Cate Blanchett, femme d’action, sur tous les fronts
A 47 ans, le visage du parfum Si de Giorgio Armani est monté pour la première fois sur une scène de Broadway. L’actrice oscarisée est aussi une femme engagée auprès du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Rencontre en coulisses avec une amoureuse de la vie.
C’est ce qui s’appelle avoir de la suite dans les idées. Pas juste par ambition personnelle, non, ce projet c’est d’abord une histoire de troupe, de couple un peu aussi, puisque le texte de The Present, glaçant d’actualité, c’est son mari Andrew Upton qui l’a signé. Avec comme point de départ le premier jet de trois cents pages d’une pièce longtemps inconnue d’Anton Tchekhov transposée dans une Russie post-perestroïka déjà gangrenée par la montée en puissance des oligarques. Bien sûr, c’est elle que le public vient voir, même si la star a vite fait de laisser place sur scène à un pur talent de comédienne.
La mécanique de jeu entre tous ces acteurs plus épatants les uns que les autres est parfaitement huilée, c’est eux d’ailleurs qu’elle voulait mettre en lumière sur la scène mythique de l’Ethel Barrymore Theatre, à Broadway. Mission accomplie.
La veille de notre rencontre dans l’un de ces gratte-ciel tellement new-yorkais qui surplombe Central Park, elle a enchaîné deux représentations dans la même journée, elle jouera encore le soir même et n’en laisse pourtant rien paraître.
L’accueil est chaleureux, la parole engagée. Même quand elle enfile son costume d’égérie – cela fait quatre ans maintenant qu’elle est le visage de Si, le parfum signature de Giorgio Armani -, Cate Blanchett n’est pas là pour perdre ce temps qui lui est si précieux à faire de la figuration. Cette tribune qui s’offre à elle, l’Australienne entend bien se l’adjuger pour aborder ce qui lui tient à coeur, en tant que femme, mère et ambassadrice de l’ONU auprès des réfugiés. Démonstration.
C’est la première fois que vous vous retrouvez sur une scène de théâtre de Broadway. Vous en rêviez depuis longtemps, n’est-ce pas ?
C’est l’aboutissement d’un travail de longue haleine. Andrew (NDLR : Andrew Upton, son mari) et moi avons dirigé ensemble la Sydney Theatre Company, pendant plus de cinq ans. C’était déjà notre ambition alors de faire découvrir le travail de la troupe à l’international. Nous avions eu l’occasion de tourner en Europe et même aux Etats-Unis mais Broadway, c’est une autre histoire. Car pour jouer ici, il faut accepter de rester à New York entre trois et six mois, ce qui n’est pas facile à mettre en place lorsque vous avez comme nous quatre enfants. Mais là, nous y sommes ! Ce qui m’excite le plus, c’est de mettre en lumière le travail d’acteurs et de techniciens australiens qui n’étaient jamais venus ici.
En quoi Broadway est différent d’autres grandes scènes dans le monde ?
Les gens ici sont très engagés : ils aiment le théâtre, ils voient beaucoup de choses et ils répondent vraiment au texte, à la langue. Je ne m’y attendais pas, d’ailleurs. C’est très excitant, évidemment. Surtout lorsque vous montez une pièce comme celle-ci, qui parle de la Russie d’aujourd’hui. Dans le contexte politique actuel en plus…
Je suppose que lorsque vous avez pris la décision de vous installer aux Etats-Unis pour plusieurs mois, vous n’imaginiez pas que Donald Trump deviendrait président. Et vous voilà aux premières loges…
C’est en quelque sorte un privilège horrifique d’être à New York en ce moment (NDLR : juste après la signature de la première version du » muslim ban « , interdisant l’entrée sur le territoire US aux ressortissants de certains pays, dits musulmans). Même lorsque je rentre du théâtre à minuit passé, je ne peux pas m’empêcher d’allumer la télévision ! Ce qui se passe ici tous les jours est tout simplement moralement répréhensible. Les gens qui souffrent et vont continuer à souffrir suite à ces décrets sont les plus marginalisés. 65 millions de réfugiés sont éparpillés partout dans le monde. C’est un problème qu’il faut résoudre sur le plan international par la coopération, sûrement pas par l’antagonisme et le nationalisme.
Avez-vous participé à la Marche des Femmes ?
