Le goût du futur: 9 entrepreneurs belges qui innovent dans le secteur food
Ils osent envisager notre alimentation autrement, à coups d’innovations gustatives souvent inattendues. Rencontre avec ces Belges qui pensent avec pertinence nos assiettes de demain.
1. Amaï le Pain, une bière artisanale brassée pour les hôtels Marriott Bonvoy à partir de leurs résidus de pain
Une bière égale une tartine, dit l’adage populaire. C’est encore plus vrai chez Janine, « la brasserie qui boulange et la boulangerie qui brasse ». Lancé il y a trois ans à Bruxelles, ce projet un peu fou sur papier visait alors à lutter contre le gaspillage alimentaire tout en travaillant en économie circulaire.
« Nous sommes partis d’un constat simple, rappelle Bertrand Delubac, l’un des cofondateurs de ce business familial. Le pain représente environ 20% des déchets alimentaires en Belgique. Nous nous sommes rendus compte que les processus de production du pain et de la bière étaient assez similaires. Et que l’on pouvait aisément recycler des déchets de chacune des activités dans l’autre. C’est ainsi que nous remplaçons 15% du malt utilisé dans nos brassins par du pain dur provenant de notre boulangerie ».
A l’inverse, les drêches – la matière sèche obtenue après filtration lors du brassage – sont aussi récupérées pour la fabrication des pains. Séduit par ce modèle vertueux, le groupe Marriott Bonvoy a poussé la porte de la brasserie il y a quelques mois. « Nous récupérons désormais une partie des restes de pains récoltés dans les différents hôtels du pays et nous produisons une bière unique tout spécialement pour eux qu’ils proposent exclusivité dans leurs établissements, à Bruxelles et dans ses environs ainsi qu’à Anvers », détaille Bertrand Delubac.
Des étiquettes aux cimaises
Si l’envie vous prend de déguster cette bière « circulaire », sachez que le groupe Marriott organise à partir du 27 septembre et jusqu’au 1er décembre dans le lobby de l’hôtel Aloft, à Bruxelles, une expo exceptionnelle du travail de François Delubac aka FDC Drawings qui signe toutes les étiquettes des bières Janine. Il présentera également d’autres exemples de ses créations. Le vernissage a lieu le 27/09 à partir de 18H. L’occasion de découvrir son univers unique tout en savourant un verre d’Amai Le Pain.
Baptisée « Amai Le Pain » – une référence aux deux langues nationales de notre pays – cette bière de type IPA (4% d’alcool) est brassée par Maurane Le Hiress, la compagne de Maxime Delubac qui officie derrière le pétrin. François, le troisième membre de la fratrie, a lui imaginé l’étiquette des canettes comme il le fait pour toutes les bières estampillées Janine. Cette petite dernière, également proposée au fût, offre un goût léger et fruité avec un arôme de fruits tropicaux.
2. Nimavert, fabricant de trempettes, chips, chocolat et gin à partir de grillons et vers de farine
L’un est au départ médecin, l’autre traducteur. Nico Coen en Maarten Debie se sont rencontrés, durant leurs études à Gand, où ils partageaient le même kot. A l’époque, Maarten élevait des vers de terre pour le compost. Un jour, l’idée a germé entre eux de se tourner vers les vers de farine. « On était alors en 2011 et il était illégal de vendre des insectes comme nourriture. Nous nous contentions de faire des expériences, raconte Maarten. Voir ce qui se passait si on en mettait plus dans le bac ou si l’on modifiait l’humidité. » En 2014, la législation a changé et d’autres entrepreneurs ont lancé sur le marché des insectes séchés. « On a cru qu’on avait raté le train, car notre production n’était pas prête, se souvient notre interlocuteur. On n’était pas du tout cuisinier et nos tentatives pour transformer les vers n’étaient pas toujours fructueuses. Il est arrivé qu’on doive ouvrir les fenêtres tellement ça puait! Mais ceux qui s’étaient lancé sur le marché ont vite déchanté car ils n’ont pas réussi à convaincre le public. Les boîtes remplies de grillons ont quitté les rayons. »
