Plus rien n’échappe à la cornichon-mania. Pour preuve, deux nanobrasseries belges, Bucket Bières and co et Plaisir, se sont associées pour signer Pickle Juice, une sour réalisée à partir des fameux condiments saumurés. Produite à la Brasserie du Borinage, cette bière illustre l’esprit d’expérimentation qui anime aujourd’hui une partie du paysage brassicole. Attention: seules 4500 canettes seront disponibles!
Depuis deux ans, un parfum de hype exhale des bocaux. Dès 2023, de nombreux médias ont annoncé la montée en puissance du cornichon et de son jus en tant que nouveau graal de la food culture. Les chiffres internationaux leur donnent raison : la plateforme de livraison Grubhub a recensé 6,9 millions de commandes en 2024, soit une hausse de près de 90 % en un an. En juillet dernier, pour sa 10e édition, le festival Picklesburgh, à Pittsburgh, s’est offert une audience inédite : 250 000 personnes sur place ont confirmé l’irrésistible magnétisme du petit concombre mariné.
La vague n’a cessé de prendre de l’ampleur : bouquets de cornichons pour la Saint-Valentin, cocktails – notamment le fameux pickle margarita -, vidéos virales sur TikTok, gâteaux d’anniversaire ornés de bougies en forme de pickles – comme celui de Selena Gomez – et même boisson maison telle celle imaginée par Dua Lipa – un mélange de Diet Coke et de jus de cornichon… Les plateformes l’ont bien compris : Pinterest a désigné le pickle comme une des grandes tendances food pour 2025, confirmant son statut d’icône pop de la Gen Z. Ajoutons à cela une charge calorique quasi nulle qui colle parfaitement avec les préoccupations de l’époque, et l’on comprend pourquoi la folie du pickle semble inarrêtable.
Le mois d’août vient lui aussi d’ajouter la touche glamour à cette déferlante acidulée: Pamela Anderson, en collaboration avec Flamingo Estate, a lancé ses Pamela’s Pickles. Une recette familiale revisitée avec aneth, ail, pétales de rose et poivre rose – proposée en bocaux de 24 oz (environ 71 cl) vendus 38 dollars (environ 35 euros) – dont les bénéfices sont intégralement reversés au California Wildlife Center.
T’es sour ou quoi ?
En Belgique, la pickle-mania se décline aujourd’hui sous une forme inattendue : une sour aux cornichons baptisée Pickle Juice. Ce style brassicole en vogue se caractérise par une acidité affirmée, développée grâce à une fermentation menée avec des levures ou des bactéries lactiques. Si l’on en croit les deux compères, la venue au monde de la Pickle Juice ne doit rien à la tendance globale. «Nous n’étions pas vraiment au courant de cette hype», confie Tom Flon (Plaisir). Mais le cornichon était déjà une passion personnelle (ayant eu pour résultat de le fâcher avec son dentiste) : « J’avais tenté une bière au cornichon il y a cinq ans. On avait mis les pots entiers avec le vinaigre… Résultat : un vinaigre imbuvable.»
L’idée est restée. Et lorsque, lors d’un festival namurois dédié aux micro-brasseries – Tom la partage avec Thibault Crépin (le brasseur de Bucket Bières & Co), «j’ai vu des étoiles dans ses yeux», sourit-il. L’alchimie est immédiate : les deux amoureux du cornichon décident de mener un projet éphémère ensemble, animés par la même envie de créer hors des sentiers battus.
Née dans le Namurois à la suite d’un crowdfunding, Bucket – un trio qui fait place à deux autres trentenaires passionnés de jeux de société, Thibault Debehogne et Thomas Wilhelmi – a toujours misé sur une approche ludique : brassins participatifs, bières baptisées par le public, QR codes menant vers des playlists. Leur terrain de jeu ? Des seaux (bucket en anglais) de 30 litres brassés sans tabou, dont ils goûtent ensemble les réussites comme les ratés lors de rendez-vous hebdomadaires du mercredi. Les trouvailles les plus convaincantes finissent en canette, sous forme de gamme éphémère. Et si une recette rencontre un vrai succès, elle peut même rejoindre l’assortiment permanent. De la Big Bang à la Groove Session, en passant par des ovnis comme la Summer Body – une triple pas vraiment calibrée pour la plage – ou la Beurk – un stout alléchant malgré son nom – le collectif aime brouiller les pistes. «On ne gagne pas d’argent, on fait ça pour le plaisir et pour rencontrer les gens», insiste Thibault.
Plaisir, porté par Tom Flon, se distingue quant à lui par un même goût du décalage. Ce traducteur de formation, ancien crémier, plaide pour la légèreté. Soit des bières «toboggan», qui glissent toutes seules, aux recettes inventives : La Classe Américaine, une Juicy IPA boostée au fruit de la passion, ou Photo de Famille, une blonde à la verveine citronnelle.
Cornichon sans compromis
Avec Pickle Juice, l’expérimentation s’est faite méthodique. Les deux brasseurs testent une multitude de recettes, avec estragon, aneth, différentes saumures, plus ou moins de piquant. «Finalement, on a décidé de se recentrer sur le vrai: le cornichon pur», explique Tom. Les 174 pots de cornichons Natura utilisés ont été centrifugés, sans leur jus, avant d’être intégrés à une base sour travaillée avec un houblon américain Cryopop et un gramme de sel par litre.
Le résultat est limpide. «Au nez, on a le cornichon. En bouche, il apparaît dès la première gorgée, puis s’atténue pour laisser revenir la bière houblonnée», décrit Thibaut. À 5,5 %, Pickle Juice se déguste à la façon d’une bière de soif, «légèrement saline, très désaltérante», que les deux complices imaginent servie «avec une planche de fromages, comme une petite touche de sel de céleri qui relève le gras, voire comme ces lamelles de cornichon qui donnent un coup de fouet à un jambon beurre».
Brassée à la Brasserie du Borinage, Pickle Juice reflète aussi un certain esprit joueur qui n’entend pas céder aux codes du marketing. L’étiquette elle-même – elle montre une scène de guerre en forme de vortex opposant de féroces cornichons dans un bocal – est générée par intelligence artificielle et elle s’affiche volontairement imparfaite (c’est-à-dire en conservant les hallucinations de l’IA sans les rectifier) pour confirmer le décalage. Une manière de rappeler que l’expérimentation et le refus de l’esprit de sérieux reste au cœur de la création brassicole. Mais il faudra se montrer rapide : seules 4500 canettes (1500 litres) ont vu le jour. Une édition limitée qui, à l’image du phénomène mondial, risque d’être croquée aussi vite qu’un cornichon sorti du bocal. Pickle Juice, environ 3,50 euros la canette.
En vente chez Dekkera, Beer Planet, Le Comptoir Belge, Le Barboteur, Antidotes, d’ici (Nannine, Wépion, Champion), Craft Beer Market (Namur) Wild Lab (Liège) ou sur www.bucketbieresandco.be