Eugenia Ramírez Miori: Le tango comme personne

Un film, La cantante de Tango, un disque, des concerts et des leçons de tango pour Eugenia Ramírez Miori. Ecoutez sa voix et battre son coeur.

Elle chante le tango comme personne. Elle n’avait pourtant jamais imaginé qu’un jour elle oserait. Et si elle chante, c’est parce que Diego Martinez Vignatti le lui a demandé, pour les besoins de son film, La cantante de Tango. Rôle principal : Eugenia Ramírez Miori, muse inspiratrice : la même, pour vous servir, passionnément.

Elle joue comme personne. Depuis qu’elle a 6 ans, elle sait ce qu’elle veut : être comédienne. Un très bon prof de théâtre à l’école, « j’étais amoureuse de ce cours », il n’y a qu’Eugenia pour dire ce genre de choses. Puis un conseil, qu’il lui donne quand elle a 12 ans : « Ne suivez plus de leçons de théâtre, développez votre personnalité. Et après seulement, vous irez au conservatoire. » Elle obéit religieusement, tâte du dessin, de la danse, de l’écriture, grandit et s’inscrit à 17 ans au Conservatorio Nacional de Arte Dramatico de Buenos Aires, Argentine. Un soir de 1993, en première année, un « je pars, j’ai cours de tango » lancé par un garçon de sa classe sonne à son oreille de manière tellement exotique qu’elle le suit, arrive dans un endroit « un peu glauque », on l’invite, elle s’exécute, conclusion du maître : « tu danses déjà. » Elle est de celles qui ont appris le tango quand il n’était pas à la mode, avec de très vieux messieurs élégants et peu bavards. Elle est aussi de celles, si rares, qui ont choisi de transmettre leur(s) savoir(s) en enseignant seule, elle sera l’homme et la femme, elle rit, « Avant cela aurait été… », elle ne trouve pas le mot en français, dit « une herejia » et choisit de le traduire par « blasphème ».

« Sentir que l’univers est trop vaste. »


Elle danse le tango comme personne. Comme un langage universel qu’elle parlera d’abord, à défaut du français, quand viendra le temps de l’exil choisi. Elle a rencontré Diego Martinez Vignatti revenu en Argentine après ses études de cinéma à l’Insas à Bruxelles. Il y tourne Nosotros, un documentaire sur les habitants de Buenos Aires et leur culture, un film « qui fait honneur à nos ancêtres, au tango, cette chose complexe et magnifique », Eugenia est de l’aventure. Et du voyage retour, la faute à l’amour. La voilà en Belgique, on est en 2002, elle a décidé d’« être heureuse, ici », mais qui voudrait d’une comédienne qui parle espagnol ? Elle se met à enseigner le tango, comme là-bas, mais aux amis puis aux amis d’amis puis dans son école, qu’elle fonde en 2003 et appelle Nosotros Tango club, à leur image. Diego, lui, a écrit un scénario rien que pour elle, où elle serait chanteuse de tango et connaîtrait la douleur et l’exil, il l’a appelé La cantante de Tango, il leur faudra des années pour monter ce projet. Alors, entretemps, il ronge son frein et tourne La Marea, son premier long métrage de fiction, un vrai film d’auteur puissant et instinctif, radical comme l’est cet homme « intranquille ». Avec Eugenia dans le rôle principal.

Aujourd’hui, La cantante de Tango est sur les écrans. Diego en parle comme personne, Eugenia y chante, y joue, y danse et y porte des robes de Tim Van Steenbergen comme elle seule. La bande originale du film vit même sa propre vie en version cd, avec la voix d’Eugenia qu’elle a travaillée, avec intensité, depuis longtemps déjà – elle aime la perfection. Elle dit qu’elle a « changé d’axe » : « Cela fait dix-huit ans que je travaille dans le tango. Grâce au chant, c’est comme si j’avais commencé hier. Il faut des choses comme ça, pour avoir envie, pour sentir que l’univers est trop vaste et qu’on ne va jamais le parcourir assez… »
Il y a une chanson qu’Eugenia préfère entre toutes, Malena – c’est un prénom, c’est joli, c’est celui qu’ils ont choisi pour leur fillette de 3 ans. C’est aussi l’histoire d’une femme qui « chante le tango avec une voix d’ombre » et « tient sa peine du bandonéon ». Elle n’ose pas encore l’interpréter sur scène, « pas prête », « trop magnifique ». En attendant, elle prend à bras le corps « les tangos un peu oubliés, restés là au fond des tiroirs » et les joyeux – il y en a peu mais elle aime « trop fêter la vie, la danse, la musique » pour ne pas partager ça. Eugenia, comme personne.

Anne-Françoise Moyson

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