Persuadé qu’il ne fallait pas vendre des articles où l’insecte était visible mais transformer celui-ci, le tandem a d’abord développé des croquettes et des raviolis, des articles frais pas évidents à gérer, puis il s’est réorienté. « Aujourd’hui, nous n’élevons plus nos vers et grillons. Les premiers arrivent de Deerlijk et Frasnes-lez-Anvaing où nous avons aussi notre atelier; les seconds d’Espagne et des Pays-Bas. L’élevage coûte cher, nos produits ne sont donc pas vraiment bon marché. »
Désormais, le duo remporte son petit succès avec ses chips, houmous et tapenades à base de grillons, ainsi que du chocolat et un gin faits avec des vers à farine. De leurs mains, ils préparent encore des poudres et pâtes, mises en œuvre chez des sous-traitants, en espérant un jour une plus grande considération de leur travail. « Les instances publiques pourraient plus nous soutenir. Le lobby de la viande est puissant, alors que nous ne sommes pas concurrents. On ne remplacera jamais un bon steak à déguster de temps en temps, mais il n’est pas nécessaire de se ruer sur de la charcuterie de mauvaise qualité. Nos manières de consommer doivent évoluer », conclut Marteen
Les produits sont distribués dans des magasins bio, chez Rob et sur des e-shops. nimavert.myshopify.com
3. Eclo, fournisseur en substrats de champignons premium, depuis Villers-le-Bouillet
Au commencement était Le Champignon de Bruxelles, une ferme urbaine devenue rapidement une force vive dans les domaines de l’alimentation durable et de l’économie circulaire. Et si son duo de tête aurait pu en rester là, dix ans après les débuts de l’aventure, Hadrien Velge, CEO et fondateur de l’entreprise qui répond désormais au nom d’Eclo, n’a pas hésité à voir plus grand.
Et à troquer la capitale pour la Wallonie, où il a inauguré à l’automne dernier son nouvelle usine dédiée exclusivement à la production de substrats de champignons gourmets tels que le shiitake, l’eryngii, ou encore le maitake. Un parti pris gourmand, mais aussi et surtout engagé et innovant. « Non seulement les champignons sont des aliments nutritifs, mais nos substrats font aussi office de solutions écologiques pour une production alimentaire durable. Nous les concevons pour optimiser la culture de champignons tout en utilisant des ressources locales et en minimisant les déchets, ce qui permet de réduire l’empreinte carbone de la production alimentaire et d’encourager des pratiques agricoles circulaires » explique Hadrien Velge. Pour qui « le futur de l’alimentation sera marqué par une transition vers des systèmes plus durables, résilients, et locaux, ainsi qu’un diversification des sources de protéines, avec la montée en puissance des aliments à base de plantes, des champignons, et des produits cultivés en milieu contrôlé ». Sa conviction? « L’innovation jouera un rôle clé pour répondre aux défis de la sécurité alimentaire mondiale tout en réduisant l’impact environnemental. »
4. Osan Bulles, une gamme de boissons gastronomiques pétillantes sans alcool imaginées par le chef étoilé San Degeimbre
Fort du succès des trois premières boissons végétales sans alcool qu’il a lancées fin 2021, San Degeimbre a décidé d’ajouter cette année deux macérations pétillantes à son assortiment. « Ces innovations promettent d’enrichir les moments conviviaux et les apéritifs tout en restant fidèles à l’engagement d’Osan pour le naturel et la très faible teneur en sucre », détaille le chef. Au coeur des deux accords – tagète-mirabelle pour le « blanc » léger, romarin-framboise-poivron pour le « rosé » plus intense -, on retrouve le même procédé maîtrisé qui tire le meilleur parti des plantes et fruits sélectionnés.
Cette expérience gustative étonnante ne cherche jamais à « imiter » le vin tout en accompagnant harmonieusement un repas complet. Les bulles fines et élégantes sont obtenues grâce à une adjonction maîtrisée de CO2. « Elles apportent une sensation agréable en bouche, une subtilité qui accentue le plaisir de dégustation en ajoutant une touche de fraîcheur à chaque gorgée », détaille San Degeimbre. Ces boissons artisanales ont déjà retenu l’attention de sommeliers de nombreux restaurants étoilés. On les trouve chez les bons cavistes ou dans des épiceries fines ainsi que sur l’e-shop de la marque.
