Metoo, nouvelle vague féministe?

Dans les rues de Londres, la mobilisation générale contre le harcèlement, symboliquement tout juste un an après l'investiture de Donald Trump à la Maison-Blanche. © GETTY IMAGES

Il aura suffi de cent signatures au bas d’une tribune pour que flambe un débat opposant la liberté  » d’être importunées  » et celle de vivre dans un monde où le harcèlement n’est plus banalisé. Lorsqu’on croit que la tempête Weinstein va s s’apaiser, elle repart de plus belle. Que retiendra l’histoire du #metoo ?

Quand elle observe l’actualité, France Chabod, responsable des fonds spécialisés du Centre des Archives du Féminisme, pense aux manifestations pour le droit à l’avortement ou aux mouvements suffragistes qui  » firent du bruit pour se faire entendre « . Avec l’intuition que ce qui arrive actuellement fera date, cette actrice de la préservation de la mémoire collective s’interroge sur la conservation de ce mouvement :  » Depuis quelques années, nous sommes en partenariat avec la Bibliothèque nationale de France pour collecter des sites d’associations féministes, des blogs… qui bien sûr parlent de tout cela. Mais l’archivage ne concerne pas les réseaux sociaux. C’est une question que l’on doit se poser, car il s’y joue des choses importantes avec les #metoo et #balancetonporc. Il faudrait garder trace de ces échanges.  »

Un certain nombre d’indicateurs laissent penser que le #metoo est un moment important de l’histoire des féminismes.

La sociologue Marion Charpenel, spécialisée du genre et des féminismes, confirme :  » Il se passe quelque chose, c’est certain. Cela fait longtemps qu’il n’y a pas eu un tel coup de projecteur sur ces revendications. Dans l’historiographie féministe, il est commun de parler de vagues, pour signifier qu’à des pics d’activité militante succèdent des moments plus calmes. Cette métaphore est discutable mais si par commodité nous l’utilisons, nous pouvons dire que nous sommes probablement en haut d’une vague, dans le sens où on observe un bouillonnement, un intérêt de l’opinion publique pour ces questions… et des collectifs qui se créent. Mais les projections sont difficiles. Peut-être que ce n’est que le début de quelque chose et que le #metoo sera considéré comme un élément déclencheur de mobilisations encore plus grandes. Un certain nombre d’indicateurs laissent penser que c’est un moment important de l’histoire des féminismes.  »

Lors de la dernière cérémonie des Golden Globes, une brochette d'actrices en noir, pour exprimer leur colère.
Lors de la dernière cérémonie des Golden Globes, une brochette d’actrices en noir, pour exprimer leur colère.© PHOTOS : GETTY IMAGES

Mais, comme d’autres vagues, le mouvement se confronte à des brise-lames. Cette fois, l’opposition est venue de là où on ne l’attendait pas vraiment. Cent femmes ont revendiqué un  » droit à être importunées  » dans un argumentaire, publié dans Le Monde, associant prise de parole de victimes et victimisation de toutes leurs semblables. Anne Morelli, historienne et professeur à l’ULB, faisait partie des signataires, aux côtés notamment de l’actrice Brigitte Lahaie et de l’auteure Catherine Millet.  » Quand on m’a proposé d’y participer, j’ai poussé un soupir de soulagement face à quelque chose d’enfin différent. Je n’ai pas envie d’adhérer aux revendications des milliardaires américaines. Je trouve leur position ridicule lorsqu’elles vont en noir aux Golden Globes pour dire qu’elles ne sont pas des objets… alors qu’elles arborent des décolletés plongeants et des tenues qui, évidemment, sont des appels à la séduction.  » Avant toute chose, la Belge tient à rappeler :  » Je suis une féministe historique. A l’ULB, j’ai été parmi celles qui ont créé un groupe d’études féministes, ainsi que la revue féministe Sextant. Et je donne depuis trente ans un cours qui aborde l’aliénation des femmes, la domination masculine et le patriarcat. Mais j’en ai ras le bol du politiquement correct.  » On se rappelle également que Catherine Deneuve, qui s’est aussi associée à cette tribune, avant de préciser certains points, faisait partie des  » 343 salopes  » du manifeste pour l’avortement de 1971. Et que la réalisatrice Maïwenn (Polisse, Mon Roi…) a dans un troisième temps, après les Golden Globes et la carte blanche dans Le Monde, tenté d’appaiser les deux camps en appelant à  » rester unies « , un point capital pas toujours valorisé dans les différentes prises de parole.

