Nos favoris de l’hiver | La fabuleuse histoire… du vin chaud
D’où vient cette douce tradition de mélanger du vin avec des épices et de se tiédir le gosier en refaisant l’année autour d’un brasero ? Voici l’histoire d’un breuvage qui, bien que souvent décrié, n’a jamais capitulé.
Il y a longtemps, très longtemps, à une époque que l’on appelle… Romaine, on aime à la fois guerroyer et festoyer. Mais surtout festoyer. C’est bien connu: les banquets des élites débordent littéralement de nourriture, ce qui a souvent le don de rendre la digestion légèrement fastidieuse. Un Gaviscon et au lit? Que nenni: les cuistots inventent plutôt le vin chaud, qui semble soulager les estomacs et remettre un peu de baume dans les œsophages à l’heure du dessert. On y ajoute des ingrédients comme du miel, des dattes, des noix, du poivre et du laurier, les épices permettant au breuvage d’être conservé plus longtemps sans s’oxyder. Un petit digestif que l’on appelle alors Conditium Paradoxum, ce qui était quand même vachement plus poétique que «vin chaud» – on vit décidément une ère morose.
C’est néanmoins au Moyen Âge que la boisson commence à se rapprocher de celle que l’on connaît aujourd’hui. On voit parfaitement le tableau: sangliers et poulardes, ragoûts épais et cochons grillés garnissent des festins gargantuesques, du moins sur les tablées de la noblesse. Il faut imaginer qu’à l’époque, la nourriture est un véritable marqueur social. Et quand on a la chance de faire partie des privilégiés, on se doit de faire honneur à chaque repas, sous peine d’être accusé de faire «péché de bouche» et se voir sanctionné par les hautes instances. Bref, les nobles se goinfrent, et pour cause: les fameux vins épicés se sont alors démocratisés dans toute l’Europe, et ils coulent à flots au moment où les troubadours, les jongleurs et les acrobates se mettent à s’agiter autour des tables.
Des épices venues de partout
Ingrédients phares de son succès fou? Des épices comme la cannelle et le clou de girofle, qui font soudainement leur apparition dans nos contrées. Lorsqu’elles s’invitent à la recette, elles donnent une personnalité encore plus prononcée à ce liquide qui se veut alors plus sucré et d’autant plus réconfortant. Ici ou là, désormais, on lui donne le nom d’Hypocras, tandis que, bientôt, l’exploration de nouvelles contrées va permettre de marquer une autre étape de son évolution. La cardamome et les agrumes venues d’Asie, par exemple, lui confèrent une touche plus exotique qui plaît beaucoup à ceux qui commencent à y voir un breuvage un brin trop populaire…
La suite de l’histoire se résume en un mot: tradition. Direction l’Europe du Nord et ses hivers rigoureux, où le vin épicé se met à être consommé bien fumant pour se réchauffer le corps, le cœur, les mains et les pieds. La boisson garde son côté festif et ultra-convivial, mais elle perd petit à petit ses soi-disant vertus digestives. C’est même plutôt en préambule d’un copieux repas entre amis que l’on se met à s’en délecter, avant de s’envoyer une robuste assiette de fromage fondu, de pommes de terre ou de fricassées en tous genres. Pour s’en remettre, tant pis, on boira autre chose. Un truc plus sec, plus viril. A ce jeu-là, l’Europe de l’Est, qui succombe tout autant au vin chaud, a plus d’un tour dans son sac.
Jamais sans mon glühwein
Inévitablement, la tradition du vin chaud s’invite sous nos tièdes latitudes, mais comme on souhaite continuer à respecter son aura hivernale, on le réserve à ces bons vieux marchés de Noël qui, depuis le XVIe siècle, se mettent à prendre lentement du galon en Allemagne ou en France… pour s’imposer littéralement partout sur le continent dans les années 1990. Qu’il soit agrémenté de citron ou d’anis, enrichi de rhum ou cuisiné à partir de vin… blanc, l’indémodable glühwein – comme le surnomment les pays germaniques – est synonyme de chaleur humaine et rien d’autre.
Impossible, d’ailleurs, de se promener dans un marché de Noël si l’on ne supporte pas cette ambiance vivifiante où chacun accepte de s’enivrer de la présence de l’autre. Difficile, aussi, de ne pas se laisser envelopper par cet étrange mélange d’odeurs de tartiflette et d’effluves de vin chaud qui se diffuse entre les chalets. Avec des remarques qui sont toujours un peu les mêmes. En vrac, citons d’abord le très enthousiaste «Suivez-moi, je sais où ils servent le meilleur vin chaud du marché!». Ensuite le très moderne «Heu, ils font du vin chaud sans alcool?». Et enfin l’inévitable «Ah non, personnellement, désolé, mais je ne digère pas du tout le vin chaud» – maintenant que vous connaissez son histoire, avouez que c’est un comble.
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