Ode à la masturbation: la virtuosité vient avec la pratique

© Naomi Kolsteren

Les ouvrages sur le sexe ne manquent pas. Comment, combien de fois, où et avec qui. On est face à un tsunami de conseils. Mais sur l’onanisme féminin, ou autrement dit le sexe en solo, rien ou presque. Il est grand temps de réparer cette injustice.

« Si la masturbation était une discipline olympique, je gagnerais des médailles » nous dit dans un éclat de rire Roos (39) . « Normal, je la pratique plusieurs fois par semaine depuis mes 12 ans. Je connais mon corps par coeur et je sais ce qu’il aime et comment le faire réagir. Du coup, lorsque, l’année dernière, j’ai commencé à prendre la pilule, je me suis tout de suite rendu compte qu’il y avait quelque chose de changé. Il y avait moins d’envie, mais surtout beaucoup plus de difficulté à atteindre l’orgasme. Avant, il n’était pas rare que je mette 10 minutes à me remettre d’un orgasme. Là, j’atteignais à peine le soupir. Lorsque j’ai raconté ça à ma gynécologue, elle m’a dit que je me sentais peut-être moins bien dans mon corps et m’a demandé si ma relation avec mon conjoint était toujours au beau fixe. Elle partait du principe que je n’atteignais l’orgasme qu’en faisant l’amour. Alors, oui, cela arrive, mais je dois tout de même reconnaître que 80% de mes orgasmes, je ne les dois qu’à moi-même. Elle était vraiment surprise. Du fait, mais aussi de ma franchise. Et ça en 2017…. »

Pourtant, nous pratiquons les plaisirs solitaires. Sauf qu’on n’aime pas beaucoup en parler. « Il n’y a rien de plus normal que de se masturber » dit l’urologue Mels van Driel dans son livre Met de hand (avec la main). Le tabou n’en est pas moins omniprésent, et ce aussi bien chez les hommes que chez les femmes. Ce qui n’est pas une bonne chose tant nous somme encore nombreux à croire que c’est quelque chose de sale ou de gênant.

Dieu interdit tout

« Dans nos sociétés occidentales, la masturbation a toujours été une source de tracas et de confusion » écrit encore Rik van Lunsen, professeur en sexologie. Il y a bien eu des moments où ce n’était plus un tabou comme en Grèce Antique, mais c’est plus l’exception que la règle.

Tout cela est la faute des religions, car aucune n’est véritablement enthousiaste sur le sujet. Un pêché pour les catholiques, pas casher pour les juifs puisqu’on dilapide le sperme et chez les taoïstes cela perturbait le yin et le yang. Même chez les bouddhistes ce n’est pas une pratique convenable. Chez les musulmans, les avis divergent. Il arrive que cela soit permis si cela permet d’éviter la fornication.

On notera tout de même, au passage, que tout ceci ne concerne que la masturbation masculine. Sa forme féminine n’existerait tout simplement pas.

Pourtant, malgré les positions de la religion catholique, on ne se formalisait guère dans nos contrées sur la masturbation jusqu’en 1700. Ce n’est qu’à partir de cette période et la parution du livre « onania » que les médecins et les psychologues vont s’ériger contre la masturbation. Samuel Tissot dira même en 1758 que s’y adonner est pire qu’un suicide, car cela fait péricliter les forces, la mémoire et même la raison. Selon lui, cela donnerait mal à la tête, la tuberculose et des enfants difformes. Ses idées furent largement reprises à travers l’Europe, mais aussi par des personnalités comme Kant. Ces inepties vont tout de même perdurer jusque dans les années 1950.

Durant toute cette période, on oublia, là encore, le désir féminin. Se masturber était même un signe d’hystérie chez les femmes. Pour les soulager, les médecins stimulaient eux même le clitoris de leurs patientes. Vu la pénibilité de la tâche, un médecin, Joseph Mortimer Granville, inventa l’un des premiers modèles de vibromasseur.

Il faudra attendre la révolution sexuelle et les vagues féministes pour que la masturbation féminine soit vue comme une saine expression de son moi sexuel. Les années 80 et des femmes comme Betty Dodson vont faire que la masturbation sera enfin perçue comme une source de plaisir par les femmes. Si les avancées sont là, le chemin vers l’acceptation reste long puisqu’une récente étude démontre que 20% des jeunes en première médecine, aussi bien filles que garçons, éprouvent de la gêne après s’être masturbés.

