Pourquoi le restaurateur Frédéric Nicolay revoit son Chateau Moderne, à Bruxelles

Frédéric Nicolay change de cap au Chateau Moderne, à Bruxelles - DR
Frédéric Nicolay change de cap au Chateau Moderne, à Bruxelles - DR
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Bar emblématique du centre de Bruxelles, le Chateau Moderne ne désemplit pas. Malgré cela, l’adresse ne dégage pas les marges que l’on pourrait imaginer, symptôme d’un malaise général dans l’Horeca de la capitale. Pour y remédier, Frédéric Nicolay s’apprête à revoir sa copie. Attention, mue inévitable : à l’image de nombreux lieux aujourd’hui, la recherche de la formule juste est devenue une nécessité vitale.

À Bruxelles, le Chateau Moderne a tout de l’adresse emblématique: localisation idéale, fréquentation intensive, programmation musicale soignée et atmosphère survoltée. De l’extérieur, tout va bien, merci. Pourtant, cette apparente réussite cache une réalité plus nuancée. Comme nombre d’acteurs de l’Horeca, Frédéric Nicolay se heurte à la hausse des coûts, à la pression salariale et à la difficulté d’augmenter les marges sans brusquer les clients. Résultat : malgré son succès, l’établissement ne génère pas les bénéfices espérés. Pour y remédier, l’entrepreneur bruxellois a décidé de redessiner son modèle. En plus des houmous et autres burgers, on verra sous peu apparaître une offre de plats belges réconfortants – croquettes de crevettes, tomates-crevettes, dame blanche… – disponibles dans un food comptoir distinctif. Avec, en parallèle, une ouverture vers des recettes d’inspiration mondiale, signées avec des ingrédients produits localement, comme le miso bruxellois Nuu Miso. Un virage qui illustre deux tendances de fond : la nécessité pour les restaurateurs d’augmenter le panier moyen, et le retour en force d’une cuisine rassurante et identitaire.

Le Chateau Moderne donne l’image d’un établissement prospère. Pourquoi avoir ressenti le besoin de repenser le lieu?

C’est vrai que vu de l’extérieur, on pourrait croire que c’est une machine à générer de l’argent. Le lieu est toujours plein, il attire énormément de monde. Mais la réalité est autre. Pour qu’un endroit comme celui-ci fonctionne vraiment, il faut qu’il tourne très fort, sans interruption, afin de pouvoir rémunérer tout le personnel. Ici, un service mobilise entre huit et douze personnes. Cela représente des charges très lourdes. Et quand on regarde ce qu’il reste à la fin, ce n’est pas énorme. C’est toute la difficulté de l’Horeca, un établissement plein donne l’impression qu’il marche bien, alors qu’il peut en réalité dégager très peu de marge.

Diriez-vous que c’est le modèle économique lui-même qui montre ses limites?

Oui. Depuis quelques années, les prix se sont envolés. Nos fournisseurs – souvent des producteurs locaux – facturent plus cher. Résultat : nous, qui travaillons en direct avec les clients, devons composer avec ces hausses de coûts. Or, les consommateurs ont leurs propres repères: ils sont habitués à payer leur bière, leur plat ou leur verre de vin à un certain prix. On ne peut pas dépasser certaines limites. On se retrouve coincés entre l’augmentation des charges d’un côté et la résistance des clients de l’autre.

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Cela signifie-t-il que le ticket moyen n’est pas suffisant?

Exactement. Le prix d’une bière est déjà à 3,60 euros, ce qui peut sembler élevé – je me souviens que quand on avait ouvert le Zebra, au milieu des années 90, il s’affichait à 1,20 euros. Mais si l’on compare cela avec les charges, ce n’est pas suffisant. Je ne souhaite pas simplement augmenter les prix, car cela risquerait de braquer la clientèle. Mon objectif est plutôt d’augmenter le panier moyen, pas en montant les tarifs mais en incitant les clients à manger davantage. En clair, qu’ils viennent boire un verre, mais qu’ils aient aussi envie de rester pour un plat.

Comment en êtes-vous arrivé à la conclusion qu’il fallait transformer l’offre culinaire?

Dès l’ouverture, l’idée était de proposer une carte réduite, accessible, avec des houmous, des burgers, des frites. Mais aujourd’hui, cela ne suffit plus. Il faut autre chose, une cuisine plus rassurante. Mon idée est de créer à l’intérieur du Chateau Moderne un comptoir belge, une sorte de food corner, où l’on puisse commander des plats typiques.

Quels plats souhaitez-vous mettre en avant dans ce comptoir?

Je veux travailler des classiques belges. Des croquettes – à la crevette, à la carbonade flamande -, des tomates-crevettes, des steaks-frites, une dame blanche pour le dessert. Le midi, des sandwiches à la belge, des gaufres. Ce n’est pas compliqué à réaliser techniquement, mais cela demande du soin, de la régularité et une vraie exigence. J’ai envie que l’on vienne ici pour boire un verre mais également pour manger des plats qui font partie de la culture culinaire belge.

Cette idée d’« identité belge » semble de plus en plus centrale dans votre projet.

Oui. On sent qu’il y a une demande. Beaucoup de touristes ou de personnes qui travaillent à Bruxelles, notamment du côté de la Commission européenne, posent cette question : « Quelle est votre spécialité ? » Avant, nous étions parfois gênés de répondre, comme si la cuisine belge était ringarde. Aujourd’hui, je crois au contraire qu’il faut en être fier. Les frites, les croquettes, les plats de brasserie: ce sont des choses qui parlent à tout le monde et qui peuvent très bien être valorisées.

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Vous évoquez aussi des plats d’inspiration mondiale… mais signés avec des produits bruxellois comme le miso Nuu Miso. Quelle est l’idée derrière cette démarche?

Je veux montrer que l’on peut créer des plats ouverts sur le monde tout en restant ancrés ici. Par exemple, travailler une sauce au miso Nuu, produit artisanalement à Bruxelles, et l’intégrer à des préparations inspirées d’Asie. Cela permet d’apporter une saveur nouvelle, mais avec une origine locale. J’aime cette idée de pont entre l’international et le belge.

Cette orientation, comptez-vous aussi l’étendre à vos autres adresses?

Oui, ce ne sera pas limité au Chateau Moderne. Je veux développer cette logique dans tous mes établissements : au Schmet, au Charbon, au Jaja, au Coq… Même le Charbon, je réfléchis à le rebaptiser parce que je trouve que le nom n’est pas assez lié à la belgitude. C’est un travail de fond, une cohérence que je veux apporter à l’ensemble.

Ce changement de cap traduit-il un symptôme plus général de la restauration à Bruxelles?

Oui, je crois que c’est un symptôme. Les coûts ne cessent d’augmenter, la mobilité est devenue un cauchemar, et tout cela pèse sur les chiffres. Malgré les efforts, on constate une baisse généralisée. C’est difficile à admettre, mais il faut réagir. On ne peut pas rester dans une forme d’insécurité permanente. Pour moi, aller vers une cuisine plus identitaire et plus généreuse, c’est une manière de donner une nouvelle base solide.

Êtes-vous aujourd’hui plutôt inquiet ou confiant?

Un mélange des deux. Je suis inquiet parce qu’on n’a pas vraiment le choix, il faut que ça marche. Mais en même temps, je trouve que c’est une bonne remise en question. Cela m’oblige à aller plus loin. Et au fond, cela me motive. Quand je pense à des produits belges revisités, à des plats simples mais bien faits, je retrouve l’envie. Je crois que c’est ce dont nous avons besoin aujourd’hui.

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