Couteau fait main par Clem Vanhee

Clem Vanhee, couteau, chef
Clem Vanhee © LYDIE NESVADBA

Pour acquérir un couteau fait main en acier de Damas signé Clem Vanhee, il faut faire preuve d’énormément de patience. Et ce n’est pas spécialement dû à la pénurie qui règne sur le marché. Tant les grands chefs que les cuisiniers amateurs s’arrachent ses pièces.

Au cœur de Zaventem Ateliers, nous rencontrons Clem Vanhee en pleine conversation avec son voisin, Vladimir Slavov. Plus connu sous le nom de DIM Atelier, ce dernier a réalisé l’installation lumineuse surplombant la cuisine de The Jane. Quant au premier, il travaille actuellement sur un projet pour le chef de ce même restaurant anversois, Nick Bril. Dans six mois, les clients de l’adresse étoilée mangeront peut-être avec des couteaux fabriqués de sa main. Mais dans l’immédiat, l’artiste doit d’abord forger et aiguiser cent couteaux «Brut de Forge» destinés à Carcasse, la table d’Hendrik Dierendonck située à Sint-Idesbald.

Ainsi qu’un onzième couteau unique pour Pascal Devalkeneer du Chalet de la Forêt. «Je me dois de préciser qu’il ne les utilise pas en cuisine, ajoute Clem Vanhee. Il les collectionne.» Car si les pièces qui sortent de lAtelier 185 du créateur sont des objets destinés à un usage quotidien, ils méritent tout autant une place sous cloche.

Couteau Santoku en acier de Damas torsadé, 225 couches et manche en bois de récupération.
Couteau Santoku en acier de Damas torsadé, 225 couches et manche en bois de récupération. © PIETER D’HOOP

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L’acier de Damas doit son nom aux marchands du Moyen-Orient qui en faisaient le commerce, il y a plusieurs siècles, sous la forme d’épées et de couteaux de chasse. On a retrouvé des armes rituelles aux lames parées de motifs − une caractéristique typique pour cet acier − de l’Afrique au Japon en passant par les Celtes. Ces ornements proviennent des deux types d’acier différents qui ont été forgés ensemble à l’aide d’un marteau sur une enclume par le forgeron, assisté d’un couple de serviteurs. Aujourd’hui, peu de choses ont changé, sauf que notre homme, ici, bosse seul. Les serviteurs ont été remplacés par un marteau de forgeage mécanique, un laminoir et une ponceuse à bande. «En tordant à nouveau l’acier pendant ce processus, on obtient un tout autre dessin», explique Clem Vanhee en posant un couteau sur la table. Chaque lame est différente. L’intéressé cherche toujours à obtenir les motifs les plus abstraits possibles. D’où la grande valeur de collection de ses réalisations, toutes uniques.

Le mélange de deux types d’acier n’a évidemment pas seulement une fonction esthétique. L’acier de Damas est en fait plus tranchant et plus résistant. Le couteau que l’artisan nous présente comporte 229 couches d’acier qu’il a travaillées pour obtenir une épaisseur de 3 mm. «L’acier que je reçois d’Allemagne est livré en plaques de 3 mm d’épaisseur, explique-t-il. Je les assemble en alternant, jusqu’à obtenir une masse de quinze couches que je place dans le feu à 1 500 °C pour ensuite la forger. Puis, je coupe le résultat en plusieurs morceaux et je recommence le processus.» Notre homme continue alors jusqu’à ce qu’il obtienne le nombre de strates souhaité dans l’épaisseur de la lame. Rien d’étonnant donc à ce qu’il consacre 50 heures à un seul exemplaire, expliquant ainsi le prix de ses créations. Un couteau de chef dont le manche est constitué d’un seul matériau coûte 2 500 euros. Une pièce Brut de Forge, un procédé plus simple dans lequel l’objet est forgé de la pointe au pommeau, s’affiche à environ 675 euros.

Clem Vanhee en train de forger un couteau.
Clem Vanhee en train de forger un couteau. © LIESELOT GEEREGAT

Affûtés à la perfection

Lorsqu’il a transformé son loisir en profession à plein temps il y a cinq ans, Clem Vanhee pensait qu’il n’attirerait que des chefs professionnels. Mais à sa surprise, des particuliers se cachent parmi ses clients réguliers. Des cuisiniers amateurs de plus de 50 ans dont les enfants ont quitté la maison et qui peuvent se permettre un tel ustensile. Des hommes surtout, même si quelques femmes ont également été séduites par son art, malgré le coût.

«La qualité d’un couteau dépend de celle de l’acier de base et du traitement thermique. Et c’est souvent sur ce point que les grandes marques commerciales font des économies, avertit Clem Vanhee. Fabriqué avec des matières premières de qualité inférieure, un couteau perd son tranchant après seulement quelques coupes. Il demande alors un entretien constant, qui a souvent lieu avec un outil d’affûtage grossier qui transforme le tranchant en une sorte de lame de scie.» Les lames deviennent alors trop abîmées pour s’en servir au quotidien.

