Eloge du slow living ou ralentir pour vivre mieux

Le slow living, cette invitation à profiter de la vie au lieu de lui courir après, tout le monde admet que c’est séduisant, plus que jamais dans un climat anxiogène. Mais par où commencer ? Décodage avec Carl Honoré, leader du mouvement et auteur à succès.

Tout a démarré avec la slow food, née à la fin des années 80 sous l’impulsion d’un groupe d’amis gastronomes, outrés qu’un McDo puisse imposer sa malbouffe sur la place d’Espagne, à Rome. Derrière cet engagement passionné pour la bonne chère, se révèle bientôt une philosophie du plaisir qui s’étend largement au-delà des arts de la table, pour devenir un Mouvement avec majuscule, souhaitant redonner du sens à nos activités, refuser la standardisation galopante des goûts et, surtout, la dictature de l’horloge qui nous pousse à constamment cavaler. Ce credo de la tranquillité, une part croissante de nos contemporains y adhère de tout coeur, mais ne l’applique pourtant que du bout des lèvres ; la faute au culte de la performance d’une société coincée en avance rapide. Reste alors une question : si time is money, quel est le prix de notre santé, de nos journées ?

Carl Honoré
Carl Honoré© DR

Journaliste vivant au coeur de la frénésie londonienne, Carl Honoré a décidé de réduire la voilure le jour où il s’est réjoui d’avoir déniché des  » histoires d’une minute » à lire à son fils lors du coucher, réalisant soudain l’absurdité de raboter un rituel fondamental pour le bénéfice de quelques secondes. Après avoir drastiquement redéfini ses priorités, il rédige en 2005 le manifeste Eloge de la lenteur (Poche Marabout), un best-seller traduit en trente langues, qui le propulse pape et porte-parole du phénomène, presque malgré lui. « Il est gratifiant qu’une idée très personnelle ait été adoptée par des millions de gens et devienne si globale, reconnaît-il. D’un autre côté, je n’ai jamais cherché les projecteurs et d’ailleurs je ne représente que moi. Mais je ne m’en plains pas, je peux participer à un débat important et aider des gens, avec un impact bien plus grand que lorsque j’étais seulement journaliste. »

Ce speed addict repenti est pourtant resté un mec normal – il habite toujours Londres, commet des excès de vitesse quand il est en retard, fréquente assidûment Twitter et Facebook, et pratique le squash et le hockey sur glace, deux des sports les plus rapides du monde. Pas un intégriste du ralenti donc, mais un adepte du tempo giusto. « La lenteur ne représente pas un but en soi. Il existe différents rythmes, explique-t-il, parce que chaque moment et chaque personne sont différents. Le « temps juste » s’applique à tout : notre façon de manger, travailler ou faire l’amour. Il faut trouver le bon tempo. » Reste à savoir quand imprimer cet adagio pour donner corps à cette révolution douce, alors que notre quotidien se résume trop souvent à une course effrénée. « Notre culture repose sur l’accélération, déplore Carl Honoré, tellement que nous sommes arrivés à un point d’inflexion de l’histoire et aux limites de ce que l’être humain peut supporter. » S’il n’y a qu’une urgence, c’est celle de modifier notre rapport à la vitesse, et l’on y arrivera peut-être grâce à cette tendance à décélérer, qui s’invite désormais dans de nombreux domaines, du slow tourisme à la slow science, revendiquant le droit de chercher et d’échouer, aux antipodes du dogme « publish or perish », qui signifie approximativement « trouve ou crève ». « Maintenant, tout est devenu slow, c’est même un argument marketing. Pour détecter le slow-washing, il suffit de s’autoriser quelques instants pour se poser les bonnes questions. Comme en slow food, « Quel goût ça a ? D’où ça vient ? », plutôt que d’engloutir ce que l’on nous sert. Dans un sens, cette récupération, c’est une bonne nouvelle : si les publicitaires s’en emparent, ça veut dire que le sujet préoccupe le public. »

Eloge du slow living ou ralentir pour vivre mieux
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L’engouement actuel s’étendra-t-il suffisamment pour s’avérer significatif, alors que tout va de plus en plus vite ? « De nos jours, les tentations sont plus nombreuses et plus fortes qu’auparavant, reconnaît Carl Honoré, mais l’appétit de lenteur n’en est que plus grand. Il y a cinquante ans, le sujet était réservé aux hippies et aux cultures alternatives, bref à une minorité. Aujourd’hui, tout le monde est concerné, se dit débordé, fatigué, stressé, du PDG à la mère au foyer. » Il est donc plus que temps de dégager quelques pistes concrètes pour se reconcentrer sur l’essentiel en détachant les yeux du chronomètre, et en se rappelant que « quand on ne fait que passer d’une tâche à l’autre, on ne vit pas son existence, on la traverse en courant ».