Catherine Deneuve, Maïwenn et Anne Morelli... Trois femmes, trois visions engagées à leur manière.
Catherine Deneuve, Maïwenn et Anne Morelli… Trois femmes, trois visions engagées à leur manière.© GETTY IMAGES / BELGA IMAGE

Divergences internes

 » Des divisons, il y en a toujours eu, comme dans tous les mouvements sociaux, rappelle Marion Charpenel. C’est d’autant plus visible dans ceux liés au féminisme car ils essayent de fonctionner de manière horizontale. Chacune et chacun peut participer à l’élaboration du projet politique. C’est positif. Cela renforce la dynamique. Mais là, quand on regarde la tribune et ce type de réactions, j’ai plutôt l’impression que c’est de l’antiféminisme qui réagit au féminisme. L’engagement passé de certaines signataires peut surprendre, mais quand l’on observe des trajectoires de militant(e)s sur la durée, quelle que soit la cause, on a parfois des surprises.  » France Chabod, du Centre des Archives du Féminisme, voit également, dans la rhétorique du fameux papier et les débats qui suivirent sa publication,  » des arguments qui n’ont rien de nouveau, qui ont déjà été utilisés pour s’opposer à d’autres combats auparavant « .

J’ai l’impression qu’on est dans un retour de balancier et que le libertinage que nous avions acquis de haute lutte est remis en question.

Certains évoquent également un conflit de générations… Anne Morelli se dit agacée par la  » question de l’âge qui sous-entend que les vieilles Blanches n’ont plus le droit de parler  » . Mais elle rappelle l’héritage des combats passés :  » Je suis de la génération 68 et ce que je vois, c’est le retour du bâton, le backlash. On criminalise la drague, qui est bien souvent pourtant le fait des femmes aussi. J’ai l’impression qu’on est dans un retour de balancier et que le libertinage que nous avions acquis de haute lutte est remis en question. Cela m’inquiète quand on dit qu’il faudra accepter par écrit au préalable les relations sexuelles. Ça, ça s’appelle le mariage et c’est une institution patriarcale que ma génération a combattue et que je n’entends pas voir revenir par le biais des puritains, qu’ils soient religieux ou non.  »

Gary Oldman et Ewan McGregor, solidaires du mouvement.
Gary Oldman et Ewan McGregor, solidaires du mouvement.© PHOTOS: GETTY IMAGES

Mai 68 au placard ?

Le fossé entre les générations, les points d’incompréhension entre celles qui se sont notamment battues pour le droit à l’avortement et à la contraception et leurs héritières n’ont toutefois pas attendu le #metoo pour se manifester. On voit ainsi d’un côté des filles qui pointent les effets secondaires de contraceptifs hormonaux et demandent des solutions qu’elles estiment plus respectueuses de leur corps, et de l’autre, des militantes ayant connu l’époque des avortements clandestins qui s’offusquent et s’inquiètent pour le droit au  » libertinage « , Graal ramené des croisades d’hier auquel ces questionnements porteraient atteinte.  » Effectivement, il y a des points de divergence, affirme Clémentine Gallot, cocréatrice de la newsletter féministe Quoi de meuf. Par exemple, quand on a réclamé le mariage pour tous, alors qu’après mai 68 on ne voulait plus de cette institution, ou maintenant la PMA ( NDLR : procréation médicalement assistée) pour toutes, quand à l’époque on ne voulait plus de l’assignation systématique à la maternité. Il y a un retour de manivelle contre le courant #metoo, qui vient de la deuxième vague/génération du féminisme, car celle-ci ne prend souvent pas en compte l’intersectionnalité, c’est-à-dire les minorités raciales et LGBT, et en plus, hiérarchise les luttes –  » Les frotteurs du métro ce n’est pas si grave.  » Parmi les jeunes féministes, on se bat pour légitimer tous ces combats « , résume-t-elle en expliquant que l’adoption de l’écriture inclusive lui semble tout aussi importante que la dénonciation du harcèlement puisqu’il n’y a pas de  » petits  » combats.

On ne peut plus tant dire

 » L’intersectionnalité est une pierre d’achoppement, c’est vrai, mais il ne faut pas caricaturer, insiste Marion Charpenel. L’articulation entre les différents rapports sociaux est présente dès les mouvements des années 70 avec des courants qui pensaient ensemble féminisme et lutte des classes. Aujourd’hui, ça s’est complexifié avec le combat contre le racisme, l’homophobie… Mais on ne peut pas dire qu’il est complètement nouveau de penser les systèmes de dominations ensemble.  » Ce qui a radicalement changé, d’après la chercheuse, c’est le climat général dans lequel s’inscrit cette déferlante #metoo. Ceux qui opposent un paradoxal  » on ne peut plus rien dire  » à cette prise de parole sans précédent pointent un élément fondamental : beaucoup de choses ne peuvent effectivement plus être dites impunément.

