À Narbonne, Les Grands Buffets n'est pas n'importe quel buffet à volonté - Getty Images
À Narbonne, Les Grands Buffets n'est pas n'importe quel buffet à volonté - Getty Images

Oubliez les étoilés, la table la plus exclusive au monde est un buffet à volonté français

Kathleen Wuyard-Jadot
Kathleen Wuyard-Jadot Journaliste

Situé à Narbonne, Les Grands Buffets, un buffet à volonté de prestige, a une liste d’attente de dîneurs avides longue comme le bras. Et on comprend pourquoi, puisque moyennant 57.9 euros, on y mange tout son saoul, mais surtout, un assortiment ahurissant de produits nobles, homard et foie gras en tête.

Si on vous dit table exclusive, vous pensez forcément prestige, guide gastronomique, et peut-être, plus précisément, à des adresses telles que le regretté El Bulli ou le Noma, de Copenhague, qui fermera bientôt lui aussi. Et vous n’avez pas tort, mais vous n’avez pas non plus tout à fait raison, car une des réservations les plus compliquées à obtenir au monde est une table aux Grands Buffets, un buffet à volonté de Narbonne, dans le sud de la France.

Non, vos yeux ne vous trompent pas, mais avant de vous exclamer que décidément, le monde ne tourne vraiment plus rond, lisez plutôt, car Les Grands Buffets n’a en commun avec le all you can eat de base et ses relents de friture et de désespoir que le principe fondateur – et encore, ici, on préfère parler d’ode à la gastronomie française qu’à une gloutonnerie débridée.

Qu’on s’entende: tout le monde, ou presque, a mangé au moins une fois dans un buffet à volonté et (pas si) secrètement adoré ça. Il faut dire qu’en cette ère d’optimisation à l’extrême, où l’on comptabilise les pas, les calories, les macronutriments et où l’on compte surtout sur le fait de vivre vieux, en bonne santé et avec l’apparence physique la plus plaisante possible, il y a quelque chose de jouissif à l’abandon qui saisit les gourmands lâchés dans un all you can eat. Et ce qu’il s’agisse d’un buffet d’hôtel all inclusive ou d’un de ces restaurants, le plus souvent revendiqués de « cuisine asiatique », qui poussent comme des champignons en périphérie.

Après tout, le principe reste le même: on a payé plus ou moins cher pour manger littéralement « tout ce qu’on voulait » et il serait donc dommage, non, dispendieux, de se priver de manger jusqu’à plus faim, voire même, jusqu’à ce qu’une sensation d’inconfort se fasse ressentir au niveau abdominal.

Le plus long plateau de fromages au monde

Un principe qui guide certainement la visite de nombre des clients des Grands Buffets. À la différence près qu’ici, au lieu de se remplir l’assiette et le gosier de nouilles sautées et autres entrées frites, le menu se lit plutôt comme celui d’une table qui ne déparerait pas dans un guide gastronomique.

Véritable marée de fruits de mer, des huîtres aux tourteaux en passant par crevettes, mulex et une impressionnante pyramide de homards, mais aussi choix ahurissant de foie gras préparé nature, au sel, au poivre, au piment basque, au muscat de Rivesaltes, en crème brulée, ou encore poêlé en escalope quand il ne trône pas carrément sur un tournedos… À la rôtisserie, on se laisse tenter par un traditionnel canard au sang, « monument de la gastronomie française en péril », rien de moins selon l’équipe du restaurant, ainsi que par des cuisses de grenouille, des escargots de Bourgogne, des cailles farcies au foie gras (encore lui) ou encore du foie de veau persillé, entre autres mets incontournables de l’Hexagone.

