On a demandé à Pierre Marcolini ce qu’il pensait des friandises de la Saint-Nicolas: « Ne me laissez jamais seul avec un paquet de spéculoos »

Pierre Marcolini donne son avis sur les chocolats de Saint-Nicolas - DR/Getty Images
Pierre Marcolini donne son avis sur les chocolats de Saint-Nicolas - DR/Getty Images
Kathleen Wuyard-Jadot
Kathleen Wuyard-Jadot Journaliste

En Belgique, son nom fait l’effet de celui de Willy Wonka, et évoque immédiatement la promesse de gourmandises sucrées. Lesquelles sont également indissociables de la Saint-Nicolas, une fête que Pierre Marcolini chérit, et à l’occasion de laquelle il a accepté de passer à table.

Le plus célèbre des chocolatiers belges l’avoue bien volontiers: son rapport à la Saint-Nicolas est légèrement ambivalent. C’est que pour lui, comme pour ses consoeurs et confrères, « d’un point de vue professionnel, c’est un moment important, tant pour la production que pour la vente ». Mais aussi, pour la créativité: hors de question de se reposer sur ses lauriers et de n’avoir la tête qu’à la fête à l’approche de la venue du grand Saint dans les foyers. « C’est une période où on doit proposer des chocolats consensuels, parce qu’un produit trop extravagant ne fonctionnerait pas, et il s’agit de trouver l’équilibre entre un chocolat de caractère, mais qui est en même temps dans la douceur et la gourmandise » explique Pierre Marcolini.

Pour qui, à titre personnel, le 6 décembre évoque « l’Innovation, où on amenait les enfants pour rencontrer le Saint, un grand personnage imposant et même un peu traumatisant qui posait les questions qui fâchent un peu en demandant aux enfants s’ils avaient été sages ». Et de raconter cette « anecdote horrible » datant du début de sa carrière quand, apprenti âgé de 19 ans, il avait été mandaté par son patron pour revêtir le célèbre costume rouge et doré.

« Ce qui est vraiment horrible, c’est que mon patron m’avait prévenu que quand il me faisait signe, cela voulait dire que j’étais face à de bons clients, et donc je devais donner beaucoup de bonbons à leurs enfants, mais s’il ne me disait rien, c’est qu’il s’agissait de quidams à qui il ne fallait pas distribuer de friandises. J’avais trouvé cette discrimination du bonbon intolérable et injuste, parce que tous les enfants sont égaux »

s’indigne encore Pierre Marcolini.

Qui est aujourd’hui grand-père, mais aussi papa d’une petite fille de 9 ans, et confie avoir envie de revenir à une véritable célébration du 6 décembre. « Aujourd’hui, on nous impose un peu Halloween et d’autres fêtes qui n’appartiennent pas vraiment à notre folklore, mais je trouve ça important de célébrer aussi nos traditions, parce qu’elles font partie de notre histoire et il est important de les préserver ».

D’autant qu’en Belgique, l’histoire de la Saint-Nicolas est intimement liée à tout un menu de friandises ou « gougouilles », selon le coin du royaume d’où vous venez, dont la dégustation fait elle aussi partie de la tradition.

Spéculoos, guimauves, mais aussi mandarines… Que pense donc le grand patron des chocolatiers des délices associés au 6 décembre? Pour en avoir le coeur net, on le lui a demandé.

Les spéculoos

« C’est une signature. Elle est belge, et il faut la revendiquer. On a aujourd’hui des marques industrielles qui cartonnent à l’international, ce qu’on peut déplorer niveau qualité, mais en même temps, ils ouvrent la voie, donc ça peut être intéressant pour nous en tant qu’artisans. Je sais que si je vais au Japon, grâce aux marques industrielles, quand je parle de spéculoos les gens savent à quoi je fais allusion et ils peuvent discerner les différences entre un produit artisanal et un produit de grande consommation, que ce soit au niveau du taux de sucre, des matières premières choisies ou de la qualité des épices ».

« En tant que chocolatier, je trouve le mariage entre spéculoos et chocolat au lait extraordinaire. D’ailleurs, c’est bien simple: ne me laissez jamais seul avec un paquet, parce que je suis capable de le terminer ».

« Je me connais, je suis faible face à la gourmandise, donc quand j’ai envie de spéculoos, je range le paquet le plus loin de moi possible avant de le manger, comme ça je ne dévore pas les autres » avoue le natif de Charleroi.

Les guimauves en chocolat

« Ce qui est magnifique avec la guimauve, c’est qu’il y a deux manières de la déguster. Soit à température ambiante, pour aller chercher la tendresse et l’élasticité mariées au cassant du chocolat noir, ce qui offre un contraste juste magique, soit sortie du frigo, pour aller chercher plus de croquant encore.

