, avec les moyens de ses ambitions ».

Shoppen in Knokke
Hermès. © Anneke D’Hollander

« À Knokke-Heist, deux éléments se rejoignent », analyse Gino Van Ossel, professeur de marketing à la Vlerick Business School : « un fort pouvoir d’achat et du temps libre. Car l’argent ne suffit pas, encore faut-il avoir le loisir d’aller faire du shopping ».

Bert De Brabandere, lui, est catégorique: « Knokke-Heist est une marque en soi. La commune incarne le style, la sérénité, l’art et le prestige. En tant que marque, s’y associer permet d’en capter l’aura ». Et Van Ossel d’ajouter: « Une fois qu’une station acquiert cette réputation de lieu mondain, elle attire automatiquement un public supplémentaire – précisément à la recherche de ce genre d’ambiance ».

Lippenslaan
© Anneke D’Hollander

« Un bon indicateur, ce sont les voitures. Rolls-Royce, Bentley, Porsche: toutes les marques de luxe sont représentées sur et autour de la Kustlaan. On y voit aussi beaucoup de véhicules haut de gamme dans la rue, souvent immatriculés aux Pays-Bas. Une station balnéaire mondaine attire ce type de clientèle. Ici, le luxe s’affiche davantage qu’il ne se cache: il est davantage dicté par le statut que par la mode. Il faut que cela se voie, que cela ait manifestement coûté cher. Une des boutiques les plus visibles, c’est Louis Vuitton. Aux heures de pointe, il faut faire la file pour y entrer sans rendez-vous. Ça en dit long ».

Luxe bruyant

Mais donc pourquoi faire du shopping, plutôt que de naviguer, bronzer ou explorer le Zwin? « Lorsque les gens évoluent dans une atmosphère détendue, qu’ils ont du temps libre et qu’ils voient les autres s’amuser et dépenser, il devient plus facile de s’offrir un petit plaisir », explique Ignace Glorieux, sociologue et professeur à la VUB.

« Les vacances, c’est le moment par excellence pour consommer. On travaille dur, et puis on se laisse aller, on fait chauffer la carte. Certaines personnes y prennent plaisir – surtout lorsqu’elles peuvent en faire étalage. Le shopping en ligne a beau être en plein essor, se promener sur la Kustlaan avec des sacs bien visibles, qui disent: regardez où j’ai été et ce que j’ai dépensé – ce type de shopping-là confère un certain statut » poursuit-il.

Kustlaan Knokke
© Anneke D’Hollander

« Par rapport à d’autres stations balnéaires, Knokke attire beaucoup moins de touristes d’un jour », précise encore le professeur de marketing. « Blankenberge accueille probablement plus de visiteurs, y compris à fort pouvoir d’achat, mais en chiffres absolus, Knokke enregistre le plus grand nombre de visiteurs aisés ».

« Nieuwpoort jouit également d’une réputation de destination huppée, mais avec une clientèle plus discrète. Prenons Bruges, par exemple: une petite ville qui attire un grand nombre de touristes, souvent débarqués de plusieurs navires de croisière à la fois. Ils visitent Bruges et Gand en une journée, sans avoir le temps de faire du shopping. C’est du tourisme de masse – certes dans une ville à forte valeur culturelle – mais ce n’est pas comparable à un touriste qui séjourne plusieurs jours. Celui-là a du temps à tuer ».

Haute saison

Fournisseur de la Cour, la maison Natan est implantée depuis des décennies sur la Kustlaan. Ainsi que le confie Pieterjan Van Biesen, son directeur marketing, « c’était la deuxième boutique Natan à ouvrir, juste après celle de Bruxelles, en 1987. Déjà à l’époque, il fallait absolument être présent à Knokke-Heist quand on représentait le haut de gamme. Je pense qu’Édouard Vermeulen a bien senti cette vague et l’a surfée ».

Il confirme que la haute saison est la plus lucrative : « Le reste de l’année, on fait un peu de chiffre le vendredi, samedi, dimanche et lundi. Les congés sont également de bons moments, mais ils ne rivalisent en rien avec l’été, surtout le mois d’août ». Même constat chez BĒ UNTITLED, le label de luxe fondé par Vivien Walder et Floris Brockmeier, qui y tient une boutique éphémère : « L’an dernier, nous avons lancé la marque à Knokke-Heist et c’est encore à ce jour l’une de nos meilleures journées de vente ».

