Découvrir Paris par la marge: on a randonné sur le GR75
Une boucle de 50 km, créée pour les J.O. 2024, propose de vivre la Ville lumière par son pourtour via un étonnant parcours de Grande Randonnée. Un itinéraire hors-circuits, où la gourde se remplit dans des fontaines Wallace, les refuges arborent cinq étoiles et les haltes sont des lieux culturels branchés.
Deux types de réaction quand vous annoncez que vous partez randonner autour de Paris durant plusieurs jours. D’un côté, ceux qui trouvent ça suffisamment décalé que pour applaudir la dimension insolite. De l’autre, ceux qui soulignent avec plus ou moins de tact qu’il y a sûrement des endroits plus ressourçants pour marcher que le périph’ et ses gaz d’échappement. Daniel Ramey, président du Comité départemental de la randonnée pédestre de Paris à l’origine du tracé, est pourtant formel: «Dans les cinq ans, le GR75 sera plus célèbre que le GR20! Certes, le sentier corse est l’un des plus emblématiques et des plus beaux. Mais il exige une certaine condition physique et un trajet jusque là-bas. Le GR parisien est accessible à tous, quel que soit son niveau de forme, et en métro.»
Un GR à notre portée? On signe! Récit d’une journaliste habitant Paris depuis plus de dix ans…
JOUR 1: La Villette – Bercy
«Vous en connaissez d’autres, des GR qui passent par un sous-marin et traversent un hippodrome?», nous avait interrogé Daniel Ramey. Le navire en question se trouve à côté du point de départ officiel de la randonnée, dans le parc de La Villette. Entre la Cité des Sciences, la Philharmonie de Jean Nouvel ou l’étonnante expo-expérience gonflable Pop Air (à voir jusqu’au 21 août), le premier kilomètre de marche pose le cadre: on ne connaît pas non plus d’autres GR avec une telle densité culturelle en bord de sentier.
A la sortie de cette vaste étendue d’herbe et de pavés, nous suivons les stickers rouge et blanc, entre boulevard et klaxons. Les grincheux auraient-ils vu juste? Le dépaysant parc de la Butte-du-Chapeau-Rouge dissipe nos doutes avec ses palmiers, ses bananiers et sa vue sur la ville. Il n’est que l’un des 75 espaces verts que traverse ou longe la boucle. Autre élément récurrent du parcours: les infrastructures liées aux jeux Olympiques.
Le GR75 est né de la volonté politique d’inclure un projet pouvant profiter à la pratique sportive des Parisiens, dans le dossier de candidature de Paris 2024. Vers la Porte des Lilas, la piscine Georges- Vallerey – qui a accueilli les compétitions de natation lors des J.O. de 1924 – arbore fièrement ses cinq anneaux. On croisera encore plusieurs de ces installations séculaires et de celles qui feront le tour des télés du monde entier dans deux ans.
Après un passage de saut-de-mouton de part et d’autre du périph’ (une des rares incursions extramuros), s’installe rapidement une ambiance «village» du côté de Charonne. Entre l’église de la scène finale des Tontons flingueurs et un square fleuri qui rappelle les années 30, on a l’impression de remonter le temps. Sensation renforcée par la première «Villa» du parcours, comprenez une allée privée bordée de maisons et de plantations qui vous fait vous sentir partout sauf à Paris. C’est l’heure, aussi, du premier passage sur la Petite Ceinture, anciennes voies de chemin de fer reconverties et offertes, portion par portion, aux promeneurs. Un autre type de pas de côté dans l’agitation de la ville.
Après la Porte Dorée et son intéressant Musée de l’immigration, se dévoile le lac Daumesnil, en bordure du bois de Vincennes. Fanions tendus dans les arbres pour des fêtes d’anniversaire loin des appartements exigus, courageux rameurs qui canotent entre les canards, temple bouddhiste: on a beau connaître le parc, il fait toujours son petit effet.
Plus loin, Bercy Beaucoup, toute nouvelle friche estivale et festive, tombe à pic pour l’apéro, avec son improbable localisation dans une portion bétonnée et un rien monotone, avec une vue sur le bâtiment emblématique du ministère des Finances.