3 OBSTACLES À SURMONTER SELON CARL HONORÉ

Eloge du slow living ou ralentir pour vivre mieux
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– Le tabou social et culturel. La lenteur reste péjorative, synonyme de stupidité, ça nous paralyse. Il faut absolument distinguer la bonne et la mauvaise lenteur.

– Nos esprits saturés. Toujours préoccupés, toujours distraits, on oublie de se poser les bonnes questions. Suis-je heureux ? Et ma femme, mes enfants ? Les politiciens font-ils du bon boulot ?

– Oui, la vitesse est fun et sexy. Mais on peut parfois renoncer à cette soif d’adrénaline pour trouver d’autres sources de plaisir.

À LA MAISON

ON OSE LE OFF

Recommandation d’une évidence aussi plate que nos écrans : débrancher notre attirail technologique. « Chaque gadget a un bouton OFF, que plus personne ne semble utiliser, remarque Carl Honoré. Passer du temps online, c’est génial, mais pas 24 heures sur 24. Ça déconcentre, ça fatigue et n’offre qu’une expérience superficielle du monde – et après des heures passées sur leur smartphone ou devant la TV, certains prétendent encore manquer de temps. Or, chacun dispose de vingt-quatre heures, la clé est de savoir en profiter. Je peux délaisser les réseaux sociaux pour aller voir ma grand-mère ou emmener mes gosses au parc. Personne ne se dit, sur son lit de mort, « J’aurais aimé passer plus de temps sur Twitter ». »

ENTRE NOUS

« On ne prend plus le temps d’écouter les gens, d’être réellement présent auprès d’eux », regrette l’initiateur du slow living. En famille, on veillera à s’accorder des moments hors de la frénésie ambiante. Et on arrête de tout planifier à l’excès pour laisser aux enfants le temps de ne rien faire – un ado a parfois besoin de glander. Pionnier de l’éducation lente, Célestin Freinet disait :  » Ce n’est pas en pressant sur les salades qu’elles vont pousser plus vite. »

Aux fourneaux, on retrouve le plaisir de mitonner des produits de qualité, ensemble si possible, et de savourer ses prouesses à table, sans contrainte de timing. Et une fois les gosses couchés, on s’adonne à une séance de slow sex et on oublie les outrances du porno et les câlins en vitesse.

AU BOULOT

ON TAILLE DANS L’AGENDA

Exercice pratique selon Carl Honoré : « Regarder son agenda, établir une liste, de l’entrée la plus importante à la plus négligeable, et tailler en partant du bas, en se demandant « Qu’est-ce qui compte vraiment ? Qu’est-ce qui me paraîtra encore significatif dans cinq ans ? » Certaines personnes ont tellement peur du temps libre qu’elles remplissent leurs semaines en acceptant toutes les propositions. Apprenez à dire non et impliquez-vous vraiment dans un nombre plus réduit d’activités. Cela vous permettra aussi d’incorporer un loisir slow, en guise de vaccin contre le virus de l’urgence : le yoga, la méditation, la lecture, le dessin ; une occupation lente par nature, pour recharger ses batteries et recalibrer son esprit. »

LESS IS MORE

« L’économie se détruit elle-même et se retrouve constamment au bord de la crise, le système lui-même ne peut plus se supporter et il est en train de s’en rendre compte. En décembre dernier, j’ai lu un article dont la conclusion était « Be fast, be slow, be smart », et il était publié par The Economist, pas Acupuncture Magazine » plaisante l’expert, soulignant la nécessité de retrouver créativité et productivité, en démarrant avec quelques idées pourtant pas révolutionnaires : outre l’allègement du planning, simplifier son travail, éviter le multitasking et le pilotage automatique, déjeuner avec ses collègues plutôt que d’avaler un sandwich devant son écran. Que du bon sens. Et tant qu’on y est, pourquoi ne pas penser à un mode de transport alternatif pour aller bosser ?

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TEMPS LIBRE

VACANCES, J’OUBLIE VRAIMENT TOUT

A l’approche de l’été, on se rappelle que s’entasser dans des charters pour passer cinq jours top chrono sur la plage bondée d’un resort sans âme, ce n’est pas vraiment des vacances. Le slow travel ou slow tourisme propose de se mettre au vert au gré d’une véritable respiration, de prendre du long temps pour pleinement apprécier quelques instants de douceur et d’authenticité.