Faire du cheval, ça aide

À l’âge de 25 ans, 96% des hommes se seraient déjà masturbés, contre 83% des femmes. Ce léger retard s’expliquerait par des signes moins visibles du plaisir. Un jeune homme avec une érection matinale se demande très vite ce qu’il doit faire avec « ça ». Noor, 46 ans, se rappelle s’être éveillée au plaisir en faisant du cheval. « Je me suis rendu compte que j’aimais le frottement avec la selle et j’ai par la suite développé ma recherche du plaisir. Très longtemps, je me suis sentie coupable de ce que je considérais comme des habitudes salaces. Jusqu’à ce que je me rende dans une réunion upperdare il y a quelques années. On y parlait ouvertement de masturbation et on en riait beaucoup. Je n’étais plus la seule. J’ai acheté deux vibromasseurs. Un achat que je n’ai jamais regretté. »

Les médias sociaux ne pouvaient rester à la traine. L’un des pionniers est How to Make Me Come, une page Tumblr. Car les jeunes filles et les femmes ont besoin d’infos de base et l’application OMGYes se propose d’aider. Sur base d’études scientifiques, elle montre de façon explicite, didactique et même interactive les rouages du plaisir féminin. Et ils sont multiples, car pas une femme ne le fait d’une manière identique.

Avec un doigt juste au bon endroit, en se caressant tout le corps, avec ou sans « jouet », avec le pommeau de douche ou un coussin, tout un dimanche après-midi ou « vite fait, bien fait ». « J’en connais même une qui fait ça lorsqu’elle est coincée dans les bouchons » dit Roos. « Je crois que les hommes sont moins créatifs ». Bert, 45 ans, ne peut que lui donner raison. « C’est toujours un peu la même chose. Hop hop hop et voilà. »

Si chacune de femmes éprouve du plaisir de façon différente, il est bon de s’entraîner et de chercher de nouvelles sources de plaisir. Prendre plaisir à la masturbation dépend fort de ce qui se passe dans notre tête. Elle est indissociable des fantasmes. Et il n’y a pas que les films pornos pour donner des idées. Lorsqu’on avance dans la vie, notre catalogue de souvenirs potentiellement érotiques dans lequel on peut puiser s’enrichit.

Lorsqu’on pense porno, on l’associe directement à des films. Or on n’a pourtant pas toujours besoin d’un écran. Liza, 32 ans, préfère même les livres  » on peut les amener partout ».

« Il ne faut pas juger ses fantasmes » dit encore Van Lunsen. « Des fantasmes excitants, mais jugés comme pas bien ne sont pas si mauvais. Aucun fantasme n’est anormal. Le fait d’en faire une réalité est par contre un autre problème. Nous avons tous notre jardin secret de luxures et ce qui s’y passe ne regarde que nous. Nous pouvons diriger notre propre film, sans limites ni jugement. »

Excellent contre le hoquet tenace

An orgasm a day keeps the doctor away, disait Mae West. Un peu exagéré tout de même, bien que la masturbation ait de nombreux effets bénéfiques.

Par exemple, réduire les crampes durant les règles et le mal de tête. Cela permet aussi de se détendre, de trouver plus facilement le sommeil ou encore de mettre de bonne humeur. Ha oui, cela permettrait aussi de se débarrasser d’un hoquet tenace.

Pas que quand on est célibataire

« Découvrir son corps par la masturbation est une bonne chose, mais ce serait restrictif de ne le voir que comme une préparation pour mieux s’entendre avec son partenaire sexuel. La masturbation est peut-être aussi une manière de s’aimer soi-même » dit Mels van Driel. « Bien sûr, c’est formidable de pouvoir partager une sexualité épanouie avec un partenaire, mais il est plus probable de trouver en vous-même votre meilleur coup. »

Le vibromasseur, ce rival

Ce qui peut rendre le conjoint jaloux. « Mon ex trouvait que c’était une forme de tromperie » dit Roos. « Comme si c’était le seul qui pouvait me donner du plaisir. Il a jeté mon vibromasseur à la poubelle. Le plus triste, c’est qu’avec lui je n’avais presque jamais d’orgasme, alors que seule oui. « 

Les membres d’un couple ne savent souvent pas l’un de l’autre s’ils pratiquent la masturbation. Une étude montre que celle-ci n’a aucune influence sur la fréquence des rapports. Pour Liza, le sexe et la masturbation sont deux choses différentes. « Le sexe est plus une question de peau à peau et de se donner du plaisir mutuellement. La masturbation donne un plaisir plus explosif, mais c’est normal puisque tout ‘l’exercice’ est de se donner du plaisir. Ceci dit, j’aime autant l’un que l’autre. »

En couple ou célibataire, ce qu’il faut retenir de la masturbation c’est qu’il n’y a pas de mal à s’amuser et découvrir de nouveaux chemins vers le plaisir. C’est positif d’être à l’aise avec son corps. C’est même une des choses les plus aimantes que l’on peut faire pour soi-même.

« Et vu que le nombre de célibataires ne cesse de croître, la masturbation risque de rentrer dans un âge d’or », estime Mels van Driel.

Nathalie Le Blanc/ Trad ML

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