5. Those Vegan Cowboys, un producteur de caséine qui permet de créer des fromages savoureux sans exploiter les vaches
A l’origine de ce projet, un constat: « L’industrie laitière a un impact tragique sur l’environnement et le bien-être des animaux mais peu de gens sont prêts à se passer de la tranche de fromage dans leur sandwich. Certes de nombreuses alternatives végétales sont apparues sur le marché ces dernières années, mais elles ne parviennent pas toujours à convaincre les vrais amateurs de fromage », résume Hille van der Kaa, directrice général de Those Vegan Cowboys.
Partant de là, l’entreprise a essayé de comprendre pourquoi le fromage d’origine animale était si savoureux et addictif et a mis en avant le rôle d’une protéine: la caséine. L’idée a donc germer de concevoir une sorte de vache en acier inox qui pourrait prendre le relais de ces bovidés: « Avec leurs quatre estomacs et leurs mamelles, ils transforment l’herbe en lait, que nous utilisons ensuite pour extraire la caséine. En remplaçant la vache par une cuve, nous avons trouvé un moyen de convertir les sucres – à terme, nous voulons passer à l’herbe – en caséine. Cette méthode est de surcroît plus efficace, car elle ne nécessite qu’un cinquième de l’eau et un cinquième des terres agricoles de la production classique. De plus, les émissions de méthane sont beaucoup moins importantes », se félicite la responsable.Actuellement, la société fournit de la caséine à plusieurs producteurs de fromage qui la combinent avec des graisses, animales ou autres, pour fabriquer leurs articles.
Those Vegan Cowboys fabriquent aussi notamment un camembert, une feta et une mozzarella et espèrent entrer avec sur le marché l’année prochaine. Et la directrice d’y voir une véritable révolution pour l’avenir: « La première étape consiste à fabriquer un produit tout aussi savoureux et moins cher, puis l’industrie suivra. Imaginez toutes les terres agricoles qui seraient libérées à long terme. Des pays comme la Belgique pourraient devenir autosuffisants grâce à ce changement.»
Le fromage Westland (connu entre autres pour Old Amsterdam) fonctionne déjà avec la caséine de Those Vegan Cowboys.thosevegancowboys.com
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6. Nomet, des croquettes aux algues comme alternative à celles aux crevettes et fromage
Mona Delagrange n’est pas née loin de la côte, à Bruges. Et d’aussi loin qu’elle s’en souvienne, elle adorait les croquettes aux crevettes… Jusqu’au jour où la scientifique, spécialisée dans le domaine de l’alimentation, a décidé de devenir végétarienne. « J’ai ressenti un énorme manque, avoue-t-elle. Et avec mes connaissances j’ai commencé à chercher une alternative digne de ce nom.»
C’est ainsi qu’est née un jour l’idée de travailler avec des algues: « De toutes les sources de nourriture provenant de la mer, les algues ont l’impact environnemental le plus faible, explique la spécialiste. Elles poussent en mer du Nord et tirent tous leurs nutriments de leur milieu. En outre, elles absorbent le CO2 et contribuent ainsi à assainir le climat. Et puis, il y a l’aspect santé. Les œufs contiennent des nutriments dont l’Européen moyen manque, comme l’iode et les acides gras oméga-3, ceux-ci sont habituellement obtenus grâce au sel iodé et aux poissons d’élevage.»
Malgré leurs vertus, les algues souffrent toutefois d’un problème de reconnaissance dans nos contrées, ce que Mona espère contrer avec Nomet: « Elles sont généralement associées à la cuisine asiatique ou à des marchés de niche. Mais depuis quelques années, cela évolue, même si, pour l’instant, c’est surtout limité au haut de gamme de la gastronomie. En créant une alternative à un véritable classique belge comme la croquette aux crevettes, notre ambition est d’intéresser le grand public.»