Les deux premières semaines d’août sont les plus intenses, observe Gino Van Ossel : « Ceux qui ont une résidence secondaire partent souvent à l’étranger en juillet, puis passent un peu de temps à la mer. Les vraies fashionistas, elles, commencent déjà à acheter les nouveautés de l’automne. Et il y a aussi des gens qui ne font pas souvent du shopping, mais qui, à Knokke, se laissent tenter – et achètent ».

Kustlaan Knokke
Shopping sur la Kustlaan. © Anneke D’Hollander

Walder le confirme : « L’été, on loue nous-mêmes quelque chose là-bas. Je ne suis pas vraiment accro au shopping, mais je consacre une matinée à faire les boutiques sur la Kustlaan. Juste une, et c’est suffisant pour toute la saison ».

Brockmeier ajoute : « C’est un comportement qu’on retrouve souvent: des gens de Bruxelles ou d’Anvers qui ne font pas spécialement de shopping dans leur propre ville, mais qui réservent cela pour l’été, à Knokke-Heist ».

« Les clientes des boutiques Natan dans d’autres villes pays qui ont une résidence secondaire à la côte, préfèrent y faire leurs achats, dans cette ambiance de vacances détendue », observe aussi Pieterjan Van Biesen. Et Ellen Martens, cofondatrice de la marque de mode Rosie Antwerp, installée depuis trois étés à Knokke, de confesser, rieuse: « On se laisse prendre à cette vibe, hein. On a envie de se faire plaisir, d’acheter de jolies choses. Et puis soudain, toutes ces marques qui ne sont pas là d’habitude sont présentes. D’une certaine manière, on en est aussi un peu victime ».

À table chez Natan

« Je peux tout à fait imaginer qu’on dépense plus facilement son argent à Knokke-Heist », ajoute Ignace Glorieux. « Même si l’on ne fait pas soi-même partie de cette élite, on évolue au milieu de gens qui dépensent, et on les voit faire. Dans ce genre d’endroits, le shopping – et le fait de montrer ce qu’on a acheté, et surtout on l’a acheté – devient une véritable expérience ».

Natan Knokke
Natan. © Anneke D’Hollander

Une dimension d’expérience qui est soigneusement cultivée. « Internet a ôté une partie du plaisir lié au shopping, notamment celui de la découverte. On peut tout commander en ligne, ou presque, mais pour les pièces plus exclusives, on se rend en boutique – et cela doit alors devenir une expérience en soi. Les enseignes l’ont bien compris : elles misent sur cette idée de faire vivre quelque chose de spécial », observe-t-on.

La boutique Natan est ainsi devenue un véritable hotspot estival : « Les gens ne veulent plus simplement faire du shopping, une marque doit créer un univers », affirme Pieterjan Van Biesen. « L’objectif final reste de vendre, bien sûr, mais on voit que ça fonctionne. Chez Natan, nous investissons l’espace au-dessus de la boutique pour y présenter de jeunes artistes, et nous y avons aussi installé le restaurant éphémère Edgar. Dès que les réservations sont ouvertes, c’est complet en un rien de temps ».

Même intention du côté de BĒ UNTITLED : « Nous allons clairement organiser des événements. Déjà pour l’ouverture, le 10 juillet, ainsi que pour La Nuit du Zoute. Il y a aussi la collaboration avec Jean Paul Knott, autour de pièces en soie peintes à la main – certaines seront même réalisées sur place, c’est spectaculaire à voir. En plus, nous collaborons avec deux jeunes marques belges avec lesquelles nous prévoyons aussi un événement. L’idée, c’est qu’en août, chaque semaine réserve une nouvelle expérience ».

Pop(-up) culture sur la Kustlaan

Reste que ce sont surtout les boutiques éphémères qui insufflent du dynamisme à la scène commerciale. « Les pop-ups sont le résultat logique de la combinaison entre la vacance commerciale — qu’on observe aujourd’hui un peu partout — et le caractère saisonnier d’une station balnéaire. En deux mois, on peut y toucher énormément de visiteurs uniques, précisément pendant le pic estival, quand l’argent circule le plus », explique Gino Van Ossel.

« Un pop-up à Knokke-Heist, sur ou autour de la Kustlaan, ce n’est pas une boutique ordinaire: c’est un statement« , affirme de son côté Bert De Brabandere. « Les marques misent sur l’expérience et l’exclusivité, les pop-ups génèrent du buzz et de la visibilité sur les réseaux sociaux. Parfois, l’objectif est davantage le branding que la vente. C’est le rôle d’un flagship: incarner l’univers de marque. C’est aussi un terrain d’essai: nouveaux produits, éditions limitées ou concepts de boutique y sont testés. La réaction d’un public exigeant mais disposé à acheter vaut de l’or ».