Si l’on utilise correctement un couteau en acier de Damas, il ne sera jamais nécessaire de l’aiguiser. Il suffit simplement de le conserver dans les bonnes conditions. L’acier qui reste sale et humide rouille. Cette règle s’applique d’ailleurs à tous les modèles de qualité. «L’Inox et le tranchant ne vont pas vraiment ensemble, explique Clem Vanhee. C’est lié aux matières premières. Pour rendre un couteau inoxydable, on ajoute du chrome, ce qui le rend plus tendre et donc moins tranchant.» Ainsi, si votre couteau de supermarché rouille un peu, cela indique en fait qu’il coupera plus longtemps que sa variante non rouillée. Aucune raison de s’en débarrasser donc.

Ensemble de couteaux Brut de Forge, en acier Inox de la pointe au pommeau.
Ensemble de couteaux Brut de Forge, en acier Inox de la pointe au pommeau. © PIETER D’HOOP

Et puis, il faut aussi prendre en compte la dureté. S’il vous est déjà arrivé de faire tomber votre couteau de chef, celui-ci se sera peut-être brisé. Ou, parce que vous avez voulu couper un os, son bord tranchant aura été endommagé. Notre expert nous montre une vidéo dans laquelle il frappe avec force une de ses pièces sur un morceau de fer. «Si c’était un modèle Ikea, seul le manche resterait dans ma main, et si c’était un couteau de qualité fabriqué industriellement, la lame serait abîmée. L’acier de Damas s’en sort indemne.» Cette solidité est obtenue en chauffant d’abord l’acier à plus de 850 °C, puis en le refroidissant rapidement dans l’huile. C’est un moment critique dans le processus de fabrication, parce que plus «l’acier est dur, plus il est tranchant. Mais plus aussi il devient cassant. Un coutelier doit trouver le juste milieu entre la dureté, le tranchant et la flexibilité. C’est dans cet équilibre que réside son art».

Si les vêtements font l’homme, les couteaux font-ils le chef? La réponse est non, bien sûr, c’est toujours ce qui se retrouve dans l’assiette qui détermine son talent. Mais les couteaux sur mesure — tout comme l’habillement ou un intérieur conçu pour soi — peuvent apporter ce confort supplémentaire ou cette touche d’individualité qui permet d’apprécier encore plus les tâches du quotidien. Acquérir une collection complète n’est pas plus nécessaire. «Selon moi, un chef a besoin de deux couteaux. Un grand et un plus petit pour les détails. Tout le reste, c’est plutôt pour le plaisir des yeux.»

Les 15 et 16 octobre, Clem Vanhee et sa compagne, la créatrice de bijoux Lieselot Geeregat (Luna Lotta), organiseront des portes ouvertes, chez eux à Wevelgem.

Clem Vanhee (40 ans)

– Il a commencé à travailler en tant que dessinateur dans l’équipe de conception de l’entreprise sidérurgique Bekaert et chez Barco, avant de devenir ingénieur du développement. Il a ensuite rejoint MetalFire en tant que responsable R&D.

– Il s’inscrit à un cours du soir de forgeage ornemental pour trouver un exutoire à son travail de bureau. La création d’épées et de couteaux l’attire.

– Il travaille à temps plein en tant qu’artisan coutelier-forgeron professionnel depuis 2017. Il officie à la fois aux Ateliers de Zaventem et dans son atelier à domicile à Gullegem.

– Parmi ses clients on retrouve des passionnés de design, des collectionneurs, des cuisiniers amateurs et des chefs célèbres, dont Nick Bril (The Jane), Pascal Devalkeneer (Le Chalet de la Forêt), Thomas Troupin (Toma) et Christophe Hardiquest (Bon-Bon).

Atelier185.be

Le b.a.-ba de la lame Damas

Quelques points auxquels faire attention lors de l’achat et de l’utilisation d’un couteau en acier de Damas

– Le tester. Il doit bien tenir dans la main.

– Trouver le bon équilibre. Une pièce trop lourde provoquera une gêne au niveau du poignet, du bras ou de l’épaule si elle est utilisée fréquemment.

– Un couteau est dit « de Damas » si le motif traverse toute la lame et la coupe. Si le dessin s’arrête à la coupe, il s’agit d’une imitation de qualité inférieure.

– On peut considérer un couteau comme de haute qualité à partir de 57 Rockwell, une mesure qui indique la dureté des matériaux. Un chiffre inférieur indique une qualité inférieure, mais une dureté élevée peut également rendre le couteau moins flexible et donc plus cassant.

– L’acier de Damas n’est pas inoxydable. Il doit être nettoyé et séché après chaque utilisation.

– L’acier de Damas réagira toujours à la substance qu’il touche. Un reflet bleu apparaît par exemple après avoir coupé des légumes ou de la viande.

– Bien connaître les raisons de l’achat. En cuisine, un grand couteau et un plus petit suffisent. Un chasseur, par exemple, doit être capable de manier son instrument avec plus de puissance et pendant moins longtemps et a donc besoin d’un tout autre type de couteau.

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