Je jouais le 21 janvier donc je n’ai pas pu me rendre à Washington. Mais il y a eu un rassemblement sur Broadway et toute la troupe y était. Le droit des femmes à choisir leur destin ne fait de tort à personne, au contraire de tout ce que prônent les suprémacistes blancs. Cela dépasse le simple clivage politique. J’ai des amis qui ne votent pas comme moi mais cela ne nous empêche pas de partager le même sens moral. Le discours ouvertement raciste, sexiste, misogyne que l’on entend aujourd’hui n’a pas sa place dans une société civilisée et cela ne nous mènera nulle part. L’administration américaine actuelle ne fait qu’offrir une plate-forme à tous ceux qui veulent propager la haine et des concepts moraux répugnants. Et elle n’est malheureusement pas la seule à surfer sur cette tendance.
Les femmes doivent donc être une fois de plus prêtes à se battre pour défendre leurs droits ?
Se battre n’est jamais la solution. Je préfère parler d’argumentation, de débat raisonné. Il faut rouvrir la conversation. Ce qui est horrifiant avec cette administration, c’est qu’aucune discussion n’est possible, ils la refusent. Ils n’ont pas de décence. Et c’est ce genre d’attitude qui amène à la dictature. Mais nous devons aller de l’avant, rester positifs et confiants, certains de nos valeurs et de nos droits. Et demander des comptes.
Considérez-vous que c’est du devoir des artistes de s’engager ?
Il n’y a rien qui m’intéresse moins que la politique pour la politique. En revanche, je crois en la justice et l’égalité. Normalement d’ailleurs, ces notions devraient se retrouver au centre des préoccupations des élus. Mon rôle d’ambassadrice de l’ONU au service des réfugiés est totalement apolitique. Il s’agit ici de protéger les droits des gens les plus vulnérables. Ce qui est le plus interpellant, c’est cette linguistique qui fait qu’un réfugié devient un migrant et puis, tout à coup, un terroriste. Et ces trois mots qui n’ont aucun point commun finissent par s’appliquer à une même personne. Mais la chose la plus perturbante pour moi, c’est ce qui arrive aux enfants. En tant que parent, cela me brise le coeur quand je découvre des femmes séparées de leurs maris, dont les enfants ont des impacts de bombes dans le corps. Dans une situation comme celle-là, moi aussi je chercherais à m’enfuir ! Et n’importe quel Américain, Australien ou Européen ferait de même.
On ne sort pas intact de telles rencontres, j’imagine…
Evidemment. Vous n’êtes plus simplement assis devant votre poste de télévision mais face à des personnes qui vous racontent leur histoire, vous parlent de leurs espoirs, de leurs rêves et vous vous rendez compte que les chances qu’elles atteignent un jour l’un de leurs objectifs s’amenuisent de plus en plus. C’est une leçon d’humilité. Je viens d’un pays dont l’histoire s’est construite sur l’accueil de réfugiés. Et pourtant, aujourd’hui, nous les refoulons sur des îles off-shore. Je ne reconnais plus l’Australie dans laquelle j’ai grandi. A l’école, nous célébrions notre multiculturalité, nous étions un pays tolérant, généreux. Heureusement, des millions de gens sont encore prêts à se lever, à protéger les plus faibles. Ils sont le vrai coeur battant de notre nation.
Selon vous, oser prendre des risques, c’est primordial ?
Bien sûr ! Dès que quelque chose vaut la peine d’être tenté, c’est toujours une plongée dans l’inconnu avec tout ce que cela sous-entend. C’est excitant et terrifiant à la fois. L’adoption de notre petite fille fait partie de ces expériences : nous en avions parlé longtemps avant, et un jour, c’est devenu possible pour nous. C’est un merveilleux privilège. L’amour, l’aventure, le rire, c’est facile d’y céder, même si on reste toujours un peu suspendu avant de dire oui.
Avez-vous toujours du mal à dire non ?
Plus que jamais : il y a tellement de choses à faire qui en valent la peine ! Avec quatre enfants et un mari, mon temps n’est pas toujours le mien. J’essaye malgré tout de dire oui à un maximum de choses, sans quoi je ne vois pas l’intérêt d’être en vie.
Pour ce projet théâtral, justement, vous avez travaillé avec votre mari. Etait-ce plus compliqué ?