Pieterjan Van Biesen confirme : « C’est effectivement une combinaison entre visibilité et potentiel de ventes. En Belgique, c’est ici qu’on peut réaliser les meilleurs chiffres. Une pop-up à Knokke confère du prestige à une start-up, et permet de gagner en crédibilité auprès d’un public international ». Van Biesen est aussi cofondateur du label 11pm Studio, installé juste en face de la boutique Natan. Il nuance toutefois: « La Kustlaan est la rue commerciale la plus chère du pays. Et on ne peut pas y louer au mois. Or, dans beaucoup de jeunes marques, chacun a encore un job principal, difficile à mettre entre parenthèses pour trois mois. Les loyers sont tels qu’il faut déjà être une marque bien établie, ou alors s’associer avec d’autres. Nous avons créé une combinaison sympa: mode, joaillerie, beauté et un bar à café. Ça permet de ne pas se concurrencer. Mais même en partageant les frais, c’est une somme conséquente à avancer – sans avoir vendu la moindre pièce ».

Rison pour laquelle chez Rosie Antwerp, on mutualise aussi. Ellen Martens : « Notre pop-up s’appelle Rosie Invites : chaque été, nous invitons quelques jeunes marques à partager l’espace pendant deux mois ». Même approche chez Walder et Brockmeier : « Nous sommes un label, mais aussi une boutique multimarques. Nous voulons donc mettre en avant d’autres marques que nous distribuons en exclusivité en Belgique : Ruohan et Zomer. Et puis, nous avons volontairement cherché à collaborer avec des marques de design et des artistes pour en faire un vrai concept store. Il y aura des pièces en dépôt d’autres créateurs, mais toutes sélectionnées avec soin par nos soins ».

Zwin-win

« Knokke-Heist offre une nature magnifique », souligne Gino Van Ossel. « On est aux portes de la Zélande, il y a le Zwin et son arrière-pays… c’est splendide. Et en même temps, on y retrouve l’effervescence d’une ville, avec une offre foisonnante en restauration et en shopping. Il y a de belles expositions, il se passe toujours quelque chose. Beaucoup trouvent que c’est un mélange idéal. La qualité de vie y est vraiment remarquable ».

Collector’s Corner Knokke
Collector’s Corner © Anneke D’Hollander

Un sentiment partagé par Ellen Martens: « il y a énormément de chouettes boutiques en été. Pour n’importe quelle marque, c’est un endroit intéressant où s’implanter – c’est donc une décision judicieuse d’un point de vue commercial. Mais c’est aussi tout simplement agréable: la période où nous y tenons notre boutique, c’est un peu comme des vacances. Enfant, on passait chaque été en famille à Knokke-Heist, c’est chargé de nostalgie. Et beaucoup de nos amis s’y retrouvent également, c’est un vrai moment fort de l’année ».

Une connexion personnelle que ressentent aussi Vivien Walder et Floris Brockmeier: « Avec BĒ UNTITLED, nous n’avons pas besoin d’être présents à plus de cinq ou dix endroits en Belgique, mais Knokke-Heist fait clairement partie des lieux qui seront centraux pour notre marque. Pour Vivien en particulier, c’est un endroit qui lui tient à cœur. Elle y a grandi, sa famille y habite… Pour elle, cette station balnéaire, c’est un peu comme rentrer à la maison ».

Pieterjan Van Biesen conclut sur une note révélatrice: « Récemment, je me promenais dans Knokke-Heist, autour de la Kustlaan, en compagnie de Vanity Fair France. Et même si les Parisiens ne sont pas réputés pour leur enthousiasme débordant, j’ai tout de même perçu une vraie forme d’admiration. Peut-être sommes-nous trop critiques envers nos propres stations balnéaires, en pensant que tout est forcément mieux à l’étranger. Pourtant, l’atmosphère et l’architecture ancienne ont clairement su les charmer. Entre les investissements de La Réserve ou l’hôtel Villa Bonnie, les choses évoluent dans le bon sens: l’aspect bling-bling s’estompe. Aujourd’hui, les gens veulent vivre des découvertes, trouver des beach bars sympas – mais pas pour sabrer les bouteilles de champagne, façon ostentatoire ».

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