Refuge du soir: A Bercy, où se concentrent des chambres de chaînes (Pullman, Ibis, Adagio…), choisissez votre standing. Si vous n’avez pas peur d’allonger le parcours de quelques centaines de mètres, optez pour une nuit sur le fleuve, dans le flottant OFF Paris Seine.
JOUR 2: Bercy – Molitor
Ce deuxième tronçon commence dans les vignes. Une mini-portion, certes, mais au cœur de l’apaisant parc de Bercy à côté d’une cheminée de brique qui témoigne du passé viticole du lieu. Depuis la passerelle qui enjambe la Seine, on aperçoit les quatre «livres» que symbolisent les tours de la Bibliothèque nationale de France. Avant que n’apparaissent les tours des Olympiades, dans un quartier porté par la communauté asiatique, un petit crochet mène dans une de ces ruelles qui semblent appartenir à une autre dimension, flanquées de petites maisons et de plantations colorées.
Surprise encore dans le parc Kellermann: vaste, il ne se cache pourtant pas sur le plan, mais peu de Parisiens le connaissent. Tout comme beaucoup ignorent le potentiel de la Cité universitaire un peu plus loin. Point de chute d’étudiants internationaux, cette jolie étendue de verdure est parsemée de «maisons» associées à des pays, d’imposants bâtiments dont les codes architecturaux rappellent la filiation avec une région.
Un autre morceau de Petite Ceinture plus tard, après une halte pour observer les jardins ouvriers célébrant une occupation partagée de l’espace, on prend de la hauteur au parc André Citroën. Dans la nacelle du ballon ascensionnel, à 150 mètres du sol, les grands classiques de la ville se devinent au loin. Après un passage sous les fenêtres de France Télévisions et de nombreux médias, de l’autre côté de la Seine, apparaît le Parc des Princes où se disputera une partie de la compétition de football de la prochaine olympiade.
Refuge du soir: Molitor, la mythique piscine de la fin des années 20 dont l’immense bassin extérieur est désormais entouré par des chambres, est pile sur le tracé. Incontournable! Le lieu fut tour à tour théâtre de la sortie du Bikini, squat et désormais hôtel 5-étoiles. Franchissez le seuil, même si vous n’y séjournez pas, pour admirer les anciennes cabines métamorphosées par des artistes urbains. Longueurs ou trempette, massage spécial marcheur et cocktail sur le rooftop: difficile d’imaginer meilleure fin de journée.
JOUR 3: Molitor – Parc Martin Luther King
C’est la journée du végétal dans tous ses états. Après avoir longé la terre battue de Roland-Garros, entrée de jeu coupée au cordeau avec les taupières du parc qui borde les serres d’Auteuil et les œuvres de verre et d’acier abritant de nombreuses espèces botaniques plus ou moins exotiques. Puis, l’une des expériences les plus déroutantes du parcours: la traversée de l’hippodrome d’Auteuil. Dit comme cela, ça sonne «amusant», sans plus. Mais un hippodrome, c’est immense et quasiment désert en dehors des compétitions. A côté des obstacles, en coupant les vastes pelouses où cavalent les champions, on imagine les courses se déroulant sous nous semelles, avec cette délicieuse impression d’être là où peu de gens ont l’occasion de se tenir dans une vie.
Ensuite, les verts se multiplient. L’uniforme gazon fait place aux essences du bois de Boulogne. En se baladant durant des jours dans ce Paris des contours et des marges, ce qui frappe notamment, c’est cette sensation de prendre des distances avec le rêve d’Haussmann, ses moulures et sa rationalisation. En pénétrant dans le bois, la notice du topoguide rappelle pourtant que c’est le baron qui a planté cet espace vert. On pense à l’incontournable préfet sur le bac de Chalet des Iles qui rejoint le restaurant traditionnel installé sur une île du lac artificiel.
Tout est sinueux et, après la contemplation d’une sculpture de racines, à fleur d’eau, une trouée sur la droite dévoile la tour Eiffel. Comme pour rappeler aux distraits que la ville est proche, et avec elle, ses opportunités comme l’expo Hantaï, actuellement à la Fondation Vuitton posée dans le bois.