Andrew aime les acteurs et il n’est jamais pointilleux sur ce qu’il écrit et sur ce que les comédiens en font sur scène. Les répétitions sont des lieux d’échange. Les idées que chacun amène sont là pour évoluer et notre vécu personnel peut s’y retrouver : par exemple, la scène où j’enlève mon soutien-gorge en plein lunch, c’est une chose que faisait ma belle-mère pendant les déjeuners du dimanche, pour signifier qu’elle en avait assez ! Mais nous ne ramenons jamais les tensions des répétitions à la maison.
Qu’est-ce qui vous plaît dans le fait d’être sur scène plutôt qu’en tournage ?
J’ai fait mes études dans une école dramatique qui préparait au théâtre, je n’avais jamais imaginé alors faire des films. La scène reste mon premier amour, parce que vous avez une interaction directe avec votre public. Jouer cette pièce, en plus pour un public américain et maintenant, change le sens de notre travail et cela implique aussi qu’il évolue au fil des représentations. Sur un plateau de cinéma, même si j’adore cela, vous n’avez aucune idée de la manière dont votre jeu sera perçu plus tard.
Gardez-vous en vous des traces de vos rôles passés, au moins pour construire de nouveaux personnages ? Ou préférez-vous faire chaque fois table rase ?
Je n’ai pas de méthode préétbalie : le texte, les partenaires et le metteur en scène ou le réalisateur vont déterminer le travail. Mais c’est vrai que si vous jouez de grands personnages avec beaucoup d’aura, cela rejaillit sur vous. C’est pareil quand vous lisez un roman ou un article fouillé : votre cerveau en reste imprégné. Un livre comme A la recherche du temps perdu vous marque à jamais. C’est pareil avec les rôles. Ce n’est pas que les personnages vous habitent pour toujours – je ne me noie pas dedans – mais ils décuplent vos capacités.
Est-ce vrai qu’après chaque tournage, vous vous dites que ce sera le dernier ?
Toujours ! Faire un film, cela demande tellement d’efforts : si j’accepte un job, je m’investis totalement. Il n’y a rien de plus luxueux que d’avoir du temps pour soi en suffisance. Rien que de pouvoir contempler l’horizon en se disant » je n’ai rien de prévu cette semaine « , c’est fantastique !
Il vous arrive de jouer deux fois sur la journée, d’être six heures sur scène. Comment tenez-vous le coup ?
Je suis disciplinée : c’est le seul moyen de parvenir à faire tout ce qui doit être fait dans le temps imparti. J’ai parfois le sentiment que ma vie ressemble à des manoeuvres militaires tellement tout est minuté ! Maintenant, quand je n’arrive pas à tout accomplir, je ne suis pas du genre à m’autoflageller. Le fait d’être un personnage public génère en soi beaucoup de tensions. Ce qui me fait le plus de bien, c’est de réussir à être engagée dans l’instant. Et pour une fois, de ne pas avoir de plan.
Total respect
Pas de doute, c’est comme cela que s’écrivent les légendes. Elle aime raconter qu’avec son premier cachet, elle s’est offert un tailleur-pantalon – « en solde » – Giorgio Armani. On imagine bien aussi qu’elle était le genre de fille du Maestro, de celles qui ont la grâce de ne pas devoir être ultra féminines pour être belles. Tout naturellement, ils se sont trouvés. Elle n’oublie pas leur rencontre « lors du premier défilé Armani Privé, rappelle-t-elle. Je devais porter une de ses créations. Il s’est approché et s’est mis à genoux pour ajuster l’ourlet de ma robe. Il a su me mettre à l’aise avec élégance car j’étais très nerveuse. Mon respect pour lui n’a fait que croître depuis. » Le créateur italien, qui suit de près son travail, ne manque jamais de lui envoyer des lettres – manuscrites – d’encouragement. « Quand il m’a demandé de devenir le visage de Si, c’était dans la continuité de la relation de travail qui s’était tissée entre nous, poursuit-elle. Il m’habillait sur tapis rouge mais il a aussi signé les costumes d’une pièce que j’ai mise en scène à Sydney. J’aime sa manière de mettre au jour la dualité des femmes. C’est dans des vêtements initialement conçus pour les hommes que je me sens le mieux. » C’est pourtant vêtue d’une robe Haute Couture qu’elle apparaît dans la campagne de l’édition collector Si Rose Signature. Dans son rôle d’égérie, Cate Blanchett n’a pas démérité : le parfum dans toutes ses déclinaisons caracole dans le top 10 des meilleures ventes en Europe.
Si Rose Signature, 95,80 euros les 50 ml (en exclusivité chez Planet Parfum et Galeria Inno).
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