 » Les mouvements féministes ont modifié les conditions de possibilité d’expression d’une parole antiféministe ou ouvertement sexiste. Désormais, il est plus difficile, qu’il y a quarante ans, de tenir des propos ouvertement misogynes « , note la sociologue qui cite entre autres Tex, présentateur de l’émission Les Z’amours, licencié à la suite d’une blague sur la violence domestique.  » La pensée antiféministe s’est adaptée et va trouver des voies plus subtiles pour remettre en cause les avancées féministes  » (lire par ailleurs).

Un des stratagèmes utilisés est de faire croire que l’égalité est atteinte, que les sexes sont égaux et que donc tous les nouveaux droits qui seraient acquis seraient des privilèges accordés aux filles, en défaveur des garçons. Il y a un renversement. Tout ce qu’obtiendraient les féministes serait donc au détriment des hommes qui sont castrés, empêchés de séduire et soumis à une crise de la masculinité… La tribune du Monde est un bon exemple de ces rhétoriques.  » Cette fameuse  » haine des hommes  » semble également avoir trouvé un écho sur l’une des dernières Unes de l’hebdomadaire Marianne arborant comme titre :  » Libérons la parole des hommes (accusés, planqués, gênés, muets…)  »

En robes noires (avec ou sans décolleté), sur le tapis rouge des Golden Globes, des actrices et personnalités féministes ont lancé le hashtag et le mouvement Time’s up, voulant, par ces mots, acter la fin d’une ère. Si débats et combats sont loin d’être finis et qu’il est impossible de savoir ce que retiendront les  » livres  » d’histoire d’une époque qui aura peut-être abandonné le papier, tous les indicateurs tendent à dire que quelque chose a commencé.

« Ne pas confondre galanterie et attitude sexiste »

Attitude chevaleresque, précautions extrêmes à l’égard des femmes, galanterie ; et si les petites attentions cachaient un grand mensonge ? Benoit Dardenne, directeur du service de psychologie sociale de l’Université de Liège, a mené des études sur ce qu’il nomme le  » sexisme positif  » et pointe, derrière certains gestes qui peuvent sembler attentionnés, une volonté d’asseoir une domination. Comment fonctionne le sexisme  » positif  » ?

Si l’on observe les rapports humains, il y a extrêmement souvent une inégalité : un dominant et un dominé. Et entre hommes et femmes, il y a un groupe dominant : les hommes. Les sociologues se sont rendu compte que si un groupe dominant veut conserver son statut supérieur, il n’est pas une bonne idée de vouloir à tout prix être agressif vis-à-vis du groupe dominé et qu’il est beaucoup plus efficace d’alterner le bâton et la carotte. Des chercheurs américains ont développé l’idée que le sexisme avait deux facettes : un sexisme manifeste, hostile (qui est différent du harcèlement), et un sexisme plus subtil,  » bienveillant « , que je qualifie de sexisme  » positif  » et qui consiste à mettre en avant une série de qualités qu’auraient stéréotypiquement les femmes. Quelles sont les conséquences de cette attitude ?

Nous avons reproduit une situation où des femmes simulent un entretien d’embauche. Lors de cet entretien, elles doivent réaliser un test, une performance. Nous nous sommes montrés soit neutres au niveau sexisme, soit hostiles, et dans une troisième configuration, nous leur avons dit :  » On sait que c’est plus difficile pour vous, on sait que les femmes sont parfois moins compétitives dans l’entreprise, on vous aidera…  » Nous avons pu constater que les performances des femmes confrontées à ce sexisme positif étaient inférieures à celles des deux autres conditions. Qu’en est-il, au-delà de ces contextes d’embauche ?

Des recherches menées en Allemagne ont démontré que les femmes qui étaient soumises de manière répétée à ce type de sexisme voulaient beaucoup moins que d’autres se battre pour leurs droits, revendiquer une égalité salariale ; elles se retrouvaient à soutenir le système dans lequel la femme est dominée. Certains disent que c’est de la chevalerie, de la galanterie ; non, c’est un comportement qui présuppose le statut d’infériorité de la femme. Il ne faut pas confondre galanterie et attitude sexiste.

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