C’est que Les Grands Buffets, avec son plateau de fromages long de 30 mètres et fort de plus de 110 variétés différentes, qui lui a d’ailleurs valu une mention au Guinness Book des records, ne célèbre pas seulement une certaine gourmandise débridée, mais veut avant tout rendre hommage à l’oeuvre d’Auguste Escoffier, inventeur de l’art culinaire au XIXème siècle et à l’origine de l’idée même de gastronomie. Le restaurant tout entier est d’ailleurs dédié au « roi des cuisiniers » et décline pour ce faire un ambitieux répertoire de « plats emblématiques de la cuisine française de tradition ».

Bienvenue au « meilleur restaurant de France »

Une mission ambitieuse, qui démarre en 1989, avec un appel à projets de la ville de Narbonne, soucieuse de restaurer une partie de son Espace liberté, complexe alors en perte de vitesse et jusque là dédié plutôt aux sports et aux loisirs.

C’est le couple formé par Jane et Louis Privat qui l’emporte avec sa délicieuse idée de buffet à volonté mêlant carte traditionnelle et service à table. Un concept d’autant plus inédit pour l’époque que le menu est inspiré par les banquets royaux du temps de la couronne de France et qu’on y trouve, entre autres délices, un comptoir dédié à la découpe ainsi qu’une salle réservée aux hors-d’oeuvre et un espace tout entier dévoué aux desserts.

En plein service aux Grands Buffets ce 28 mai 2024 – Valentine Chapuis pour Getty Images.

Dès l’ouverture, le succès est au rendez-vous, et 35 ans plus tard, l’établissement ne fait pas mine de s’essouffler. Au contraire, même: prix de la « plus belle carte de vin au verre de France » selon le magazine Terre de vins en 2019, « meilleur restaurant de France » pour le guide Guia Gourmand en 2021, « qualité des mets et du service » remarquable d’après Guillaume Gomez, Chef de l’Elysée. Lequel souligne la « chance » que Les Grands Buffets représente pour « notre gastronomie et pour la France » tandis que le chef 3 étoiles Gilles Goujon, lui, s’enthousiasmait « quelle idée, quel talent, quelle gourmandise » et qualifiait cette table d’extraordinaire, ni plus ni moins.

Et entre ces louanges de dîneurs aux noms célèbres (« Remarquable » pour l’humoriste Laurent Gerra, « déjeuner inoubliable » selon l’actrice Julia Piaton) et le rapport qualité-prix virtuellement imbattable, sans surprise, les réservations nécessitent de faire preuve de patience.

Beaucoup de patience, même: en moyenne, compter 7 à 8 mois d’attente environ, à moins d’être disposé à manger à midi et en petite compagnie, ce qui facilite le processus mais ne garantit pas pour autant de faire l’impasse sur le délai d’attente.

Plus qu’un buffet à volonté, un musée de la gastronomie française

Et celui-ci vaut pour tout le monde, même les clients les plus importants. Critique gastronomique renommé de l’autre côté de la Manche, Tom Parker Bowles, le fils aîné de la Reine Camilla, en a récemment fait les frais.

Malgré la liste d’attente longue de plusieurs mois, « par un délicieux miracle, en me connectant sur le site du restaurant début février, j’ai réussi à dégoter une table à la mi-mai, soit à peine trois mois plus tard » se réjouissait-il récemment dans la chronique de son expérience pour You, le supplément magazine hebdomadaire du Daily Mail.

Verdict de sa visite? Une expérience « superbement rabelaisienne », dans un « temple dédié aux plaisirs gustatifs », où, s’il a regretté que la cuisson du homard laisse à désirer et que le caviar à volonté soit un ersatz plutôt que de véritables oeufs d’esturgeon, il a tenu à saluer la qualité « exceptionnelle » des nombreuses terrines, « aussi délicates et ouvragées que des mosaïques antiques » mais aussi le niveau des charcuteries, des viandes rôties à la perfection, ainsi que de l’assortiment de desserts, une « pure perfection pâtissière ».

De quoi allonger probablement encore un peu le délai nécessaire à s’y attabler, si ce que son fondateur, Louis Privat, a qualifié de « Louvre de la cuisine française traditionnelle » séduit même des membres de la royauté…

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