Cela fait plus de 12 ans que j’en propose dans mon assortiment, et c’est difficile de dire si la guimauve est blanche ou noire tellement elle est inondée de vanille ».

Les Nic-Nac

« C’est un biscuit aux notes un peu sucrées et beurrées mais pas plus, et au bout de trois, on a déjà la bouche pâteuse. Pour moi, cela sert à créer du volume et à remplir l’assiette de Saint-Nicolas, mais il n’y a pas d’expérience gustative ».

Les sujets en chocolat

« C’est un véritable drame au niveau industriel : ils sont préparés des mois à l’avance avec un chocolat qui sert pour la fête des enfants… en oubliant que 2 millions d’enfants ont travaillé dans des plantations de cacao pour l’obtenir ».

« Je suis désolé de plomber l’ambiance, mais il en va de notre responsabilité durant les fêtes de fin d’année de privilégier des artisans et du chocolat de qualité produit dans des conditions responsables. Le prix le plus juste n’est pas le prix le plus bas, c’est celui du goût, du travail bien fait et d’une justice sociale, et nous le devons à nos enfants ».

« Certes, le chocolat d’artisan est un peu plus cher, mais cela reste des prix accessibles, on n’est pas sur du caviar non plus » pointe celui qui regrette l’époque où les moules étaient incroyablement ouvragés, et où les sujets pouvaient aussi bien représenter le Saint et sa mitre que des cheminées « d’un travail de précision remarquable » ou encore des jouets rétro.

Les bonbons

« Cela n’a pas sa place à la Saint-Nicolas, non, non et non! À un anniversaire d’enfant, pourquoi pas, mais le 6 décembre, c’est non: il y a tellement de belles choses créées par des artisans, que ce soit le massepain cuit typique de Liège ou les petits sabots en guimauve… La Saint-Nicolas est l’occasion de savourer des produits dont on doit être fiers, parce qu’ils font partie de l’histoire de nos régions » affirme Pierre Marcolini, qui confie lui-même avoir mangé « des tonnes » de pommes de terre en massepain petit.

Les pièces en chocolat

« Quelle tristesse de voir à base de quel type de chocolat elles sont confectionnées. C’est dommage, parce que c’est du sucre pur, qui n’a aucune valeur gustative. Je rêverais de les faire de manière artisanale, mais c’est compliqué parce qu’il faut une machine spéciale pour les emballer, et ce type d’équipement coûte une fortune. C’est dommage, parce que je trouve qu’elles font partie de la tradition, mais il faudrait trouver une alternative plus qualitative ».

Les fruits en massepain

« C’est tout l’art de l’imitation. J’en ai fait des milliers et des milliers: qu’est-ce que c’est beau quand c’est bien fait et que le massepain réplique à la perfection les nuances de couleur du fruit et son moucheté, qu’on fait à l’aide d’une réduction de café et d’une brosse à dents. Aujourd’hui, malheureusement, je n’en propose plus parce que la demande est retombée, et le coût de la main d’œuvre ne nous permet plus d’en réaliser à petite échelle, parce que cela demande tellement de temps pour être bien fait ».

« C’est comme les animaux en pâte d’amandes: j’en ai fait tellement que je pense être le plus grand spécialiste de la question. À un moment donné, je me posais même le challenge de les faire les yeux fermés ».

Des cochons, certes, comme le veut la tradition, mais aussi « des familles d’ours, des éléphants et même des phoques » se souvient celui qui assure pouvoir confectionner un personnage en pâte d’amandes « en deux minutes ».

Les guimauves en forme de vierge

« C’est pile le genre de friandise qui ne parle plus à grand monde aujourd’hui. En tant que commerçant, on est toujours prisonnier de l’offre et de la demande, et de nos jours, les signes religieux sont plutôt à écarter dans le monde de la confiserie et de la pâtisserie, pour toutes les raisons qu’on peut comprendre ».

Les clémentines

« Elles ont totalement leur place sur l’assiette de Saint-Nicolas! Je suis fan de ces fruits, et en prime, leur présence rappelle aux enfants qu’à une époque, en manger était un privilège ».

Et Pierre Marcolini de conclure en confiant que ce 6 décembre, sa fille aura droit à une assiette, plutôt qu’à une profusion de friandises, même s’il « ajoute toujours un petit élément en plus ». Et milite pour des choix gustatifs plus affirmés que les chocolats industriels, parce que « la formation du goût et du palais se fait au moment de l’enfance et de l’adolescence, et c’est important d’avoir du chocolat d’artisan, de qualité ».

À bons entendeurs…

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