Pierre Marcolini: « la pâtisserie a été mon refuge »
Il y a trente ans, Pierre Marcolini était sacré champion du monde de la pâtisserie. Ainsi couronné, il ouvrait son premier atelier et sa première boutique à Bruxelles. Depuis, cet ex-enfant solitaire a raflé tous les honneurs. Entre deux voyages, à Tokyo où il présente sa collection Saint-Valentin et à Doha où il entame un partenariat avec Qatar Airways, le porte-drapeau du bean-to-bar a toujours autant d’énergie et d’envies sucrées.
L’école de la dernière chance
La pâtisserie a été mon refuge. C’était d’abord une échappatoire, c’est rapidement devenu ma passion. J’avais vu une émission de la télé scolaire sur le métier de pâtissier et avec les louveteaux, lors d’un camp, on avait été visiter une boulangerie. C’était ça que je voulais faire, au grand désarroi de ma mère qui m’a dit: «Tu choisis un métier facile.» Elle espérait que je fasse une carrière académique. Sans me lancer des fleurs, je ne suis pas trop bête, j’aurais pu le faire. A l’époque, le regard sur l’enseignement technique et professionnel était désastreux, le travail manuel dévalorisé. C’était l’école de la dernière chance, quand vous avez tout raté et où il n’y a que des abrutis. J’ai senti de la déception dans son regard. Alors je me suis donné, je n’ai fait que des grandes distinctions. A la remise des diplômes, j’ai vu ma mère pleurer de bonheur, c’était la première fois.
L’érotisme
On mange aussi avec les oreilles. Qui n’a pas écouté le craquement d’un millefeuille quand avec un couteau on cisèle toutes ces strates? C’est presque une leçon d’érotisme, on se dit que cela va être extraordinaire, gargantuesque, sublime. C’est l’une des plus belles prémices qui soit.
Le respect
Le Japon, c’est une claque d’exigence. On y a ouvert notre première boutique le 5 décembre 2001. J’avais réuni mon équipe et je lui avais dit: «Si on est capable de livrer des chocolats en parfait état quant à la fraîcheur et au goût, alors on a une ouverture sur le monde.» On avait cette ambition de grandir, si on passait ce cap-là… La barre y est haute. Ça a été bouleversant de découvrir ce pays et son exigence, sa précision, son respect pour l’artisanat, pour le client, le service, la politesse à avoir. J’y vais trois fois par an depuis vingt ans et cela reste encore pour moi un mystère.
« J’avais soif de vivre et soif d’exister »
L’absence
L’enfance a parfois une saveur amère. La mienne était plus proche de Zola que de Dumas. J’étais confronté à l’injustice et à l’absence du père. J’ai grandi avec ma mère, à Bruxelles – d’ailleurs si Wikipédia m’entend et me lit, je tiens à préciser que je n’ai pas été élevé par mes grands-parents à Roux, c’est n’importe quoi, je n’ai jamais vu mon père ni ses parents et mon grand-père maternel est mort de la maladie des mineurs quand j’avais 9 ans. Bref, c’était une enfance où les fêtes n’étaient pas au rendez-vous. J’ai quitté le foyer familial à 16 ans. J’avais soif de vivre et soif d’exister.
La débrouille
Le talent ne se mesure pas aux moyens. J’avais 30 ans, c’était en 1995, j’ai participé à la coupe du monde de pâtisserie, avec Marc Debailleul en coach. C’était une équipe de fou, avec Rik de Baere et Gunther Van Essche, j’étais le capitaine, on était une bande de jeunes qui en voulaient, et avec eux désormais, c’est à la vie à la mort. On n’avait pas beaucoup de moyens, en Belgique, on est le pays de la débrouille: avec trois trombones et deux élastiques, on a réussi à construire un Airbus! On avait choisi de travailler sur l’envol, l’idée du beau geste. On a eu un an de travail en amont, un an d’abnégation mais ce concours et cette coupe ont défini mon identité. Cela a été ma rampe de lancement, j’ai ouvert en face de chez Wittamer, mon ancien employeur, sur la façade, il était marqué Pierre Marcolini, chocolatier Bruxelles, champion du monde de pâtisserie en 1995 à Lyon.
L’Italie
Je suis fier de mes origines. Je suis né à Charleroi, ma famille y réside encore, ce sont mes racines, mieux, un ancrage. Quand j’ai envie de me ressourcer, d’être plongé dans l’Italie profonde, ses saveurs, sa cuisine, ses partages, ses amitiés, je me prends une soirée avec mes cousins. Et je retrouve les gnocchis, la polenta, l’odeur de sauce tomate occupée à cuire et recuire.
La chance
Je n’ai pas vu le temps passer. Et j’ai raté l’enfance de mon fils. C’est terrible mais j’étais tellement dans mon entreprise, à essayer de réussir, à enchaîner les heures. Je ne l’ai «récupéré» qu’à ses 16 ans. Il en a 35 aujourd’hui et on se retrouve pour faire ce qu’on appelle des embuscades, des apéros dont on ignore l’heure à laquelle ils se terminent! On part aussi en week-end à deux. Je conseille de passer du temps en tête-à-tête avec ses enfants, c’est extraordinaire. J’ai emmené ma fille à Londres dernièrement, elle a 9 ans, j’essaie de ne pas louper son enfance. J’ai la chance d’avoir une seconde chance.
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