Il paraît qu’une croisière en pénichette sur le Canal du Midi apporte une satisfaction tout autre que celle de frimer auprès des copains en instagrammant un palmier. En panne de destination ? Le site du Réseau international des villes du bien vivre, www.cittaslow.org

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© BEES COOP

CONSO

COURTS CIRCUITS ET LONGUE DURÉE

Un quotidien maîtrisé passe par une consommation raisonnée. Ainsi, le shopping online permet, on le reconnaît, de faire ses courses en un temps record et d’esquiver les innombrables tentations. Dans les circuits alternatifs, les options locales et durables ne manquent pas – La ruche qui dit oui, efarmz, Agricovert… Dans le même ordre d’idées, on salue l’ouverture de Bees Coop, enthousiasmant supermarché collaboratif, qui implique ses clients dans le projet à raison de trois heures toutes les quatre semaines (Bees-coop.be).

Eloge du slow living ou ralentir pour vivre mieux
© site Bien fait

La flemme de cuisiner ? Une simple recherche sur le Net vous dressera des listes de restos affiliés au mouvement, tout comme l’appli Slow Food Planet, gratuite sur Android et iOS. Et si la thématique alimentaire vous passionne, rendez-vous à la Journée de rencontres du RABAD (réseau des acteurs bruxellois pour l’alimentation durable), ce 13 avril, à Bruxelles (www.rabad.be).

Enfin, si l’on ne détaillera pas les multiples initiatives, de la slow cosmétique (lire par ailleurs) au slow design, on a envie de mentionner le site Bien Fait, son principe « Acheter moins, acheter mieux » et sa sélection d’articles pour la maison, souvent garantis à vie (www.bienfaitshop.com).

EFFET DE MODE  » Le marché de la mode réalise enfin que les consommateurs délaissent les pièces jetables pour les vêtements bien confectionnés, se félicite l’auteur d’Eloge de la lenteur. La fast fashion existera toujours, mais il y a de la place pour un autre modèle. » De plus en plus de griffes prêtent ainsi une attention particulière aux matériaux et à la production des pièces, pour revenir à une pratique apaisée. Une slow couture qui fait débat jusque dans la « haute », et certainement lors de la démission de Raf Simons chez Dior, attribuée aux cadences inhumaines auxquelles se succèdent les collections – une pensée pour le précurseur Azzedine Alaïa, et son choix de ne défiler que lorsqu’il s’estime  » prêt ». Chez nous, à petite échelle et sans nécessairement se réclamer de la mouvance slow, des créateurs ont choisi d’évoluer à leur propre rythme, à l’instar d’Isabelle Baines, Jean-Paul Knott ou Valérie Berckmans.

À CULTIVER

– Antidote radical à la TV poubelle ou à la pression des vidéos s’enchaînant à l’infini sur YouTube ou Netflix, la slow TV fut un phénomène de société en Norvège – pays qui, désolé de rabâcher les vieux clichés scandinaves, truste en permanence le top des pays les plus heureux du globe. Des millions de téléspectateurs ont donc suivi la « téléscargot » du service public, des heures de plans fixes d’un feu ouvert ou d’un train roulant de Bergen à Oslo, avec en point culminant la diffusion de Hurtigruten Minute by Minute, 134 heures d’un ferry longeant les fjords, dont le pic d’audience enregistra 3,2 millions de spectateurs, soit plus de la moitié de la population norvégienne. La plupart de ces vidéos sont librement accessibles sur le Net, avis aux amateurs. Les autres n’auront qu’à se rabattre sur un bon vieux film de Terrence Malick, ou, pour rester dans le sujet, le docu L’urgence de ralentir de Philippe Borrel (visible en intégralité sur Vimeo), réflexion sur les principaux enjeux planétaires par des rebelles qui vivent à contretemps.

– Côté expo, le Slow Art Day a justement lieu ce samedi 9 avril à Bozar. L’idée ? Dépasser les dix-sept secondes qu’un visiteur passe en moyenne devant une oeuvre d’art en s’attardant sur les oeuvres de Daniel Buren, armé d’un cahier de croquis et d’un plan, pour « observer, dessiner, réfléchir, rêver et partager vos sentiments » (www.bozar.be).

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– Autre phénomène, le slow journalism propose un fonctionnement participatif, des enquêtes fouillées et de longs sujets, avec nouvelles formes de médias, comme le mook 24 h 01 ou le magazine Médor qui défient l’hégémonie du zapping. Une résistance soutenue par Carl, forcément  » très content de l’arrivée de ces slow media. Tout simplement parce que l’information ne peut se satisfaire de 140 caractères ».

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