Nomet est disponible chez Bio-Planet et dans plusieurs restaurants en Flandre. nomet.be
7. Kiket, une équipe de recherche planchant sur du houmous belge
La cuisine du Moyen-Orient séduit les végétariens grâce à ses houmous et falafels à base de pois chiches, un substitut de viande riche en protéines. Malheureusement, ces légumineuses doivent souvent venir de loin. C’est pour remédier à cette situation qu’est née Kiket, une équipe de recherche visant à optimiser la culture de pois chiches locaux. « Nous examinons quelles variétés peuvent prospérer ici, mais aussi à quelle profondeur il faut semer et à quelle saison récolter, précise Elena Lievens, coordinatrice du projet. Nous observons également les habitudes de consommation des Belges.»
Ces études ont déjà mené, l’année dernière, à la production de bocaux d’houmous noir-jaune-rouge dans certaines implantations Delhaize. Un succès pour Elena qui estime néanmoins qu’il faudra encore du temps pour aller plus loin: « Quand nous prouverons à nos agriculteurs qu’un changement est payant, le pois chiche local pourra contribuer de manière bénéfique à une transition protéique durable. Le houmous belge reviendra bientôt en rayon!»
8. Bonmush, une entreprise qui fabrique du boudin, des saucisses et des alternatives aux salades à tartiner à base de pleurotes
Pharmacienne de formation, Caroline Vercauteren s’est un jour vue confrontée à un dilemme: reprendre ou non la charcuterie de Flandre-Occidentale de ses beaux-parents, elle qui est particulièrement attentive à au monde qu’elle laissera à ses enfants et à l’impact de ce type de secteur sur l’environnement et la santé. Entrepreneuse dans l’âme, elle a dès lors décidé de poursuivre l’aventure familiale Vandromme Vleeswaren NV, active depuis quatre génération, mais en réorientant la production pour atteindre le 100% végétal. Aujourd’hui, sous le nom de Bonmush, l’entreprise d’Ypres fabrique toujours du boudin, des saucisses ou encore des alternatives végés à l’américain (L’imperfect préparé) et aux salades à tartiner, mais à base de pleurotes. La plupart de ces champignons sont cultivés dans l’entreprise sociale De Kromme Boom à Gand. De quoi prouver qu’on peut se passer de viande, en gardant le plaisir des saveurs.
Disponible chez Delhaize et Colruyt, entre autres. bonmush.com
9. Ecopoon, des couverts écologiques et 100 % comestibles
Ils avaient à peine 18 ans quand l’idée de développer un projet «avec du sens» a germé dans leurs esprits. Maxime Vanderheyden et Cyril Ernst se sont rencontrés sur les bancs de HEC à Liège et, devenus associés, les deux amis sont partis, dès la fin de leurs études, d’une feuille blanche pour aboutir au produit final d’une cuillère comestible. Mais pas n’importe laquelle, car les touillettes, glacettes et apérettes d’Ecopoon sont avant tout de vrais biscuits, bons et agréables en bouche. « Le plaisir de manger était pour nous primordial », confie Maxime.
On ne pourra qu’imaginer le challenge de parvenir à mettre au point un processus de fabrication de couverts suffisamment résistants pour pouvoir touiller une boisson chaude et en même temps délicieusement fondants pour remplacer le petit biscuit qui accompagne le café. «On a joué aux apprentis chimistes et on a fait beaucoup d’essais-erreurs dans le garage des grands-parents de Cyril», sourit le jeune entrepreneur, en ajoutant que l’étape la plus complexe aura sans doute été de passer d’un moule à gaufre avec quatre empreintes à des machines à la pression assez forte pour cuire un produit solide.
L’avenir? Il semble prometteur pour Ecopoon qui travaille sur d’autres produits et souhaite continuer son développement entre autres sur le marché de la glace. «On n’avait pas pour vocation à remplacer les couverts en bois ou en inox, mais les premiers ne sont pas toujours agréables en bouche, et les seconds partent souvent à la poubelle ou sont emportés par les usagers dans les lieux collectifs… Et nos produits font office de biscuit. Le deux-en-un peut alors devenir véritablement intéressant.»
Disponibles chez Rob, dans certaines épiceries fines et sur ecopoon.be
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