A Porte Maillot, le capharnaüm reprend ses droits, mais pas pour longtemps. La promenade Bernard Lafay longe des kilomètres d’immeubles de l’ouest de la ville. Comme une longue succession de petits jardins et squares, un ruban de mobilité douce avant l’explosion végétale du parc André Citroën qui clôt la journée.
Refuge du soir: C’est à quelques pas du parc que la marque Tribe a posé sa première antenne européenne (avant d’essaimer). Chambres arty, espaces de vie pour travailleurs ou touristes, et superbe cour végétale, le tout dans le bouillonnant quartier des Batignolles.
JOUR 4: Parc Martin Luther King – La Villette
Soyons honnête: garder le meilleur pour la fin n’était pas dans le cahier des charges. L’étape Nord est celle qu’on redoutait un peu, ses portes étant plus habituées des colonnes de faits divers que des guides touristiques. Plutôt colline du crack que monts et merveilles. La réalité? Surprenante, une fois de plus. Car c’est aussi l’étape de l’écoquartier Clichy-Batignolles, de l’énigme architecturale qu’est le Tribunal de Grande Instance dessiné par Renzo Piano ou encore du méconnu cimetière des Batignolles, où repose notamment Verlaine.
Le dynamisme culturel et social du XVIIIe arrondissement s’aperçoit dans de nombreux petits détails et se matérialise en beauté à La REcyclerie, halte parfaite pour le lunch avec sa ferme urbaine, sa cantine colorée qui surplombe une portion de rails abandonnée et ses initiatives durables inspirantes.
Sur les derniers kilomètres, se confirme l’impression qui nous guette depuis les premières foulées: sur ce parcours, les «récompenses» ne sont jamais loin et les contrastes démultiplient le charme de certains lieux. Un mail, paisible et arboré, prend des allures d’oasis méditative à la sortie d’une forêt de grues. Et un immeuble aux balcons en arc-en-ciel se savoure comme un bonbon au milieu d’une artère au cachet relatif. Loin des circuits de visite classique, on sent souvent le décalage avec la vision fantasmée de la ville.
Alors que bien sûr, c’était Paris tout le long. Paris telle qu’elle se vit et se construit, avec ses irréductibles villages, ses logements ouvriers qui ont autant marqué l’architecture de la ville que les immeubles cossus, ses lieux de fête convoités qui poussent dans le béton de coins délaissés, sa résilience – et ses flagrants loupés –, la culture à chaque coin de rue et les Bikinis qui fleurissent dans les squares au premier rayon de soleil. Il suffisait de prendre le temps de marcher, de se débarrasser de contraintes utilitaristes de déplacement, pour qu’elle apparaisse.
Nos tronçons préférés
Pour goûter l’expérience le temps d’une petite ou grande balade, voici 3 portions qui sortent du lot, de métro à métro.
Terre battue et gazons. De Porte de Saint-Cloud à Porte Maillot: stade(s) mythique(s), serres d’Auteuil, l’incroyable expérience de l’hippodrome désert et le bucolique bois de Boulogne (avec la Fondation Vuitton).
Paris est un village. De Porte de Montreuil à Porte Dorée. Multiples visages d’un Paris résidentiel, tantôt populaire, tantôt bourgeois, hype ou bucolique. Avec un passage sur la Petite Ceinture et une possibilité de prolonger par une balade dans le bois de Vincennes.
Tour du monde. De Porte d’Ivry à Cité universitaire. Un tronçon qui démarre dans le «Chinatown» de Choisy et se termine entouré de bâtiments inspirés de l’architecture du monde entier, avec une halte verte dans le méconnu parc Kellermann.
En pratique
Le guide Indispensable, bien sûr: Le tour de Paris à pied – GR 75, qui vient d’être réédité.
Depuis Bruxelles Arrivé à la Gare du Nord, vous pouvez prendre le métro pour rejoindre La Porte de La Villette ou remonter la rue de la Chapelle à pied et commencer le parcours plus ou moins à hauteur du métro Marx Dormoy.
Marcher à Paris Envie d’aller (encore) plus loin? Le comité de la Randonnée Pédestre d’Ile-de-France organise des dizaines de sorties chaque année. Parmi elles, une iconique rando culturelle au thème changeant: la Panamée, qui réunit des centaines de marcheurs chaque troisième jeudi du mois. rando-paris.org
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